Déclaration commune : Les ONG appellent les États membres et le Parlement européen à rejeter l'utilisation de vides juridiques dans les réformes du droit d'asile de l'UE
Joint Statement ECRE(Traduction de la déclaration conjointe publié en anglais par ECRE le 14 juillet 2023).
Les États membres et le Parlement européen, les co-législateurs de l’UE, vont de l’avant avec une réforme du droit d’asile de l’UE sous la forme du Pacte sur la migration et l’asile, qui réduit les normes de protection et porte atteinte aux droits de l’homme des demandeurs d’asile en Europe. Mais ce n’est pas tout.
Certains États membres de l’UE cherchent à relancer une proposition supplémentaire sur l’ « instrumentalisation » introduite en 2021, qui leur permettrait de déroger à leurs obligations en cas d’allégation d’ « instrumentalisation des migrants », sapant ainsi l’harmonisation et le système commun. Pour plus de détails, voir cette analyse et cette déclaration.
Les efforts déployés en 2022 pour parvenir à un accord entre les États membres sur le règlement relatif à l’instrumentalisation ont été contrariés lorsque certains États membres ont perçu les risques inhérents à la proposition. Aujourd’hui, le Conseil tente de fusionner son contenu avec une autre proposition, le règlement relatif aux situations de crise et de force majeure, afin de créer un règlement » crise, force majeure et instrumentalisation » (ci-après « le règlement fusionné »). Avec cette initiative, les États membres créeraient pour eux-mêmes trois régimes dérogatoires : la crise, la force majeure et l’instrumentalisation, des cas qui ne sont que vaguement définis ou qui ne le sont pas du tout. Des dérogations supplémentaires et de grande ampleur sont en cours de discussion. Ceci intervient à un moment où le principal défi du régime d’asile européen commun est le manque de respect des obligations légales, dans un contexte de crise de l’Etat de droit au sein de l’UE.
Au sein du Parlement, il existe une forte opposition à la codification du concept d’ « instrumentalisation » dans le droit européen, et les amendements proposés par le Parlement au règlement de « crise» rejettent l’utilisation (abusive) de la « force majeure ». Cependant, les États membres misent sur la volonté du Parlement d’obtenir un résultat sur le règlement « crise » et espèrent que pour cela il acceptera le règlement fusionné.
Si elle est adoptée, la proposition aura un effet néfaste important sur les droits fondamentaux des personnes demandant une protection en Europe et résultera en :
- un accès réduit à l’asile en raison de périodes d’enregistrement retardées,
- un accès restreint à des conseillers juridiques et un risque accru de refoulement ;
- un nombre beaucoup plus important de personnes dont la demande d’asile sera gérée dans le cadre de procédures d’asile à la frontière que dans le cadre de la procédure d’asile normale ;
- l’augmentation des cas de rétention de personnes à la frontière, y compris de mineurs non accompagnés et de familles, en raison de l’allongement des délais et du champ d’application des procédures d’asile et de retour à la frontière ;
- des conditions d’accueil et des dispositions matérielles et sanitaires largement sommaires qui ne suffiront pas à garantir le respect de la dignité humaine, en particulier pour les personnes vulnérables, telles que les mineurs ou les personnes victimes de torture ou de traite d’êtres humains.
Le règlement fusionné :
- est disproportionné en termes d’impact négatif significatif sur les droits fondamentaux des personnes concernées ;
- peut créer des situations de discrimination à l’encontre de certains groupes de réfugiés, en violation de l’article 3 de la Convention sur les réfugiés de 1951 et des articles 2 et 22 de la Convention sur les droits de l’enfant ;
- est injuste pour les États membres qui respectent les normes et entraînera une responsabilité accrue pour ces États, car le manque de respect des normes de l’UE et du droit international créera un facteur d’incitation ;
- ne fait rien pour remédier à la situation d’ « instrumentalisation » par des pays tiers, mais vise plutôt les personnes en quête de protection, qui sont elles-mêmes victimes de cette instrumentalisation ;
- conduira à l’érosion du régime d’asile européen commun, qui souffre déjà d’un non-respect généralisé et largement impuni.
Le cadre juridique actuel offre déjà une certaine flexibilité aux États membres pour faire face à l’évolution des événements à leurs frontières, y compris en autorisant des dérogations, bien qu’elles soient étroitement, et à raison, circonscrites par les traités et la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE.
Les organisations signataires de cette déclaration rejettent la tentative d’introduire des mécanismes permettant aux États membres de déroger à leurs obligations dans différentes situations et demandent ce qui suit :
Concernant la position des États membres sur le règlement fusionné :
- Les États membres devraient rejeter la fusion des notions de crise, de force majeure et d’instrumentalisation ;
- Le règlement sur l’instrumentalisation, son contenu et le concept lui-même devraient être définitivement retirés des négociations sur la réforme ;
- Les États membres devraient rejeter l’utilisation abusive du concept de « force majeure » comme base pour les dérogations dans le droit d’asile de l’UE ;
- En définissant sa position sur le règlement relatif aux situation de crise, le Conseil devrait adopter des mesures destinées à aider les États membres à respecter leurs obligations de protection en situation de crise, telles que la levée du critère de pays de première entrée, le soutien à la protection immédiate, un mécanisme de reconnaissance prima facie, ainsi que des mesures de préparation à la crise et de solidarité.
