Ceuta : les migrants victimes d’une crise diplomatique entre l’Espagne et le Maroc
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 14 juin 2021© UNHCR/Markel Redondo
La journée du 17 mai dernier a marqué le début d’un important mouvement migratoire en provenance du Maroc et à destination de Ceuta, une des deux enclaves espagnoles du pays. Madrid estime à près de 10 000 le nombre de personnes entrées sur le territoire de l’Union européenne (UE) en quarante-huit heures, principalement à la nage en contournant la zone neutre et les hauts grillages, suite à un relâchement des contrôles de la part du Maroc. Ce chiffre est d’ores et déjà supérieur à la moyenne annuelle des trois précédentes années.
Des milliers de « renvois à chaud » vers le Maroc
Parmi l’ensemble de ces arrivées, le porte-parole du ministère de l’Intérieur espagnol a déclaré que près de 8 000 personnes ont déjà été renvoyées vers le Maroc. Alors que le nombre de mineurs concernés par ces « renvois à chaud » n’a pas été précisé, plusieurs organisations de la société civile, dont Amnesty International, s’inquiètent que leur besoin de protection n’ait pu faire l’objet d’un examen individualisé, violant ainsi le principe de non-refoulement consacré par la Convention de Genève, ainsi que la Convention internationale des droits de l’enfant, qui garantit le droit à une protection jusqu’à l’obtention de la majorité.
Suite à ces accusations et les plaintes de deux organisations non gouvernementales (ONG), le procureur de Ceuta chargé des mineurs, Jose Luis Puerta, a ouvert une enquête, notamment concernant le renvoi supposé d’un enfant arrivé à la nage, en pleurs, dans l’enclave. Alors que les autorités madrilènes estiment à près de 1 500 le nombre de mineurs ayant franchi la frontière, l’ONG Amnesty International en recense 2 000. Si 200 d’entre eux ont pu être transférés, le 25 mai, sur la péninsule ibérique après examen de leur situation, 1 100 mineurs demeurent toujours bloqués dans l’enclave à ce jour.
L’UE exhorte le Maroc à cesser « toute pression » sur l’Espagne
Pour Madrid, la responsabilité des autorités marocaines ne fait aucun doute. Le 18 avril, l’hospitalisation par l’Espagne de Brahim Ghali, chef du mouvement séparatiste sahraouis du Front Polisario, fut perçue comme une provocation par le Royaume marocain, alors que la question du Sahara occidental oppose historiquement les deux pays.
De forts soupçons pèsent alors sur la couronne marocaine pour avoir délibérément laissé passer les milliers de personnes désireuses de franchir la frontière. De nombreux médias, notamment espagnols, relatent ainsi une absence totale de contrôles à la frontière et le long de la ville de Fnideq à la mi-mai. Plusieurs ONG ont ainsi dénoncé que des vies, notamment celles de nombreux mineurs, avaient délibérément été mises en jeu par les autorités marocaines dans le but d’exercer une pression politique sur l’Espagne. En réaction, la ministre de la Défense espagnole, Margarita Robles, avait fustigé, le 20 mai, le Maroc en l’accusant « d’agression » et de « chantage ».
Devant le Parlement européen le 18 mai dernier, Ylva Johansson, la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, avait exhorté le Maroc à contrôler ses frontières avec l’Espagne ainsi qu’à continuer à prévenir les départs irréguliers. Le 10 juin, les eurodéputés ont adopté, à une large majorité (397 pour, 85 contre et 196 abstentions), une résolution exhortant le Maroc à cesser la « pression politique » exercée sur l’Espagne et l’UE en laissant volontairement ses ressortissants franchir la frontière terrestre séparant le Maroc de l’UE.
Une hausse des demandes d’asile marocaines dans l’UE
Les demandes d’asile des ressortissants marocains au sein de l’UE sont par ailleurs en hausse depuis le début de l’année. Selon un récent rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), le Maroc fait ainsi dorénavant partie des dix principaux pays d’origine des primo-demandeurs d’asile dans l’UE en 2021, avec notamment plus de 1 000 demandes rien qu’au mois de mars dernier.