Une réforme de la politique d’asile européenne est-elle encore possible?
Équipe plaidoyer de France terre d'asileLe camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, fin février 2020
© Jörn Neumann/ Flickr
Lors du Conseil européen de Tampere de 1999 a été actée la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne (UE) avec l’élaboration d’une politique commune de l’asile devant inclure un « Régime d’asile européen commun » (RAEC). Celui-ci s’est construit en deux phases, qui ont mené, en 2013, à la mise en place de l’actuel cadre législatif relatif à l’asile en Europe.
En 2015, avec la « crise des réfugiés », les États membres ont fait le constat des limites du RAEC et de son incapacité à répondre à l’augmentation du nombre d’arrivées sur le territoire de l’Union. Les mesures ad hoc d’urgence qui ont d’abord été adoptées, comme la création d’un mécanisme de relocalisation des demandeurs d’asile accueillis en Grèce et en Italie entre les pays européens, sont apparues insuffisantes. En outre, malgré les efforts d’harmonisation de l’UE, les conditions matérielles d’accueil [1] et d’accès à la procédure d’asile se sont révélées très différentes en fonction des États membres, amenant les demandeurs d’asile à solliciter une protection dans plusieurs pays. Dans ce contexte, la Commission européenne a entamé un processus de réforme du RAEC visant à uniformiser les procédures et les droits à l’échelle européenne et ainsi éviter les mouvements secondaires au sein de l’UE.
Début 2020, en raison de multiples blocages, les propositions de réforme n’ont toujours pas abouti. Pour sortir de cette impasse, l’espoir réside désormais dans le renouvellement de la Commission et du Parlement suite aux élections de 2019. Alors que la nouvelle Commission von der Leyen travaille à l’élaboration d’un nouveau « Pacte européen sur la migration et l’asile », une véritable réforme de la politique d’asile européenne est-elle encore possible ?
Selon le traité de Lisbonne, l’asile relève du droit communautaire et ce donc sont les institutions européennes qui légifèrent dans ce domaine en adoptant des règlements et des directives ; les États membres ne bénéficiant que d’une marge d’appréciation dans l’application de certains textes. Les règlements Dublin III [2], Eurodac [3], et celui portant sur le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), correspondent aux textes du RAEC qui s’appliquent directement aux États membres. Trois directives, en vertu desquelles les pays bénéficient d’une marge de manœuvre lors de la transposition nationale, le complètent : la directive « procédures » qui définit des normes minimales pour le déroulement de la procédure d’asile, la directive « qualification » qui détermine des critères harmonisés pour bénéficier de la protection internationale et la directive « accueil » qui établit des normes communes quant aux conditions de vie des demandeurs d’asile. Différents programmes ont également été mis en place pour soulager la pression sur les États membres situés aux frontières de l’UE et sur les pays tiers, tels que l’établissement de hotspots, la création d’un mécanisme européen de relocalisation ou les programmes de réinstallation et d’admissions humanitaires.
En 2016, la Commission a soumis une proposition initiale de réforme du RAEC. Celle-ci prévoyait de transformer les directives « procédures » et « qualification » en règlements pour, entre autres, raccourcir les délais de procédures ou réévaluer systématiquement et régulièrement la protection octroyée, tout en garantissant le respect des droits fondamentaux des demandeurs d’asile. En outre, elle comportait un renforcement du règlement Eurodac pour accroitre son efficacité, et d’EASO pour en faire une « véritable Agence de l’UE pour l’asile ». Elle prévoyait enfin une refonte du règlement Dublin III, qui fait peser un poids démesuré sur les pays de première entrée, et la création d’un Cadre commun de réinstallation à l’échelle de l’UE, pour uniformiser les procédures liées à la sélection et au traitement des candidats à la réinstallation [4]. Néanmoins, malgré la stabilisation du nombre de demandeurs d’asile dans l’Union et alors que certaines négociations étaient déjà bien avancées, comme pour le règlement « qualifications », la réforme du RAEC n’a jamais abouti. L’insistance du Conseil européen de l’adopter selon une « logique de paquet », c’est-à-dire en demandant un consensus sur l’ensemble des textes, alors que les discussions sur le règlement Dublin IV étaient dans une impasse, explique l’échec des discussions.
En effet, pour réviser le règlement Dublin III, la Commission avait proposé le maintien du critère de détermination de l’État responsable de la demande d’asile – en y ajoutant un mécanisme d’attribution correcteur qui aurait permis de répartir plus équitablement les demandeurs entre États. Malgré l’adoption de la position du Parlement en novembre 2017 [5], cette proposition s’est heurtée au refus de certains pays d’accueillir davantage de demandeurs d’asile, notamment ceux du groupe de Višegrad [6], et a débouché sur une véritable « crise de solidarité ». Si, depuis 2016, les États membres ont réussi à s’accorder sur certains sujets, il s’agissait bien souvent du renforcement de la surveillance aux frontières extérieures de l’UE, comme l’augmentation du nombre d’agents Frontex, et fin février 2020, le renforcement des patrouilles à la frontière grecque après la décision du président Recep Tayyip Erdoğan de ne plus retenir les réfugiés syriens en Turquie.
