Le Royaume-Uni renforce son arsenal juridique contre les personnes en besoin de protection
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 18 mai 2022Après des mois de négociations controversées, le Parlement britannique a adopté, le 27 avril dernier, le projet de loi sur la nationalité et les frontières, qui contient des dispositions qui impacteront significativement l’accès au droit d’asile au Royaume-Uni. Alors que l’objectif du gouvernement est de « dissuader les entrées illégales au Royaume-Uni », une des mesures clés de la loi est d’introduire un système de protection à deux vitesses, qui pénalisera les demandeurs d’asile arrivés de manière irrégulière sur le territoire britannique.
Un système de protection à deux vitesses
L’article 11 de la loi prévoit en effet d’établir deux catégories de demandeurs d’asile en fonction de la manière utilisée pour arriver sur le territoire britannique. Selon ce système différencié, seule les personnes arrivées directement du pays qu’elles fuient via des voies légales, ou qui se trouvaient déjà au Royaume-Uni avec un visa et ont demandé l’asile avant l’expiration de celui-ci, pourront prétendre à l’asile. La seconde catégorie comprend tous les autres exilés arrivant de manière « irrégulière » au Royaume-Uni, notamment via la traversée de la Manche. Ces personnes ne pourront alors accéder qu’à une nouvelle forme de protection temporaire, avec un accès limité à certains droits et à la réunification familiale. En outre, les demandes des personnes ayant transité par un pays tiers considéré comme « sûr », à l’instar de la France ou de la Belgique, pourront être considérées comme « inadmissible » par les autorités.
La loi sur la nationalité et les frontières prévoit par ailleurs d’ « accélérer l’expulsion de ceux qui n’ont pas le droit d’être au Royaume-Uni », ainsi que des sanctions plus sévères contre les passeurs, qui risqueront désormais une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité.
La proposition visant à repousser hors des eaux britanniques les embarcations de migrants qui tentent de rejoindre le Royaume-Uni par la Manche, initialement contenue dans le projet de loi, a quant à elle été abandonnée par le gouvernement britannique le 25 avril dernier suite aux vives critiques des ONG qui dénonçaient une mesure « dangereuse et illégale de refoulement ». L’ONG britannique Refugee Council et de nombreuses autres associations, à l’image d’Amnesty International, s’alarment néanmoins que « des milliers de personnes fuyant des situations extrêmes de guerre et de persécution auront désormais plus de mal à trouver la sécurité au Royaume-Uni » en raison des dispositions prévues par la loi « Nationalité et frontières ».
Accord pour externaliser la procédure de demande d’asile au Rwanda
En parallèle, le 14 avril dernier, le gouvernement britannique a signé un mémorandum d’entente avec le Rwanda pour pouvoir transférer dans ce pays d’Afrique de l’Est « toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que celles qui sont arrivées illégalement depuis le 1er janvier », à l’exception des mineurs. En échange d’un financement à hauteur de 120 millions de livres sterling, le Rwanda devrait ainsi accueillir « des dizaines de milliers » de demandeurs d’asile « dans les années à venir ». Alors que l’objectif assumé de l’accord est de dissuader les personnes en besoin de protection de tenter la traversée de la Manche, le gouvernement britannique a également justifié une volonté de « briser le modèle commercial mortel des passeurs » et de « protéger » les personnes vulnérables par « des voies sûres et légales de migration ».
Un accord contraire aux engagements internationaux du Royaume-Uni envers les réfugiés
L’opposition au gouvernement, les organisations de la société civile tout comme les institutions internationales ont vivement critiqué la loi sur la nationalité et les frontières ainsi que l’accord conclu avec le Rwanda. Le 27 avril, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a ainsi dénoncé cette nouvelle approche du Royaume-Uni en matière d’asile, qui est « en porte-à-faux avec la législation internationale » et notamment avec l’esprit de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Le HCR a également exprimé sa « forte opposition » quant aux transferts de demandeurs d’asile vers des pays tiers tels que le Rwanda « en l’absence de garanties et de normes suffisantes ».
À ce propos, le gouvernement britannique affirme dans une évaluation de la situation au Rwanda, publiée le 9 mai dernier, que le pays peut être considéré comme « sûr » malgré « certaines restrictions à la liberté d’expression et/ou à la liberté d’association ». L’ONG Human Rights Watch estime cependant que le rapport « minimise les violations des droits humains » dans le pays en ignorant certains faits. L’ONG avait en effet révélé qu’entre octobre 2018 et septembre 2019, les autorités rwandaises avaient fait preuve d’un « usage excessif de la force » et tué 12 réfugiés congolais lors d’une manifestation, l’organisation ayant par ailleurs documenté comment des personnes LGBTI ont été détenues, battues, insultées et harcelées dans le pays en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité ou expression de genre. Le gouvernement britannique avait lui-même dénoncé Kigali en janvier 2021 pour ses « restrictions des droits civils et politiques ».
Alors que le gouvernement britannique a publié, le 10 mai dernier, des lignes directrices relatives à la mise en œuvre de l’accord avec le Rwanda, les associations britanniques soulignent les nombreuses incertitudes qui continuent d’entourer ce dernier, notamment concernant les critères qui permettront de qualifier une demande d’asile d’irrecevable. Les protestations à l’encontre de l’accord ne cessent ainsi de se multiplier, avec notamment une première action en justice lancée par le cabinet international d’avocats InstaLaw le 3 mai dernier, pour contester une proposition jugée « contraire au droit international et à la Convention des Nations unies sur les réfugiés ».
Malgré les nombreuses critiques et protestations, Boris Johnson a annoncé le 14 mai dernier que cinquante personnes avaient déjà reçu des « notifications d’intention » les informant qu’elles seraient envoyées au Rwanda dans les prochaines semaines.