Au centre des accusations de « pushbacks », l’Agence Frontex sommée de respecter les droits fondamentaux des migrants
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 01 avril 2021© Ministère de l’Intérieur et de l’Administration de la République de Pologne
Le groupe de travail désigné par le Conseil d’administration de Frontex a rendu, le 1er mars 2021, son rapport final sur les allégations de renvois sommaires de migrants en mer Égée. Ce dernier n’a toutefois pas permis d’établir l’implication de l’Agence dans ces pratiques de « pushbacks » : sur quatre des cinq cas examinés, l’enquête se poursuit. Le groupe de travail, institué le 10 novembre 2020 et composé de représentants d’États membres de l’Union et de deux membres de la Commission européenne, avait déjà déclaré dans un rapport préliminaire rendu le 21 janvier dernier, n’avoir « pas pu établir de preuves de violations des droits fondamentaux » à propos de huit incidents étudiés.
Bien que le groupe de travail interne s’évertue davantage à souligner le rôle fondamental que tient l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes en tant que « principal garant des frontières extérieures européennes », les recommandations adressées apparaissent comme autant de critiques du fonctionnement actuel de Frontex. Il appelle notamment à renforcer le suivi et la surveillance des missions menées conjointement par les États membres et l’Agence, en recommandant notamment l’usage systématique de la vidéo. Par ailleurs, tout incident impliquant une possible violation des droits humains des migrants devrait faire l’objet d’une enquête sous la coordination de l’officier aux droits fondamentaux de l’Agence et donner lieu à la suspension de l’aide apportée aux États impliqués.
Malgré les dysfonctionnements apparents, le groupe de travail interne considère qu’il n’est pas opportun de suspendre les opérations de Frontex en mer Égée sur le fondement de l’article 46 du Règlement (UE) 2019/1896, comme cela avait été demandé par certaines organisations non-gouvernementales (ONG) en début d’année. Si le 27 janvier dernier l’Agence avait annoncé la suspension de ses opérations en Hongrie suite à un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne qui considérait que le pays enfreignait un accès effectif à la procédure d’asile, une telle mesure ne serait « pas justifiée » en mer Égée selon le groupe d’experts en l’absence de preuves de violations des droits fondamentaux.
Alors que se tenait, le 4 mars dernier, la première réunion du groupe de travail de contrôle de Frontex du Parlement européen en la présence d’Ylva Johansson, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Fabrice Leggeri, Directeur Exécutif de l’Agence, a réitéré l’absence d’implication de cette dernière dans les pratiques de « pushbacks ». Suite à une question d’ordre légal du groupe de travail du conseil d’administration de Frontex relative aux conditions d’éloignement des embarcations de migrants en mer Égée au regard du respect du principe de non-refoulement – Ylva Johansson a souligné que la Commission européenne « n’a pas vocation à fournir une interprétation du droit de l’Union régissant les opérations maritimes de Frontex », ce rôle étant réservé à la Cour de justice de l’Union européenne. Cette question a été soulevée alors que la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé en 2020[1], dans le contexte des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, que les renvois sommaires de migrants qui avaient traversé irrégulièrement une frontière ne constituaient pas nécessairement une violation du principe de non-refoulement dès lors qu’il existait des voies légales pour solliciter une protection internationale.
Frontex a également été remise en cause pour ses retards constatés dans le recrutement de « l’officier aux droits fondamentaux indépendant » et des 40 observateurs chargés de veiller au respect des droits fondamentaux. Dans une lettre publiée par l’ONG Statewatch le 25 mars, Ylva Johansson indique ainsi qu’il est « regrettable que ce processus ne soit pas encore pleinement finalisé », alors que le recrutement devait être effectué avant le 5 décembre 2020. Au regard de ces retards et des accusations de « pushbacks », la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a décidé, le 23 mars dernier, de suspendre la validation des comptes de l’Agence pour l’année 2019. Le groupe de travail de contrôle de Frontex du Parlement européen, composé de 14 eurodéputés, a débuté fin février une enquête de quatre mois pour faire la lumière sur les violations présumées des droits fondamentaux des migrants.
[1] Cour européenne des droits de l’homme [G.C], arrêt du 13 février 2020, N.D et N.T c. Espagne, req. n° 8675/15 et 8697/15.