Quelle efficacité des voies complémentaires existantes vers l’UE pour répondre aux besoins de protection ?
La réinstallation, qui consiste à assurer le transfert de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides vulnérables présents dans un premier pays d’asile vers un État acceptant de les accueillir de façon pérenne, demeure une importante voie légale d’accès à l’Union européenne (UE) pour les réfugiés avec 26 000 arrivées en 2018. Mais depuis la guerre civile syrienne et la « crise migratoire » de 2015, d’autres voies légales, complémentaires à la réinstallation, se sont développées. Il s’agit de voies sûres et régulées, permettant à des personnes en besoin de protection de s’installer dans un pays tiers. Elles n’ont pas vocation à se substituer à la réinstallation, ni aux systèmes d’asile nationaux, mais apportent des possibilités supplémentaires pour tenter de répondre aux besoins des personnes déplacées, dans un contexte où le nombre de places allouées à la réinstallation est structurellement insuffisant. De la réunification familiale, en passant par le parrainage privé ou l’admission humanitaire : ces dispositifs sont variés. Ils ont, pour le HCR, un triple objectif : alléger la pression sur les pays d’accueil, répondre aux besoins importants de protection dans le monde et permettre aux réfugiés d’accéder à des solutions durables. Pourtant, plusieurs obstacles empêchent leur utilisation systématique. Dès lors, quelle est l’efficacité des voies légales complémentaires pour répondre aux besoins croissants de protection ?
La réunification familiale « de droit » est la principale voie d’accès à l’UE en nombre de bénéficiaires : d’après Eurostat, 44 871 premiers titres de séjour à ce titre ont été accordés en 2018 dans l’ensemble des pays membres de l’UE. Ce processus consacre le droit à l’unité familiale de la personne réfugiée en permettant à sa famille « nucléaire » (conjoint(e) et enfants mineurs) de la rejoindre dans son pays d’accueil. Une directive européenne encadre le droit au regroupement familial dans l’Union et impose des critères plus favorables pour les réfugiés statutaires. La réunification familiale « étendue », utilisée comme voie légale complémentaire d’accès, renvoie à la possibilité, laissée à la discrétion des États, de dépasser les critères de la directive pour admettre au titre de la réunification familiale des membres de la famille « élargie », comme le(s) parent(s) en situation de dépendance ou les enfants adultes non mariés. Son développement est soutenu par le HCR, qui rappelle cependant qu’elle ne doit pas se substituer aux procédures de réunification « de droit », ni aux autres voies légales d’admission, de manière à accroître encore davantage les possibilités d’accès à l’UE.
Les dispositifs d’admission humanitaire et de visas humanitaires permettent d’accéder au territoire européen selon des modalités définies par chaque État. Les dispositifs dits « d’admission humanitaire » correspondent à des programmes similaires à la réinstallation, mais qui sont mis en place de manière plus « ad hoc » et selon des modalités souvent plus flexibles. Pour les personnes concernées, ils impliquent généralement un statut de protection spécifique et temporaire et des droits afférents plus limités que le statut de réfugié, voire la protection subsidiaire. Le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) soutiennent ces programmes et travaillent à simplifier l’identification, le transfert et la reconnaissance du statut pour les personnes qui en bénéficient. En Europe, plusieurs États ont développé des programmes d’admission humanitaire en réponse à la crise syrienne, mettant en avant le besoin de déploiement rapide, l’avantage de la définition de programmes spécifiques et adaptés, et le caractère temporaire de la crise. L’Allemagne a ainsi accueilli 35 000 Syriens via des programmes d’« admission humanitaire » depuis 2013.
Les visas humanitaires, différents en nature, ont, dans le cadre de la crise syrienne, aussi joué un rôle similaire aux admissions humanitaires. Ce type de visa permet aux personnes en recherche de protection de voyager légalement vers un pays pour y déposer une demande d’asile. Selon une étude réalisée par le Parlement européen en 2014, seize États membres ont ou ont eu dans le passé une procédure nationale d’octroi de différents types de visa humanitaire. La France, principal pays européen à utiliser cette voie d’accès, a ainsi délivré 6 001 visas court séjour pour motifs humanitaires en 2018 ; la Belgique 2 174 visas la même année. Dans ces deux pays, ces visas ont principalement bénéficié à des Syriens ou des minorités issues d’Irak. Ils peuvent être cependant difficiles à obtenir sachant qu’il faut se rendre auprès des autorités consulaires pour effectuer la demande, sans garantie, et que son acquisition ne rend pas systématique l’accord de la demande d’asile une fois dans le pays d’accueil. En décembre 2018, le Parlement européen a adopté un rapport d’initiative législative préconisant la mise en place d’un visa humanitaire européen, mais la Commission n’a pas donné suite. Pour l’heure, seule la volonté politique des États membres peut permettre de rendre ces voies effectives et accessibles.
