Pacte sur la migration et l’asile: des avancées en demi-teinte sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 30 juin 2022Alors que la présidence française du Conseil de l’Union européenne touche à sa fin et a été marquée par le déplacement inédit de population fuyant la guerre en Ukraine, comment la France a-t-elle fait avancer les négociations du Pacte sur la migration et l’asile visant à réformer la politique européenne d’asile après des années de blocage ?
Dans le cadre de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE) qu’elle assure depuis le 1er janvier et qui s’achève le 30 juin, la France s’était fixé pour objectif de faire avancer les négociations du Pacte sur la migration et l’asile, qui piétinent depuis sa présentation par la Commission européenne en septembre 2020. Sous présidence allemande, portugaise puis slovène, seule la directive européenne « carte bleue » pour les travailleurs étrangers hautement qualifiés avait en effet été adoptée en octobre 2021, suivi du règlement relatif à l’Agence européenne pour l’asile en décembre dernier – tandis que les autres textes proposés dans le cadre du Pacte faisaient toujours l’objet de fortes divergences entre les États membres.
Une approche « graduelle » en rupture avec la logique de « paquet » de 2016
Afin de maximiser les chances de faire avancer les négociations autour du Pacte sur la migration et l’asile, la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE) a privilégié une approche dite « graduelle », visant à négocier en priorité certains volets clés du Pacte et non les textes dans leur globalité. Dans son programme, la PFUE précisait que cette approche doit prioriser les textes législatifs qui devront apporter « un équilibre satisfaisant entre la protection des frontières extérieures, la responsabilité et la solidarité », point qui cristallise les tensions entre les États membres de l’Union depuis des années. Les ministres chargés des Affaires intérieures des États membres de l’UE ont marqué leur adhésion à cette approche étape par étape lors d’une réunion informelle les 2 et 3 février 2022 dans le Nord de la France.
Cette approche graduelle proposée par la France contraste avec la logique de « paquet » qui prévalait en 2016 pour réformer la politique européenne d’asile – dont le système de Dublin -, suite à la hausse des arrivées de personnes en besoin de protection en Europe en 2015. Ainsi, alors que plusieurs propositions avaient été avancées par la Commission européenne en 2016, aucune d’entre elles n’avait alors abouti face à la volonté des États membres d’obtenir un consensus sur l’ensemble des textes.
Une solidarité en trompe-l’œil ?
Bien que la guerre en Ukraine ait relégué les négociations du Pacte au second plan face à l’ampleur inédite des déplacements vers les pays de l’UE – qui a par ailleurs entraîné le déclenchement historique de la directive européenne de 2001 sur la protection temporaire par les Vingt-Sept –, la PFUE est restée déterminée à avancer sur les négociations du Pacte, en mettant en particulier l’accent sur le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union, comme l’indiquait déjà le programme de la PFUE ou encore un document de travail non-officiel du 11 janvier relayé par l’ONG Statewatch.
Face à la détermination de la présidence française, les États membres de l’UE ont conclu à l’issue du Conseil « Justice et affaires intérieures » qui a eu lieu le 10 juin dernier, un accord politique sur deux règlements visant à renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union : celui établissant un « filtrage » des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures de l’Union, et celui sur « Eurodac ». Les mandats de négociation des deux règlements ont par la suite été adoptés le 22 juin dernier lors du comité des représentants permanents (Coreper), qui permettent l’ouverture des négociations avec le Parlement européen sur ces textes.
Le règlement sur le « filtrage » permettrait la mise en place de contrôles préalables à l’entrée dans l’UE sur une période de cinq jours, applicables à tous les ressortissants de pays tiers qui franchissent les frontières extérieures d’un État membre par voie terrestre, maritime ou aérienne, qu’ils aient ou non demandé une protection internationale. À l’issue de ce filtrage, les personnes devraient être orientées vers une procédure d’asile normale ou à la frontière, ou bien vers une procédure d’éloignement. Alors que cette proposition de règlement était déjà dénoncée par de nombreuses organisations de la société civile, telles que le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), notamment en raison de la possibilité pour les États membres de recourir à la rétention aux frontières – le texte adopté par le Conseil de l’UE propose d’affaiblir encore davantage les mécanismes indépendants de contrôle du respect des droits fondamentaux qui étaient proposés par la Commission dans le cadre de la réforme.
