Quel avenir pour les programmes de parrainage communautaire en Europe ?
Petra Hueck, Directrice du bureau européen de la Commission internationale catholique pour les migrations (ICMC)Les voies complémentaires d’admission pour les réfugiés – en particulier les programmes de parrainage communautaire – ont émergé en Europe depuis 2013, en réaction directe à la dégradation du conflit en Syrie. Ce phénomène reflète le désir croissant des acteurs de la société civile en Europe de s’engager concrètement dans l’accueil des réfugiés au sein de leur communauté locale[1].
Les programmes de parrainage communautaire sont devenus la nouvelle réalité en Europe et trois grands types de programmes sont apparus :
- Les programmes dans lesquels les proches assument diverses responsabilités financières et sociales pour amener les membres de leur famille (élargie) en Europe. Des programmes de ce type ont été mis en œuvre à partir de 2013 en Allemagne, en Irlande et en France. Le plus important d’entre eux était le Programme régional d’admission allemand, avec environ 25 000 personnes accueillies. Les réfugiés ont reçu un titre de séjour de deux ans renouvelable et les familles se sont juridiquement engagées à couvrir la majorité des frais pour une période de cinq ans[2].
- Les programmes de « couloirs humanitaires » en Italie, en France et en Belgique, dans le cadre desquels des associations confessionnelles concluent des accords avec leur gouvernement respectif pour accueillir des réfugiés initialement admis sur la base de visas humanitaires, et financent les coûts du programme sur leurs fonds propres[3]. Ces programmes ont ouvert à ce jour plus de 2 500 places de protection, en grande majorité en Italie, en plus des engagements de réinstallation.
- Les programmes de parrainage communautaire, au sein desquels les citoyens et les associations au niveau local facilitent l’accueil et l’intégration de réfugiés identifiés et orientés par le HCR. Ces programmes ont été lancés au Royaume-Uni et des initiatives similaires ont récemment vu le jour en Allemagne, en Irlande et en Espagne. À ce jour, environ 350 réfugiés sont arrivés au Royaume-Uni et 30 en Espagne.
Il est probable, qu’à l’avenir, coexisteront, au sein de programmes-cadres nationaux d’accueil de réfugiés, des combinaisons des différentes approches présentées ci-dessus, combinaisons qui pourront prendre différentes formes. Actuellement, ces programmes sont encore en cours de développement, de nouvelles approches sont expérimentées, et des questions subsistent quant à la manière d’assurer leur viabilité à long terme. Comment les programmes de parrainage doivent-ils être conçus afin de maximiser leur succès ? Comment les sociétés locales peuvent-elles contribuer à leur pérennité ? Et comment de tels programmes, qui sont essentiellement locaux et dirigés par des bénévoles, peuvent-ils garantir un soutien de qualité aux réfugiés ?
Le parrainage en tant que moyen pour les réfugiés de rejoindre des membres de leur famille et de leur communauté n’a peut-être pas reçu l’attention qu’il mérite. C’est une approche que tous les programmes devraient envisager à moyen terme. Le modèle canadien de parrainage, qui a connu un grand succès, nous enseigne deux leçons précieuses : les réfugiés qui se sont déjà installés veulent être réunis avec leurs proches et les membres de leur communauté, et la mobilisation de ce souhait en faveur du parrainage peut assurer la croissance continue des programmes à long terme. Alors que les programmes qui sont intégrés dans les programmes classiques de réinstallation sont souvent l’option préférée des gouvernements, les programmes de couloirs humanitaires se sont avérés plus rapides pour offrir une protection à un groupe de personnes et de nationalités plus diversifiées que ceux qui ont la priorité en matière de réinstallation. En Europe, ils ont permis d’assurer une protection en dehors de la poursuite des objectifs de l’UE en matière de gestion des migrations, qui dictent fortement les groupes et les pays prioritaires pour la réinstallation. Avec l’aggravation dramatique de la crise de protection en Libye, où 5 600 migrants et réfugiés sont détenus, les programmes de couloirs humanitaires seront essentiels pour assurer un accès rapide à la protection, tout en mobilisant la capacité et la volonté des communautés à travers l’Europe d’offrir un soutien à l’accueil et à l’intégration.
