Méditerranée centrale : l’UE présente un plan d’action axé sur le renforcement de la coopération avec les pays tiers
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 24 novembre 2022Après trois semaines de vives tensions entre l’Italie et la France et d’errance en mer, les 234 rescapés à bord du navire humanitaire Ocean Viking de l’ONG SOS Méditerranée, dont 44 mineurs isolés étrangers, ont pu débarquer dans le port français de Toulon le 11 novembre. La France a dénoncé l’attitude « inadmissible » du gouvernement d’extrême-droite italien dirigé par Giorgia Meloni qui a bloqué l’accès à ses ports en violation du droit international, tandis que l’Italie a condamné une réaction française « agressive, incompréhensible et injustifiée ». « Nous ne pouvons pas permettre que deux États membres s’affrontent et créent une nouvelle méga-crise politique sur la migration » déclarait Margaritis Schinas, le Vice-président de la Commission.
En réaction à la crise diplomatique qui a de nouveau ébranlé la solidarité européenne sur la question de l’accueil des personnes exilées secourues en mer, la Commission européenne a présenté, le 21 novembre dernier, un « plan d’action concernant la Méditerranée centrale ». Ce dernier doit être discuté le 25 novembre par les États membres de l’Union européenne à l’occasion d’une réunion extraordinaire du Conseil « Justice et affaires intérieures », convoquée par la présidence tchèque.
Le Plan, articulé autour de vingt mesures, vise principalement à renforcer la coopération avec les pays tiers dans le but de limiter les arrivées et d’accroître les retours. La Commission souhaite également une plus grande coordination en matière de recherche et de sauvetage et davantage de solidarité entre les États membres.
Vers un renforcement de la coopération avec les pays d’Afrique du Nord
Un pan entier du Plan d’action est ainsi consacré au renforcement de la coopération avec les autorités des pays tiers – notamment la Tunisie, l’Égypte et la Libye -, dans le but d’empêcher les départs depuis les côtes d’Afrique du Nord. La Commission ambitionne également de renforcer la coopération avec le Niger, notamment suite à la signature d’un accord le 15 juillet dernier pour renforcer les contrôles aux frontières du pays. En échange, l’Union européenne s’engage à allouer 580 millions d’euros entre 2021 et 2023 à ces pays.
L’Italie – qui s’est dite « satisfaite » du Plan de la Commission par la voix de son ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi -, se fixe également comme objectif de renforcer la coopération avec les pays d’Afrique du Nord pour prévenir les départs dans le cadre du programme de la coalition d’extrême droite à la tête du pays. L’accord conclu entre l’Italie et la Libye en 2017 avec le soutien de l’UE et qui prévoit un soutien financier et matériel aux garde-côtes libyens pour intercepter les migrants en mer et les renvoyer en Libye, a été automatiquement renouvelé pour trois ans supplémentaires, le 2 novembre dernier. Pourtant, les exactions perpétrées à l’encontre des migrants en Libye sont largement documentées par les organisations de la société civile. Selon l’OIM, plus de 20 800 personnes ont été interceptées en mer par les garde-côtes libyens et renvoyées dans le pays depuis le début de l’année.
La Commission européenne souhaite en parallèle faciliter les retours des personnes déboutées de l’asile dans l’Union européenne vers leurs pays d’origine via la signature de nouveaux accords de réadmission. Face à la hausse des arrivées dans l’UE de personnes en provenance du Bangladesh, la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson s’est rendue dans le pays les 10 et 11 novembre dernier afin de faciliter les procédures de retour des ressortissants bangladais.
Des mesures peu ambitieuses en matière de recherche et de sauvetage
Le plan d’action européen prévoit, dans un deuxième pilier, une coopération accrue entre les États membres et l’ensemble des acteurs participant aux missions de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, notamment via le lancement d’un « groupe de contact européen en matière de recherche et de sauvetage », qui était annoncé dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile présenté en septembre 2020.
Alors que l’accueil des personnes exilées secourues en mer par des navires humanitaires fait l’objet de vives tensions entre les États membres depuis des années malgré l’obligation légale de secourir toute personne en détresse en mer, la Commission souhaite « encourager les discussions » au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI) pour parvenir à un cadre et des lignes directrices spécifiques pour les navires effectuant des opérations de recherche et de sauvetage.
En vertu du droit maritime international, le débarquement doit être effectué dans un port « sûr » et dans les plus brefs délais pour toutes les personnes secourues. En violation de ces obligations, l’Italie a toutefois déclaré au début du mois de novembre au sujet du débarquement de l’Ocean Viking que la responsabilité de l’accueil des personnes secourues en mer incombait à l’État du pavillon des navires humanitaires, en imposant en parallèle une interdiction d’entrée dans les eaux territoriales italiennes.
Alors que les missions de recherche et de sauvetage sont une responsabilité légale des États, des ONG et certains députés européens, à l’image de Tineke Strik, déplorent le manque de propositions concrètes pour la mise en place d’une opération de recherche et de sauvetage coordonnée par ces derniers, remplacée au contraire dans le Plan d’action par le renforcement des contrôles de Frontex. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’OIM, environ 15 % des 90 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée centrale depuis le début d’année ont été secourues par des navires d’ONG.
Une volonté d’accélérer la mise en œuvre du mécanisme de solidarité volontaire
Le dernier pilier du Plan d’action européen appelle à accélérer la mise en œuvre du mécanisme de solidarité volontaire, adopté le 22 juin dernier sous la présidence française du Conseil de l’UE pour une durée initiale d’un an, compte tenu de l’enlisement des négociations du Pacte sur la migration et l’asile. La Commission appelle en particulier les États membres à accélérer les relocalisations de personnes en besoin de protection depuis les pays faisant face à de nombreuses arrivées par voie maritime – tels que l’Italie ou encore l’Espagne, la Grèce, Chypre et Malte -, vers d’autres États membres volontaires. Les États ne souhaitant pas prendre part aux relocalisations sont appelés à mettre en œuvre des « mesures alternatives de solidarité », notamment un soutien financier aux pays en première ligne.
Dans le cadre du mécanisme de solidarité temporaire adopté en juin dernier, 21 États membres de l’UE et associés se sont engagés à apporter leur soutien. Parmi ces derniers, 12 États membres dont la France et l’Allemagne se sont engagés à relocaliser 8 000 demandeurs d’asile depuis les pays de première entrée comme l’Italie.
Alors que la France s’était engagée à accueillir 3 500 personnes dans le cadre de ce mécanisme, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré la suspension de la participation française suite aux tensions avec le gouvernement italien au sujet du débarquement de l’Ocean Viking.
Malgré les engagements pris par les États membres, seules 117 personnes ont été relocalisées à ce jour vers l’Allemagne et la France, sur l’ensemble des 8 000 relocalisations promises. Dans une déclaration commune signée le 12 novembre, les ministres de l’Intérieur de Malte, Chypre et de Grèce ont dénoncé le manque de répartition durable des personnes exilées au sein de l’UE et la lenteur du système de relocalisation, symbole du déficit de solidarité entre les États membres.