En parallèle, concernant le règlement « Eurodac », le texte approuvé par les États membres vise à renforcer la base de données biométriques en assurant un suivi des demandeurs d’asile, en plus du suivi des demandes. L’ONG Amnesty International s’alarmait toutefois déjà en septembre dernier du risque que la base de données ne devienne un « puissant outil de surveillance de masse ».
En contrepartie du renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union, la présidence française a présenté, lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 10 juin, un projet de déclaration pour la mise en place d’un « mécanisme de solidarité volontaire », destiné à soutenir les États membres situés en première ligne. Ce mécanisme, d’une durée d’un an renouvelable, prévoit la relocalisation des demandeurs d’asile arrivés dans l’UE par voie maritime après une opération de recherche et de sauvetage – sur le modèle du pré-accord de la Valette adopté en 2019. À défaut d’une relocalisation, les États membres peuvent apporter d’autres types de contributions, notamment sur le plan financier, matériel ou humain. La crise en Ukraine ayant démontré que chaque État membre pouvait être concerné par une hausse des arrivées de personnes en besoin de protection sur son territoire, 21 États membres de l’UE et associés ont apporté leur soutien au mécanisme de solidarité proposé. Parmi ces derniers, une dizaine de pays se sont engagés à relocaliser entre 8 000 et 9 000 demandeurs d’asile durant la première année de mise en œuvre de l’accord, dont la France et l’Allemagne qui ont promis 7 000 relocalisations chacune.
Bien que l’adoption de la déclaration représente une avancée après des années de blocage, ce mécanisme de solidarité volontaire et temporaire, issu d’une déclaration, ne sera pas contraignant d’un point de vue juridique, contrairement aux deux règlements sur le filtrage et Eurodac qui renforceront les contrôles aux frontières de l’Union. Comme le souligne l’ONG Oxfam, les États européens pourront ainsi continuer à « se soustraire à leur responsabilité » pour laisser la charge de l’accueil aux États en première ligne.
Avancées de la réforme du Code frontières Schengen
En parallèle des négociations du Pacte selon une approche « graduelle », la présidence française a également fait avancer la réforme du Code frontières Schengen, qui comprend notamment une proposition de règlement visant à « faire face aux situations d’instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l’asile », présentée par la Commission européenne le 14 décembre 2021 suite à la hausse des arrivées de demandeurs d’asile depuis la Biélorussie. Lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 10 juin dernier, les États membres de l’UE ont ainsi adopté une orientation générale concernant la réforme, qui lui permet de pouvoir engager les négociations avec le Parlement européen.
Si la proposition de règlement relative à « l’instrumentalisation des flux migratoires » était déjà condamnée par les organisations de la société civile en raison des dérogations qu’elle proposait au régime d’asile européen commun en matière d’accès à la procédure d’asile, de conditions d’accueil et de retour – l’orientation du Conseil adopte une approche encore plus restrictive. Le Conseil de l’UE étend ainsi la définition des « situations d’instrumentalisation » aux acteurs non étatiques, en plus des pays tiers qui « encouragent le déplacement de ressortissants de pays tiers vers un État membre de l’UE ». Comme le souligne ECRE, la définition de ce type de situation est si vaste que de nombreux États membres risquent de déroger fréquemment aux dispositions prévues par le droit européen pour entraver l’accès à l’asile.
Alors que l’ensemble des textes adoptés par le Conseil de l’UE sous la présidence française doivent désormais être examinés par le Parlement européen et que les négociations des autres propositions du Pacte devront se poursuivre sous la présidence tchèque du Conseil de l’UE, les organisations de la société civile continuent de plaider pour le retrait des dispositions qui mettraient en péril l’accès à l’asile au sein de l’Union.