L’étude de faisabilité de la Commission européenne de 2018[4] a analysé comment l’UE pourrait soutenir le développement continu du parrainage en Europe. Elle semble également soutenir une approche différenciée dans la programmation, tandis que le Cadre européen de réinstallation – s’il est adopté, étendra le soutien financier de l’UE au-delà de la réinstallation pour inclure également les programmes de parrainage basés sur les liens familiaux, les visas humanitaires et la réinstallation.
Quel que soit le type de formule choisi par les pays qui acceptent de mettre en œuvre des programmes de parrainage, plusieurs éléments sont cruciaux :
- L’élaboration d’objectifs de programme clairs et chiffrés ;
- Une clarification des profils des réfugiés éligibles au parrainage (vulnérabilités, liens familiaux etc.) ;
- Une définition des rôles et responsabilités respectifs des acteurs étatiques et de la société civile, de la durée d’accompagnement et des « mécanismes de sauvegarde » ;
- Une communication claire et précise sur les droits et obligations aux réfugiés parrainés dès le début ;
- La garantie que les programmes de parrainage communautaires complètent, plutôt que ne remplacent, les prestations de service financées par l’État ;
- La garantie que la société civile joue un rôle de premier plan dans la gestion et l’élaboration des programmes, et dans la garantie d’un parrainage de qualité.
Les programmes de parrainage devraient reposer sur des cadres ouverts et souples, de manière à permettre à un large éventail d’acteurs de s’impliquer sur la base de critères et de mécanismes transparents. C’est exactement dans cet esprit que des programmes de parrainage communautaire ont été largement mis en place : au Royaume-Uni, en Allemagne et en Irlande, quiconque peut former un groupe de parrainage et participer aux programmes nationaux. Leur implication conjointe permet aux groupes de parrainage et aux ONG de façonner, d’influencer et d’améliorer les pratiques du programme, et permet à l’ensemble des acteurs de collaborer pour résoudre les problèmes.
Un des exemples qui illustre les bénéfices que peut générer l’implication d’une variété d’acteurs dans les programmes de parrainage est celui du Canada, où le programme pour étudiants réfugiés du World University Service of Canada (WUSC) a permis de parrainer avec succès 1 800 réfugiés pour étudier dans 83 universités depuis sa création en 1978.[5]
Le facteur décisif pour le développement du parrainage communautaire dans toute l’Europe réside dans la capacité de tels programmes à offrir des alternatives crédibles aux programmes d’accueil et d’intégration entièrement gérés et financés par les pouvoirs publics, et qui impliquent déjà un large éventail d’acteurs – comme les autorités locales – et mettent en œuvre des approches mixtes de l’accueil et de l’intégration. Les défis à relever ne sont pas les mêmes selon les contextes nationaux : en Italie, par exemple, l’aide de l’État aux réfugiés statutaires est limitée, tandis qu’en Espagne, le système d’accueil est soumis à une forte pression et des solutions alternatives sont nécessaires de toute urgence. Si les programmes de parrainage peuvent susciter des solutions créatives et augmenter les capacités d’accueil, ils ne peuvent ni ne doivent se substituer aux obligations de l’État.
