"Si la question de la répartition des migrants à travers l’UE est codifiée, ce qui se passe en Grèce actuellement n’arrivera plus"
Sylvie Guillaume, Députée européenne Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen (S&D)Sylvie Guillaume est membre titulaire de la Commission des libertés civile, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) depuis sa première élection européenne il y a dix ans. Engagée sur les dossiers liés à l’asile, elle a notamment été rapporteuse sur la directive sur les procédures d’asile et a suivi de près la réforme du Régime d’asile européen commun.
En tant que membre de la Commission LIBE au Parlement européen, vous avez assisté à l’évolution des politiques d’accueil en Europe depuis 2015. Quelles leçons tirez-vous de la gestion des arrivées durant cette période ?
Il y a eu de nombreuses tentatives pour gérer les arrivées successives de migrants. Que ce soit avec le plan de relocalisation obligatoire, qui a plutôt échoué on peut le dire ou avec les solutions ad hoc telles qu’elles existent aujourd’hui qui ne connaissent pas plus de succès. Je regrette qu’un mécanisme solidaire et obligatoire de répartition n’ait pas vu le jour après tant d’années de négociations sur ce thème. Il s’agit pourtant du cœur du sujet. Si la question de la répartition des migrants à travers l’UE est codifiée, ce qui se passe en Grèce actuellement n’arrivera plus. Les arrivées seront gérées et les personnes réparties équitablement sur le territoire européen.
Vous travaillez sur la réforme du Régime d’asile européen commun (RAEC) depuis de nombreuses années. Qu’attendez-vous de la Commission von der Leyen dans ce domaine, et que vous inspire l’annonce d’un nouveau « Pacte européen » ?
Je regrette tout d’abord que le Conseil ait refusé de travailler sur les propositions de la Commission de 2015-2016. Au Parlement, nous sommes parvenus à un accord sur des textes aussi complexes que [le règlement] Dublin ou [la directive] Procédures et pourtant le Conseil n’a lui-même pas adopté son approche générale sur ces textes. Ce nouveau pacte relancera donc sans doute un schéma de réformes entamées à l’époque, mais que de temps perdu ! En outre, je crains un tournant encore plus sécuritaire du côté de la Commission avec des centres de rétention, ainsi que l’affirmation de l’externalisation des politiques. Est-ce que cette fois, la Commission sera en mesure d’inciter les États membres à prendre les responsabilités et à travailler sur les textes proposés ? Est-ce que les droits des migrants et le respect des droits fondamentaux demeureront la priorité ? Nous sommes dans l’expectative, mais je ne suis guère optimiste.
La Commission souhaite, à travers ce Pacte, initier de nouveaux mécanismes de solidarité intra-européenne. Le pré-accord de Malte n’ayant mené à aucun mécanisme institutionnalisé de répartition des personnes secourues en mer entre les pays européens, comment peut-on aujourd’hui renforcer leur coopération ?
Il faudra des incitations fortes de la part de la Commission. Depuis des années, elle a trop laissé croire aux États membres que l’Union européenne était à la carte, et que certains États pouvaient se passer de respecter leurs engagements. La question de la conditionnalité de l’accès aux fonds européens doit selon moi être débattue en la matière.
En décembre 2018, le Parlement européen proposait la création d’un visa humanitaire européen pour étendre les possibilités de voies légales vers l’Europe et « faire baisser le nombre intolérable de décès en Méditerranée ». Où en est cette initiative et de quelle manière l’UE peut-elle encore agir pour mettre un terme à ces naufrages meurtriers ?
Malheureusement, la Commission qui avait deux mois pour répondre à cette demande du Parlement ne l’a pas fait. La migration légale devrait être un des axes du nouveau pacte selon mes informations. Cependant, je crains qu’elle ne concerne que les travailleurs hautement qualifiés ou encore les étudiants. Cela est déjà bien mais ce n’est pas suffisant. Il faut des solutions pour les demandeurs d’asile évidemment – rappelons-nous que 90 % des réfugiés sont arrivés irrégulièrement -, mais aussi pour les migrants dits économiques. Seules les voies légales et régulées de migration permettent de sauver des vies et de prévoir les arrivées, de les organiser et de faire en sorte que l’intégration des nouveaux arrivants se passe au mieux.
Au sein du RAEC, la réforme du règlement Dublin III est à l’arrêt compte-tenu des dissensions entre États membres. Face à la montée des nationalismes en Europe, quel rôle pourra jouer le Parlement dans cette réforme, ses députés ayant déjà fait des propositions qui n’ont pas été suivies ?
Ce nouveau mandat est l’occasion pour le Parlement de faire comprendre à la Commission et au Conseil qu’ils ne peuvent se passer du seul organe élu au suffrage universel de l’Union et qui donc représente l’ensemble des citoyens européens. Je trouve qu’il y a une volonté politique renforcée au Parlement pour avancer sur ces sujets et j’espère qu’elle s’exprimera sans peur ; la ténacité parlementaire actuelle sur un autre sujet, le cadre financier pluriannuel, me semble intéressante à suivre.