Le Danemark vire à l'extrême droite sur les réfugiés
Michala Clante Bendixen, présidente de l’association Refugees Welcome DenmarkLa Première ministre danoise, Mette Frederiksen
COPENHAGUE – Qu’est-il arrivé au Danemark ? Autrefois réputée pour être une société libérale, tolérante et ouverte d’esprit, respectueuse des droits de l’homme et dotée d’un État-providence fort et humain, nous sommes maintenant devenus le premier pays d’Europe à suspendre les titres de séjour des réfugiés syriens.
Récemment, les autorités danoises ont jugé que la situation sécuritaire autour de Damas s’était améliorée, malgré les preuves des conditions de vie désastreuses et de la persécution continue par le régime de Bachar el-Assad. En conséquence, les autorités ont jusqu’à présent retiré à plus d’une centaine de réfugiés leur droit de rester dans le pays – et d’autres suivront. Une autre proposition récemment présentée par le gouvernement consisterait à transférer tous les demandeurs d’asile hors du Danemark.
En d’autres termes, le Danemark – premier pays à avoir signé la Convention des Nations unies sur les réfugiés en 1951 – a désormais adopté une politique d’asile qui ressemble davantage à celles de pays nationalistes comme l’Autriche ou la Hongrie, qu’à celles de ses voisins scandinaves.
Heureusement, personne ne sera renvoyé en Syrie de sitôt. Dans le cadre du nouveau système, les réfugiés doivent avoir vécu au Danemark pendant au moins dix ans pour que leur attachement au pays soit considéré comme suffisamment fort pour continuer à y résider, peu importe les efforts qu’ils ont déployés pour travailler ou étudier. Cependant, il est actuellement impossible de renvoyer des personnes vers la Syrie : le Danemark ne négociera pas avec Assad – et très peu de Syriens sont prêts à rentrer volontairement. Ainsi, les personnes qui ne détiennent plus de permis de séjour se retrouveront donc probablement dans des centres danois dans l’attente d’un renvoi, ou dans d’autres pays européens.
Il n’en reste pas moins que le Danemark adopte désormais des lois à des fins manifestement discriminatoires, les politiciens de gauche comme de droite parlant des minorités ethniques et des musulmans en des termes inimaginables dans les pays voisins. En effet, si cette loi avait été adoptée par un gouvernement d’extrême droite, cela n’aurait peut-être pas été surprenant. Mais le Danemark est actuellement gouverné par une coalition de gauche dirigée par les sociaux-démocrates. Qu’est-il donc arrivé à notre pays ?
La réponse se trouve dans la lutte acharnée entre les sociaux-démocrates et le Parti populaire danois d’extrême droite. Bien que le Parti populaire danois n’ait jamais fait partie d’un gouvernement, ses représentants ont passé les deux dernières décennies à utiliser leurs mandats dans un seul but : ils ne votent pour des projets de loi concernant d’autres questions que s’ils obtiennent en contrepartie des mesures restrictives sur les étrangers. Pas à pas, le Parti populaire danois a entraîné tous les autres partis dans sa direction, à commencer par les sociaux-démocrates, avec lesquels ils se disputent les électeurs de la classe moyenne.
En 2001, un gouvernement de droite a imposé pour la première fois des restrictions drastiques aux réfugiés et aux étrangers. Et si les sociaux-démocrates s’y sont d’abord opposés, ils ont rapidement changé de stratégie pour relever le défi lancé par le Parti populaire danois. Au début, tous les sociaux-démocrates n’étaient pas d’accord avec la nouvelle ligne dure, mais le parti l’a progressivement adoptée, tout comme la grande majorité de ses électeurs. Aujourd’hui, le Parti populaire danois est devenu presque insignifiant. Leurs politiques, autrefois dénoncées comme racistes et extrêmes, sont maintenant devenues monnaie courante.
Il y a deux ans, le gouvernement a adopté une loi qui a renversé le concept de protection des réfugiés : elle a remplacé les efforts d’intégration à long terme et d’égalité des droits par des séjours temporaires, des droits limités, et mis l’accent sur les retours. Paradoxalement, cette mesure a été prise au moment où le Danemark a accueilli le plus faible nombre de réfugiés en 30 ans, et lorsque leur intégration se passait mieux que jamais en termes d’emploi, d’éducation et de compétences linguistiques.
En parallèle, la Commission danoise de recours pour les réfugiés a été privée de ses experts et réduite à trois membres seulement, dont un employé du ministère de l’Immigration, la rendant ainsi moins indépendante que le prétend le gouvernement, mais davantage en phase avec l’objectif de la Première ministre Mette Frederiksen d’avoir « zéro demandeur d’asile ».
Actuellement, les décideurs politiques danois discutent d’un projet de loi encore plus extrême : un plan vague et imprécis de transférer des demandeurs d’asile qui arrivent au Danemark vers un pays hors de l’Union européenne (très probablement en Afrique), où leur demande serait examinée. S’ils obtiennent l’asile, ils resteraient dans ce pays tiers.
La ministre affirme que cette mesure rendrait le système d’asile plus « humain et équitable », mais les organisations danoises de défense des droits de l’homme et le HCR affirment qu’elle aura précisément l’effet inverse. Ce plan est essentiellement une nouvelle forme de colonialisme, consistant à payer d’autres personnes pour s’occuper des « indésirables » loin du Danemark, et à rejeter l’accueil ne serait-ce qu’une petite partie des millions de réfugiés dans le monde.
Heureusement, il semble que la droite soit tellement offensée par le fait que les sociaux-démocrates coopèrent qu’elle votera contre. Mais si elle passe, cette politique pourrait avoir de terribles conséquences sur la collaboration au sein de l’Union européenne et au niveau international.
Ce jeu est allé trop loin. La plupart des Danois ne sont ni racistes, ni contre les droits humains et la solidarité. Mais il devient difficile de voir comment faire marche arrière.
Tribune mise à jour le 19/04/2021 pour Vues d’Europe, publiée le 10/03/2021 sur Politico.eu