Pour un nouveau départ de la politique européenne d’asile !
Karl Kopp, responsable du département Europe de l’ONG allemande Pro AsylDéfendez les droits de l’Homme et l’État de droit aux frontières de l’Europe !
C’est avec une certaine amertume que nous rappelons à l’Union européenne (UE) que, lors du sommet extraordinaire de Tampere en octobre 1999, elle s’était solennellement engagée à construire un « régime d’asile commun, fondé sur l’application intégrale et globale de la Convention de Genève » et à assurer « le respect absolu du droit de demander l’asile ». Aujourd’hui, 22 ans plus tard, il n’existe toujours pas de système européen commun de protection et la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés est systématiquement violée aux frontières européennes.
Les « pushbacks » – ces renvois sommaires de migrants contraires au droit international – la violence et les traitements inhumains sont devenus une réalité aux frontières de l’Europe. Ils mettent en danger la vie des personnes en quête de protection, comme en témoignent les décès à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Les réfugiés sont déshumanisés en étant décrits comme une « arme politique » ou une « forme de menace hybride » par les dirigeants politiques.
Pro Asyl, avec ses partenaires, soutient depuis des années les personnes touchées par cette violence frontalière. Nous constatons que la Convention de Genève et la Convention européenne des droits de l’Homme sont systématiquement violées aux frontières de l’Europe. Les États membres de l’UE ne respectent pas le principe de non-refoulement, un acquis humanitaire et juridique unique qui garantit des droits individuels fondamentaux aux personnes en quête de protection.
Il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre le droit d’asile et les droits de l’Homme. Si des zones de non-droit sont acceptées, si l’État de droit est fragilisé, c’est alors la démocratie en Europe qui est menacée.
Tout récemment, un collectif de médias a publié de nouvelles preuves de pushbacks violents aux frontières extérieures de l’UE, en Grèce et en Croatie. Des vidéos et des photos témoignent de la brutalité des forces de police. Les pushbacks et la violence à l’encontre des personnes en quête de protection sont l’expression d’une politique qui privilégie la fermeture plutôt que la protection – et ce à n’importe quel prix.
L’UE et ses États membres participent à cette forme de contrôle illégal des frontières sur le plan financier et logistique, en déployant notamment des forces sous le mandat de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex. Le gouvernement allemand soutient les garde-frontières croates en leur fournissant des équipements techniques et logistiques, et la Pologne a récemment reçu un tel soutien. Les forces allemandes prennent part aux opérations de Frontex en Grèce.
Berlin : pour un nouveau départ de la politique européenne d’asile !
Les trois partis de la coalition (Sociaux-démocrates, Verts et libéraux), qui négocient en groupes de travail depuis le 27 octobre, l’ont clairement indiqué dans leur déclaration : « nous nous engageons à assumer la responsabilité humanitaire découlant de la Constitution allemande, de la Convention de Genève et de la Convention européenne des droits de l’Homme. De-là découle la nécessité de faire des efforts avec nos partenaires européens pour mettre fin aux décès en Méditerranée et aux souffrances aux frontières extérieures de l’Europe. »
Nous saluons cette déclaration d’intention. Afin de la traduire en action politique, elle doit être précisée dans l’accord de coalition. Seule l’application rigoureuse du droit international aux frontières de l’Europe, le développement des voies d’accès légales et sûres vers l’Europe, l’activation d’un mécanisme européen de sauvetage en mer et l’accueil solidaire des demandeurs de protection internationale au sein de l’UE peuvent mettre fin à la souffrance et à la mort aux frontières de l’Europe.
Nous exigeons du futur gouvernement allemand et de l’Union européenne :
- La défense du droit d’asile en Europe : l’accès à la procédure d’asile, au système juridique et à un hébergement digne. Non à une Europe de la détention, des camps de réfugiés et des procédures frontalières telles qu’envisagées dans le Pacte européen sur la migration et l’asile !
- La défense de la dignité humaine, de l’État de droit et des droits de l’Homme – soit les valeurs fondatrices de l’Union européenne (article 2 du traité sur l’Union européenne – TUE).
- L’ouverture par la Commission européenne de procédures d’infraction contre la Pologne, la Croatie et la Grèce. Nous demandons également à l’Union d’inclure les violations des droits de l’Homme commises par les États membres dans le domaine de l’asile et de la migration lorsqu’elle engage des procédures d’État de droit en cas de violations graves des valeurs mentionnées dans l’article 2 du TUE.
- La mise en place d’un mécanisme de surveillance des droits de l’Homme indépendant, transparent et efficace, permettant des visites inopinées aux frontières et la poursuite des auteurs de violations. Les observateurs des droits de l’Homme doivent avoir pour mandat d’assurer l’identification de preuves. Ce mécanisme, bien financé et doté d’un effectif suffisant, devrait empêcher les violations des droits de l’Homme à l’avenir.
- La fin de tout soutien au régime frontalier de la Pologne, de la Croatie, de la Grèce et d’autres États qui violent le droit international à leurs frontières.
- Des réactions fermes aux violations des droits de l’Homme dans le cadre des opérations de Frontex : suspension du financement et du déploiement des garde-frontières de l’UE dans les pays qui violent les normes internationales en matière de droits de l’Homme.
- Une réforme fondamentale de Frontex. Il s’agit notamment de renforcer massivement les obligations en matière de droits de l’Homme et leur contrôle effectif, y compris au sein de l’Agence.
- Un programme européen civil de sauvetage en mer pour mettre fin aux décès en Méditerranée. Après avoir été débarqué dans un port européen sûr, les réfugiés secourus en mer doivent être accueillis dans des conditions dignes et avoir accès à une procédure d’asile équitable. En parallèle, les voies d’accès légales et sûres vers l’Europe doivent être développées.
- La coopération avec les « garde-côtes » libyens et la violation continue du droit international qui en découle en Méditerranée doivent cesser immédiatement.
Pour une nouvelle coalition fondée sur les principes d’humanité et de solidarité
Dans une Europe faite de nouveaux murs et de nouvelles clôtures, il y a cependant aussi une « coalition volontaire » d’États membres et de centaines de villes et de municipalités accueillantes à travers toute l’Union européenne. Cette coalition fondée sur le principe d’humanité et de solidarité pour l’accueil des réfugiés défend le droit d’asile, le droit à la vie et à la dignité humaine. Ensemble, nous défendons également l’essence du projet européen : « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme » (Article 2 du TUE).
Article publié le 09/11/2021
Nota bene: cette tribune a été traduite de l’anglais par France terre d’asile. Son contenu reflète uniquement la position de l’auteur.