Pays-Bas : l’immigration et l’asile au cœur de la victoire de l’extrême droite aux élections législatives
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 19 décembre 2023©Roel Wijnantsv (redimensionnée)
« Endiguer le tsunami de l’asile pour permettre aux Néerlandais d’avoir plus d’argent dans leur portefeuille », c’est la promesse faite par Geert Widers, chef du parti PVV (extrême droite), à l’annonce de la victoire de son parti aux législatives le jeudi 23 novembre 2023. Ouvertement anti-immigration, il avait inscrit l’interdiction des mosquées et du Coran dans son programme, malgré la non-conformité constitutionnelle. Il a par ailleurs multiplié les déclarations promettant de dénaturaliser automatiquement les personnes étrangères ayant commis des crimes et geler les demandes d’asile, avant d’assouplir sa position, reconnaissant les obstacles juridiques et moraux.
La stratégie de l’extrême droite vise à présenter le phénomène de l’immigration comme un flux d’arrivées massif et durable d’étrangers non européens. Cependant, le Conseil néerlandais pour les réfugiés a révélé que l’augmentation du nombre d’arrivées en 2022 aux Pays Bas était majoritairement attribuable à l’afflux de personnes exilées ukrainiennes, et que les personnes en demande d’asile n’en représentaient qu’une proportion de 12%.
La pression de nouveaux arrivants dans un contexte de crise de l’hébergement a joué un rôle majeur dans la campagne. Le pays est depuis longtemps confronté à une crise de l’accueil en raison du manque de capacité d’hébergement. Durant l’année 2022, près de la moitié des personnes demandant l’asile, pouvant prétendre à des dispositifs d’accueil, ont été hébergées dans divers lieux d’urgence temporaire ou de crise : bateaux, tentes ou encore salles de sport. La Cour d’appel de la Haye a jugé que les conditions de vie au sein de ces structures ne répondaient pas aux exigences légales minimales. Les gouvernements précédents n’ont pas été en mesure de répondre à ces préoccupations, ce qui a renforcé le discours du PVV présentant les nouveaux arrivants comme responsables de la pénurie de logement, et des problèmes économiques aux Pays-Bas en général.
La politique d’immigration au cœur des tensions politiques
En juillet, la question de l’asile avait provoqué la chute du gouvernement de Mark Rutte, au pouvoir aux Pays Bas depuis 2010. Les divergences « insurmontables » sur le projet de loi qui visait à durcir les conditions du regroupement familial avaient entraîné sa démission, précipitant ainsi des élections anticipées. Face à la montée du PVV, Dilan Yesilgöz, qui a succédé à Mark Rutte à la tête du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VDD), a fait campagne sur des propositions sévères en matière d’asile et d’immigration, jusqu’alors défendues uniquement par l’extrême droite. Cette stratégie a contribué à légitimer et normaliser les positions du PVV. Le politologue Fabien Escalona affirme que l’extrême droite s’est positionnée comme une option légitime au sein du bloc de droite une fois solidement établie sur la scène électorale.
Au-delà de vouloir réduire la part des contributions néerlandaises à l’Union européenne, de bloquer l’adhésion de l’Ukraine et de rétablir des visas de travail pour les ressortissants de l’Union européenne, la promesse phare de Geet Wilders a été le « Nexit », un referendum pour sortir de l’Union européenne. Cependant, il semble peu probable qu’il soit réellement organisé, en raison de sa non-popularité : seulement 15% des Néerlandais seraient en faveur d’une sortie de l’Union.
Mais encore faut-il que Geert Wilders parvienne à former un gouvernement. Soutiens nécessaires pour obtenir une majorité, les partis du VDD et du Nouveau contrat social (NSC) s’opposent pour le moment à toute coalition. Ces résultats ne sont donc que le prélude à des mois de discussions, qui ont duré 271 jours après les dernières élections. En attendant la formation d’un nouveau gouvernement qui risque de durer plusieurs mois, le VDD avec à sa tête Mark Rutte continuera d’exercer ses fonctions, au niveau national et européen.
Cette victoire inattendue s’inscrit dans une tendance ascendante des partis d’extrême droite en Europe : de l’Autriche à la Slovaquie en passant par la Finlande et la Suède, l’extrême droite populiste-nationaliste est devenue une réalité de la vie politique. En Italie, c’est elle qui gouverne. Le PVV affirme aujourd’hui vouloir être à la table du Conseil pour peser sur les décisions, ce qui présente un risque de paralysie de l’institution étant donné que les décisions requièrent un vote unanime. Cette victoire législative éveille la crainte d’une nouvelle vague d’extrême droite, à quelques mois des élections européennes en juin 2024 : un nouveau sondage d’Europe Elects pour Euractiv souligne qu’elle atteindrait des records d’intentions de vote.