Face à l’augmentation du nombre de réfugiés syriens, et à la multiplication des morts en Méditerranée, différents acteurs de la société civile, et notamment les organisations confessionnelles, ont mis en avant une autre voie légale complémentaire fondée sur des partenariats public-privé : le parrainage privé. Cette « autre réinstallation » permet d’accroître les possibilités d’entrée légale et de soutenir le financement de l’accueil mais pose aussi la question de sa « privatisation » et d’un désengagement potentiel de l’État. Le principal modèle, importé du Canada, prévoit que les acteurs publics facilitent l’admission légale dans le pays et la régularité du séjour, tandis que les acteurs privés fournissent un soutien financier, administratif et social. Des programmes permanents ont été mis en place, principalement dans le monde anglo-saxon, ainsi que des programmes ponctuels comme les « couloirs humanitaires », en Italie d’abord puis en France. Au total, entre 2013 et 2018, plus de 30 000 personnes sont entrées dans l’UE à travers ce type de dispositif, les trois quarts ayant rejoint l’Allemagne grâce aux programmes de « parrainage communautaire » portés par la quasi-totalité des Länder, programmes dont seuls quatre sont encore actifs. Les couloirs humanitaires ont quant à eux permis à près de 2 500 personnes de rejoindre l’Europe entre 2016 et avril 2019, dont plus de 2 000 en Italie.
Enfin, l’entrée dans l’UE peut se faire sur la base des compétences et des qualifications, à travers la mobilité professionnelle ou étudiante. Mais du fait des critères d’éligibilité, de la complexité administrative et de l’absence de garantie d’obtenir une protection une fois dans le pays d’accueil, ces possibilités de mobilité restent d’une portée résiduelle pour répondre aux besoins des personnes nécessitant une protection internationale. Certains programmes ad-hoc ont donc été spécifiquement créés pour les réfugiés mais nécessitent, comme le rappelle le HCR, des règles de protection et des mesures administratives spécifiques pour être appliqués de manière à bénéficier réellement aux personnes en besoin de protection : les documents de voyage et les permis de séjour doivent être fournis, tout comme les aides matérielles nécessaires, telles que les frais de voyage, les bourses d’étude, l’aide au logement ou les cours de langue. Il faut aussi faire en sorte que les personnes puissent déposer une demande d’asile si elles le souhaitent et leur permettre de rester dans le pays d’accueil à l’issue de leur cursus universitaire si elles veulent y travailler. En 2015, la Région Occitanie/ Pyrénées-Méditerranée a ainsi mis en place un programme offrant chaque année des bourses pour étudier dans une université de la région à 20 étudiants syriens et palestiniens réfugiés en Jordanie et enregistrés auprès du HCR. Dans le même esprit, le mouvement d’éducation « United World Colleges » (UWC) a lancé en 2017 une initiative, en coopération avec le HCR, qui doit permettre à 100 jeunes réfugiés et déplacés internes par an d’étudier dans l’une des 18 écoles internationales UWC dans le monde qui préparent au diplôme du baccalauréat international, avec l’objectif de les faire intégrer une université.
Bien que les voies complémentaires d’accès se soient diversifiées et développées ces dernières années, elles demeurent sous-exploitées et trop peu efficaces au regard des besoins. Leur accès souffre d’une forme d’opacité et de l’absence, à ce jour, d’un cadre légal bien établi en Europe. Face aux besoins croissants de protection et à la mortalité des routes migratoires, l’opportunité de développer de telles voies et d’homogénéiser leur usage au sein de l’Union apparaît fondamentale, d’autant que l’écrasante majorité – jusqu’à 90% – des protections accordées l’ont été sur le territoire européen après une entrée irrégulière. C’est d’ailleurs l’un des objectifs du Pacte mondial pour les réfugiés, adopté le 17 décembre 2018 : « Il est nécessaire de veiller à ce que ces voies soient rendues disponibles d’une manière plus systématique, plus organisée et plus durable ». Plusieurs groupes au Parlement européen portent également cette proposition. Dans ce cadre, la stratégie triennale 2019-2021 du HCR en matière de réinstallation et de voies complémentaires d’accès vise notamment à développer ces voies et à faciliter leur accès, portant les objectifs du nombre de personnes en bénéficiant annuellement dans le monde de 120 000 en 2019 à 200 000 en 2023 et 300 000 à l’horizon 2028 – soit un objectif cumulé de 2,1 millions de bénéficiaires d’ici 2028.