Dans le même temps, des milliers de morts ont été dénombrés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés : 10 512 personnes seraient décédées en Méditerranée entre 2016 et 2018 en tentant de rejoindre l’Europe. Pour pallier cette immobilisation dans les négociations et mettre un terme à cette catastrophe humanitaire, des mesures ad hoc d’urgence ont été lancées, comme le « préaccord de Malte » de septembre 2019. Celui-ci portait sur la mise en place d’un mécanisme de répartition des personnes secourues en Méditerranée entre États membres mais n’a jamais été formalisé faute d’accord unanime. Seule une poignée de pays, dont la France et l’Allemagne, accepte aujourd’hui d’accueillir des demandeurs d’asile débarqués de bateaux humanitaires, principalement à Malte et en Italie, ce qui ralentit leur répartition. C’est cette même « coalition de pays volontaires » parmi lesquels figurent également le Portugal et la Finlande, qui s’engage aujourd’hui à accueillir des mineurs isolés étrangers coincés dans les camps des îles grecques.
Face à ces blocages, des organisations de la société civile ont appelé l’Union à faire respecter au moins la législation existante pour se conformer au droit international et européen et permettre l’accès aux droits des demandeurs d’asile et des réfugiés sur tout le territoire de l’Union. Quant au règlement Dublin, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés a par exemple demandé à l’UE d’étudier précisément ses défaillances avant de proposer une nouvelle réforme.
C’est dans ce contexte qu’a été élue en juillet 2019 la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, décidée à « protéger le droit d’asile et améliorer la situation des réfugiés » en Europe. Lors de la présentation de son programme, elle a évoqué la préparation d’un nouveau « Pacte européen sur la migration et l’asile » censé relancer les négociations sur la réforme du RAEC, particulièrement sur le règlement Dublin. Ce Pacte devrait porter sur plusieurs objectifs stratégiques tels que la lutte contre les migrations irrégulières, la protection des frontières ou encore le développement de la réinstallation et des voies légales complémentaires. Il devait être présenté au mois d’avril 2020 mais a vu sa publication retardée : la situation en Grèce, où des milliers de personnes se sont précipitées suite à l’ouverture des frontières avec la Turquie, et la gestion de la crise du COVID-19, ont entièrement mobilisé les institutions européennes.
Camps surpeuplés, multiplication des refoulements, éloignements contraires au respect des droits fondamentaux : le droit d’asile est menacé dans nombre de pays européens. Dans ce contexte, un nouveau « Pacte européen sur la migration et l’asile », pièce maitresse de la réforme de la politique d’asile de la nouvelle Commission, devra impérativement prendre en compte les avancées préalablement négociées dans le cadre de la réforme du RAEC entamée en 2016. Compte-tenu de l’augmentation du nombre de demandes d’asile dans l’UE en 2019 – la première d’une année sur l’autre depuis 2015 – et alors que l’Union se prépare à accueillir de nouvelles personnes en provenance du Moyen-Orient après la décision turque, ce nouveau Pacte sera-t-il en mesure de mettre fin aux crises humanitaires aux frontières de l’UE et d’en prévenir de nouvelles ?
[1] Voir ici l’article sur ce sujet publié dans le premier numéro de notre magazine en juin 2018.
[2] Dans l’UE, un seul État membre peut être responsable de l’examen d’une demande d’asile. Ce règlement Dublin III énonce les critères permettant de déterminer cette responsabilité, parmi lesquels l’existence d’une première demande d’asile ou le relevé d’empreintes.
[3] Ce système permet aux pays de l’UE de participer à l’identification des demandeurs d’asile et de personnes ayant été appréhendées dans le contexte d’un franchissement irrégulier d’une frontière extérieure de l’UE.
[4] Voir ici l’article sur ce sujet publié dans le cinquième numéro de notre magazine en juin 2018.
[5] Dans sa position adoptée en novembre 2017, le Parlement européen a proposé un mécanisme de répartition non plus fondé sur le principe du premier pays d’entrée mais vers les pays recevant le moins de demandeurs d’asile par rapport à leur PIB et leur population, sauf en cas de présence de membres de la famille ou de possession d’un visa ou d’une carte de séjour émise par un État membre.
[6] Pologne, Hongrie, République Tchèque et Slovaquie.