Les groupes bénévoles locaux sont le moteur du parrainage communautaire. Les programmes doivent chercher à soutenir et à stimuler – et non à frustrer ! – leur participation à l’accueil et à l’installation des réfugiés. Garantir des normes de qualité minimales pour les groupes de bénévoles tout en permettant la flexibilité et l’innovation des programmes restera un équilibre délicat, qui devra être testé et évalué dans différents contextes nationaux. Les programmes seront, par exemple, plus efficaces s’ils peuvent être intensifiés dans un délai relativement court: si les procédures complètes de contrôle des groupes de parrainage au Royaume-Uni ont contribué à garantir la qualité des programmes, certaines parties prenantes ont par exemple constaté que des procédures complexes risquent de dissuader les personnes motivées de créer des groupes de parrainage. Des discussions similaires ont émergé au Canada, où le gouvernement a introduit de nouvelles obligations administratives pour les parrains (« sponsors ») au cours des dernières années et a dû faire face aux réticences importantes des organisations de parrainage et des ONG. Pour ces organisations, qui ont des dizaines d’années d’expérience dans le parrainage de réfugiés, de telles exigences menacent le programme de parrainage canadien et risquent de l’orienter vers « un programme de réinstallation remodelé, géré par le gouvernement mais financé par le secteur privé ».[6]
Malgré des différences entre pays, les groupes de parrainage font globalement le même travail au niveau local. Les groupes communautaires, dans la plupart des cas composés d’un minimum de cinq bénévoles, identifient et équipent les logements et apportent leur soutien à l’installation et à l’intégration pendant la première année suivant l’arrivée.
Soutenir l’accueil et l’intégration de réfugiés vulnérables est une tâche difficile et facilement sous-estimée. Une évaluation récente[7] du programme de parrainage communautaire britannique donne un aperçu utile des défis à relever, et démontre la nécessité de gérer les attentes des bénévoles et des réfugiés quant au niveau d’intégration qu’il est réaliste d’atteindre dans une période initiale de douze mois. Les progrès des réfugiés dans l’apprentissage de l’anglais ont été plus lents que prévu, alors que ni les réfugiés ni les bénévoles n’avaient pris la mesure des difficultés à trouver un emploi pour quasiment la plupart des réfugiés. L’absence de progrès vers l’autonomie est donc frustrante pour toutes les parties.
L’expertise des ONG européennes en matière de réinstallation, développée au fil des ans, devrait être mise à profit dans le contexte actuel. Les synergies entre les programmes de réinstallation et ceux de parrainage devraient être explorées, et l’expertise devrait être mise en commun entre les programmes nationaux multidisciplinaires, qui incluent différentes approches, pour faciliter l’accueil et la protection. Bien que le parrainage soit essentiellement une initiative locale, il est important d’élaborer des dispositifs locaux qui soient à un niveau supérieur à celui des communautés pour assurer la coordination, la formation et le soutien. Les programmes visant à renforcer les capacités pour favoriser l’accueil des réfugiés sur tous les territoires nationaux sont particulièrement importants pour les petites villes et villages ayant peu ou pas d’expérience préalable dans l’accueil de réfugiés vulnérables, dans l’accompagnement à l’intégration dans des contextes juridiques et sociaux souvent complexes, tout comme le soutien pour aider les groupes de parrainage à développer des approches qui favorisent l’autonomie des réfugiés dans leurs efforts pour reprendre le contrôle de leur vie et de leur avenir.
La société civile et les gouvernements reconnaissent de plus en plus la nécessité d’intégrer des structures de soutien dans les programmes de parrainage. Des structures à deux, voire trois niveaux, émergent, avec des rôles et des responsabilités distincts pour les acteurs « chefs de file » et les acteurs locaux :
- Les groupes communautaires de bénévoles, formés au niveau local, sont chargés d’accueillir et de soutenir les réfugiés pour des périodes définies, avec des tâches clés (par exemple le transport, le soutien linguistique) réparties entre les membres du groupe ;
- Les principaux « sponsors » : ce sont souvent des ONG nationales ou des organisations confessionnelles qui assument le rôle de coordination avec les groupes communautaires au sein de leurs réseaux pour obtenir un logement et identifier et former les bénévoles qui fournissent un appui. Les « sponsors » effectuent également un suivi après l’arrivée et, dans certains cas, assument la responsabilité financière globale ;
- Un troisième niveau, en cours de développement au Royaume-Uni, où un organisme national de coordination (RESET, créé en 2018), agit comme mécanisme autonome de parrainage inspiré de l’Association canadienne « Sponsorship Agreement Holder » (SAH).
