Un nouvel accord migratoire de l’Union européenne avec la Tunisie
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 17 juillet 2022©Croissant Rouge Tunisien de Sfax
La préparation de l’accord sur le « partenariat global » s’est effectué dans un climat de fortes tensions en Tunisie. Après des manifestations et le décès d’un Tunisien suite à une altercation entre personnes migrantes subsahariennes et Tunisiens à Sfax le 3 juillet, de nombreuses personnes migrantes se retrouvent à la rue, chassées de leurs habitations, tandis que plusieurs centaines d’autres ont subi des expulsions sommaires vers la Libye ou l’Algérie. Malgré cette crise, les discussions se poursuivent entre États membres.
Lors du Conseil européen du 29 et 30 juin dernier, un groupe de neuf États européens (la Croatie, l’Espagne, la France, l’Italie, la Grèce, la Slovénie et le Portugal, Chypre et Malte) avaient fait pression pour obtenir un « partenariat euro-méditerranéen » fondé sur la coopération en matière de migration. Le Maroc, le Nigéria et l’Égypte constituent les « partenaires prioritaires » après que le partenariat avec la Tunisie ait été érigé par la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen comme un modèle à reproduire.
Alors que cette dernière venait d’annoncer la conclusion prochaine d’un « partenariat global » comprenant un important volet migratoire avec la Tunisie et promettant une très généreuse enveloppe budgétaire, le président tunisien Kais Saied a déclaré ne pas vouloir que son pays soit un pays de transit ou d’établissement. Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien, et Mark Rutte, le premier ministre néerlandais s’étaient rendus en Tunisie le 11 juin pour proposer au président Kaïs Saïed ce large accord de coopération.
Les montants pouvant être engagés par l’Union européenne (UE) au sein de ce partenariat sont colossaux : il s’agit d’abord d’un prêt pouvant atteindre jusqu’à 900 millions d’euros, mais aussi d’une aide budgétaire de 150 millions d’euros et d’un paquet de 105 millions d’euros pour la gestion de la migration pour 2023. La Commission européenne dit vouloir utiliser « une partie » des 105 millions d’euros destinés à des projets en Afrique du Nord pour financer des équipements de surveillance et de sauvetage en Tunisie. L’UE prévoit ainsi de livrer d’ici l’été, des bateaux, des radars mobiles, des caméras et véhicules à la Tunisie. Cette décision est non sans rappeler la livraison récente de deux patrouilleurs à la Libye, en présence de fonctionnaires de la Commission européenne et des autorités italiennes. Elle intervient également dans le contexte d’accusations récentes à l’encontre des garde-côtes tunisiens pour des actes de violence. Le 22 juin dernier, ces derniers auraient lancé du gaz lacrymogène vers une embarcation de 97 personnes provoquant son naufrage au large de la ville de Sfax. Enfin, une coopération policière et judiciaire accrue est prévue au sein du « partenariat global » pour lutter contre les réseaux de passeurs.
Ce partenariat est le fruit d’une série de rencontres engagées depuis plusieurs mois. Le 27 avril, lors de sa visite en Tunisie, la Commissaire européenne aux Affaires Intérieures Ylva Johansson s’était en effet déjà entretenue avec son homologue Nabil Ammar sur une coopération financière, logistique et policière accrue entre la Tunisie et l’UE pour prévenir la migration irrégulière. Certains États membres au premier rang desquels l’Italie et son ministre des affaires étrangères Antonio Tajani, ont fortement encouragé cet accord tandis que des coopérations bilatérales sont également discutées.
Récemment, la visite de Gérald Darmanin en Tunisie, aux côtés de son homologue allemande, Nancy Faeser a donné lieu à une « aide bilatérale » de la France d’une somme de 25,8 millions d’euros afin de soutenir « les efforts locaux dans la lutte contre la migration irrégulière », dans l’espoir d’obtenir une meilleure réadmission de Tunisiens résidant irrégulièrement en France.
Du côté italien, Antonio Tajani et le ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, s’étaient rendus en Tunisie en janvier pour une visite diplomatique axée sur la « lutte contre les départs irréguliers » vers l’Italie. Antonio Tajani avait affirmé que l’Italie était « prête à augmenter le nombre de migrants réguliers, formés en Tunisie, qui peuvent venir travailler en Italie dans l’agriculture et l’industrie », en contrepartie cependant d’une « lutte renforcée contre l’immigration irrégulière ».
Ces visites s’effectuent dans le contexte d’une hausse des départs depuis la Tunisie, notamment depuis la ville de Sfax, deuxième ville du pays. Un rapport du Service européen pour l’action extérieure publié en mars établissait ainsi que la Tunisie a remplacé la Libye comme premier pays de départ. En tout, 64 930 personnes sont arrivées par la mer en Italie entre le 1er janvier et le 3 juillet selon les chiffres du ministère de l’Intérieur italien. Les ressortissants de nationalité tunisienne représentent 7% du total depuis janvier 2023, soit environ 4 318 personnes.
Bien que le président Kaïs Saïed affirme que « l’approche sécuritaire a montré ses limites face au phénomène de la migration », c’est pourtant sur cette voie que s’engage le nouveau partenariat avec l’Union européenne. En réaction, une soixantaine d’ONG – dont Alarm Phone, Open Arms et Avocats sans frontières (AVS) ont publié un communiqué dans lequel elles demandent aux autorités européennes « de retirer leurs accords ».
Malgré les déclarations contradictoires du Président tunisien et la situation critique dans le Sud du pays, l’Union européenne et la Tunisie ont finalement adopté le Protocole d’accord, le 16 juillet dernier, à Tunis.