Concernant la position du Parlement européen sur le règlement fusionné :
Le Parlement européen, dans sa recherche d’un accord sur le règlement relatif aux situations de crise, ne devrait pas accepter l’intégration du contenu du règlement relatif à l’instrumentalisation et devrait rejeter la notion de « force majeure » ;
Concernant l’utilisation de dérogations :
- Comme c’est actuellement le cas dans le droit de l’UE – tel que prescrit par la CJUE – tout recours à des dérogations devrait être strictement limité et s’inscrire dans les limites du droit primaire de l’UE ;
- Dans le règlement « crise » – ou toute autre proposition de réforme – les dérogations qui portent atteinte aux droits fondamentaux devraient être supprimées. Cela inclut les dérogations qui conduisent à une utilisation accrue de la procédure frontalière.
Concernant le régime d’autorisation :
Toute utilisation d’un régime dérogatoire, que ce soit dans le règlement « crise » ou dans d’autres instruments, doit faire l’objet d’une procédure d’autorisation solide, et ne doit pas être invoquée par les États membres à leur guise ;
Au minimum, la procédure d’autorisation doit inclure des définitions claires et juridiquement vérifiables ; stipuler les preuves à fournir par l’État membre cherchant à déroger ; ajouter un pouvoir discrétionnaire permettant à la Commission d’examiner les demandes des États membres et de décider s’il convient d’y donner suite exiger une décision d’application du Conseil et supprimer la possibilité pour l’État membre de déroger avant l’adoption d’une décision ; inclure une évaluation de l’impact des dérogations proposées sur les autres États membres de l’UE et sur la gestion harmonisée de l’asile ; subordonner l’adoption d’une décision d’exécution du Conseil au déploiement d’agences de l’UE dans l’État membre concerné ; associer le Conseil et le Parlement européen au suivi de la situation.
Liste des signataires :
Accem
Action for Women
ActionAid International
Alianza-ActionAid Spain
AMERA International
Amnesty International
ASGI Associazione per gli Studi Giuiridici sull’Immigrazione
Association for Legal Intervention (SIP)
AsyLex
Asylrättscentrum – Swedish Refugee Law Center
AWO Bundesverband e.V.
Better Days Greece
Boat Refugee Foundation
Caritas Europa
Center for Research and Social Development IDEAS
Centre for Peace Studies
Churches´Commission for Migrants in Europe CCME
CNCD-11.11.11
COFACE Families Europe
Comissió Catalana d’Acció pel Refugi (CCAR)
Conselho Português para os Refugiados (Portuguese Refugee Council)
Consiglio Italiano per i Rifugiati
CONVIVE – Fundación Cepaim
Danish Refugee Council (DRC)
Diotima Centre for Gender Rights and Equality
DRC Greece
Dutch Council for Refugees
ECRE
Entreculturas
Equal Legal Aid
Estonian Refugee Council
EuroMed Rights
FARR, the Swedish Network of Refugee Support Groups
Federación Andalucía Acoge
Federation Italian Christian organisations for international civil service FOCSIV
Fenix Humanitarian Legal Aid
Finnish Refugee Advice Centre
Forum réfugiés
France terre d’asile
Greek Council for Refugees (GCR)
Helsinki Foundation for Human Rights, Poland
HIAS Europe
Human Rights Legal Project
Human Rights Watch
HumanRights360
I Have Rights
Irídia – Centre per la Defensa dels Drets Humans
Ιrida Women’s Center
Ivorian Community of Greece
Jesuit Refugee Service Greece (JRS Greece)
Jesuit Refugee Service Malta
JRS Europe
JRS Portugal
JRS-Luxembourg, asbl
Justícia i Pau Barcelona
Kids in Need of Defense (KIND)
La Cimade
Lafede.cat – Organitzacions per a la justícia global
LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Legal Centre Lesvos
Lighthouse Relief
METAdrasi
Migration Policy Group
Mobile Info Team
Mosaico azioni per i rifugiati
Movement for Peace MPDL
NANSEN the Belgian Refugee Council
Network for Children’s Rights – Greece
Novact
Ocalenie Foundation
Oxfam
PIC – Legal Center for the Protection of Human Rights and the Environment
Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants – PICUM
Plattform Asyl – FÜR MENSCHEN RECHTE
PRO ASYL
Quaker Council for European Affairs
Red Acoge
Refugee Legal Support (RLS)
Refugee Support Aegean (RSA)
Refugees International
Safe Passage International Greece
Save the Children
SOLIDAR
SolidarityNow
Spanish Council for Refugees (CEAR)
Swiss Refugee Council
Symbiosis – Council of Europe School of Political Studies in Greece
terre des hommes Germany
The Border Violence Monitoring Network
The Syrian Center for Media and Freedom of Expression