Les structures de soutien sont particulièrement cruciales pour les membres de la famille qui accueillent des réfugiés. Les familles ne peuvent être entièrement responsables de l’organisation de l’accueil, du soutien à l’intégration et de la prise en charge de frais connexes. Des organisations comme l’Ordre de Malte en Indre-et-Loire, en France, ont démontré les avantages d’un soutien bien coordonné dans ce contexte, en appuyant l’intégration sociale et en donnant accès aux services publics à plus de 700 personnes qui ont rejoint des membres de leur famille. La possibilité pour les organisations de la diaspora de s’engager dans ce travail, par exemple par le biais de partenariats avec des ONG nationales établies, devrait être davantage exploitée.
En conclusion, le parrainage communautaire est désormais une réalité en Europe. Dans la période à venir, les bonnes pratiques et les enseignements tirés de l’expérience acquise jusqu’ici peuvent conduire à un engagement accru des ONG, des Églises et des citoyens dans ces programmes et, plus généralement, à l’élargissement des voies complémentaires d’admission des réfugiés en Europe. Il en résultera une augmentation du nombre de réfugiés admis, un élargissement des possibilités d’accueil et d’intégration, et une transformation des villes européennes en communautés plus inclusives et solidaires, prêtes à apporter une contribution significative au Pacte mondial pour les réfugiés [du HCR] et à sa Stratégie triennale sur la réinstallation et les voies complémentaires.
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[1] Depuis 2013, ICMC Europe mène des recherches sur les initiatives et programmes émergents de réinstallation via le parrainage dans le cadre des programmes du Réseau européen de réinstallation (ERN) et du réseau SHARE. Voir: ICMC Europe, 10% of refugees from Syria: Europe’s resettlement and other admission responses in a global perspective, juin 2015; ERN+, ICMC Europe, The Role of Churches and Christian Organisations in Community-based Sponsorship Programmes of Refugees in Europe: Challenges, Opportunities and next Steps, rapport de conférence, septembre 2017; ERN+, Private sponsorship in Europe. Expanding complementary pathways for refugee resettlement, septembre 2017; M. Tardis et ICMC Europe, Towards a private sponsorship model in France, Feasibility Study, ERN+, avril 2018; Caritas Europe et ICMC Europe, Fostering community sponsorships across Europe, publication du réseau SHARE, à paraître. Le présent article comprend plusieurs conclusions de cette publication à venir.
[2] Des organisations confessionnelles en France, préoccupées par les minorités persécutées vivant sous le régime de l’État islamique, ont ouvert un programme de réunification familiale en 2014, dans le cadre duquel 7 344 Syriens et Irakiens au total ont été admis en 2015-2016 avec un visa humanitaire. Ce programme permettait aux membres de la famille et aux organisations (religieuses) de couvrir les frais de voyage et d’installation jusqu’à ce que les nouveaux arrivants obtiennent le statut de réfugié et puissent bénéficier de prestations sociales.
[3] En Italie, le financement est assuré par le programme Otto per mille – grâce auquel les contribuables versent obligatoirement 0,08 % de leur revenu annuel à des organisations caritatives ou confessionnelles de leur choix, et par Caritas Italie, qui fournit un soutien financier aux branches locales de Caritas pendant un an, pour chaque personne parrainée qu’elles reçoivent.
[4] Commission européenne, Study on the feasibility and added value of sponsorship schemes as a possible pathway to safe channels for admission to the EU, including resettlement, octobre 2018.
[5] Pour en savoir plus sur le programme pour étudiants réfugiés du WUSC : https://srp.wusc.ca/ et les études exploratoires de l’ERN+ : Private Sponsorship in Europe. Expanding Complementary pathways for refugee resettlement, et Student Scholarships for Refugees, 2017
[6] Conseil Canadien pour les Réfugiés, Canada’s Private Sponsorship of Refugees Program: Proud history, Uncertain future, 2014
[7] J. Phillimore et M. Reyes, Community Sponsorship in the UK: from application to integration, évaluation formative, rapport intermédiaire, Institut de Recherche sur la superdiversité, Université de Birmingham, juillet 2019.