« Avec le projet pilote en Bulgarie, la procédure accélérée est en train d’être légitimée »
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 27 février 2024Pouvez-vous présenter en quelques mots les projets pilotes et leurs objectifs ?
Les projets pilotes ont deux caractéristiques principales. La première concerne la procédure accélérée, qui n’est pas une nouveauté en soi. Elle existait avant le projet pilote ; elle a été appliquée de manière systématique dans le passé aux demandes d’asile de certaines nationalités, en particulier les Afghans. Ce projet pilote a été financé par l’Autriche puis repris par la Commission européenne. L’Autriche a contesté l’adhésion de la Bulgarie à l’espace Schengen principalement à cause de sa gestion insuffisante de la migration irrégulière. Mais il existe en Bulgarie beaucoup de spéculations sur des motivations d’ordre politique derrière ce refus. De nombreuses personnes en Autriche sont soumises au règlement Dublin et le pays souhaiterait le renvoi des demandeurs d’asile en Bulgarie ; mais notre système d’accueil et de l’asile ne peut pas les traiter assez rapidement.
La deuxième caractéristique introduite par le projet pilote, qui n’était pas médiatisée en Bulgarie, est l’application de la procédure accélérée à tous les demandeurs d’asile dans les « centres de transit ». J’ai visité l’un de ces centres à Pastrogor, une petite ville sur la frontière entre la Bulgarie et la Turquie. C’est un centre ouvert faisant partie du système d’accueil sous l’autorité de l’agence de l’État pour les réfugiés. La définition légale d’un « centre de transit » n’est pas claire, étant donné que toutes les personnes hébergées ici sont des demandeurs d’asile ayant déposé leurs demandes en Bulgarie. Elles sont, en grande majorité, originaires d’Iraq, d’Algérie ou du Maroc (devenu le troisième pays d’origine des demandeurs d’asile depuis l’année dernière, derrière la Syrie et l’Afghanistan). Dans la pratique administrative, les autorités bulgares considèrent que toutes leurs demandes d’asile sont infondées, et appliquent donc la procédure accélérée à tous ceux qui y sont hébergés.
Que pensez-vous de l’évaluation de la Commission européenne ? Existe-t-il un lien direct avec la délibération et le vote du Pacte européen de l’immigration et l’asile ?
Six mois après l’introduction du projet pilote, la Commission européenne a publié un rapport qui souligne les avantages du projet pilote pour la gestion de la migration. Selon certains interlocuteurs, le projet pilote sert de base pour la collecte des données sur le nombre de demandes jugées infondées en procédure accélérée et sur le nombre de recours qui ont finalement eu un avis favorable en procédure normale. Ces données pourront ensuite être utilisées en faveur de la nouvelle procédure frontalière, comme envisagé par le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile.
Il existe une résistance en Bulgarie à l’introduction de la procédure à la frontière, en particulier venus de la société civile. Le centre est situé à côté de la frontière, mais il est toujours sur le territoire bulgare. Si le projet pilote est utilisé pour justifier l’introduction d’une procédure à la frontière, l’approche sera circulaire ; en appliquant la procédure accélérée, vous donnez moins de chance aux personnes exilées d’avoir des garanties procédurales dans la présentation de leur demande. En faisant appel d’un refus, très peu de personnes se voient attribuer l’asile en deuxième instance. Ainsi, la collecte des données est biaisée, et pourtant ces projets peuvent servir de moyen pour soutenir des réformes controversées, puisque les institutions affirment : « Nous l’avons testé, et ça marche ». Mais nous, acteurs de la société civile, faisons tout notre possible pour les dénoncer. Avec ce projet pilote, la procédure accélérée est en train d’être légitimée et établie comme pratique.
Dans le cadre des nouvelles règles prévues par le Pacte, la procédure à la frontière devra être appliquée aux demandeurs provenant de pays pour lesquels le taux de reconnaissance est inférieur à 20 %. Quel serait l’impact en Bulgarie ?
Si c’est inscrit dans la législation, la Bulgarie serait bien sûr obligée de la respecter. Mais le taux de reconnaissance est aussi circulaire. Qui décide qu’un pays a un taux de reconnaissance supérieur à 20% ? C’est l’autorité chargée de l’asile qui décide d’appliquer la procédure accélérée sur la base de ses propres décisions négatives, et donc de son propre chef. Cette règle dépend de la qualité du système d’accueil et d’asile. Si le système d’asile est mauvais, et ne prend pas en compte les personnes qui ont des demandes fondées, on reste sur des procédures négatives indéfiniment.
C’est le cas en Bulgarie depuis plusieurs années concernant les demandes d’asile des personnes venant d’Afghanistan, dont le taux de décisions négatives est disproportionné par rapport à d’autres pays de l’UE. La société civile a essayé de sensibiliser les autorités en charge de l’attribution de l’asile au conflit Afghan pour y remédier, en vain. C’est pour cette raison qu’il est problématique d’avoir des pourcentages fixés. Si le système est défaillant et que vous appliquez la procédure accélérée basée sur ces données, vous renforcez ces mêmes défaillances.
Selon vous, comment peut-on rompre ce cycle de défaillances ?
La principale difficulté pour les États membres sont les retours. Quand une personne exilée arrive dans un pays de l’Union européenne (pour diverses raisons) leur renvoi devient difficile, même pour ceux qui n’ont pas une demande d’asile fondée. Pour cette raison, les pays veulent limiter leur entrée. Pour moi, la solution est d’avoir une évaluation des besoins de protection de bonne qualité car c’est le seul moyen de savoir si la personne est éligible à une protection internationale. Quand vous renvoyez tout le monde, vous expulsez également ceux qui ont besoin de protection. L’externalisation progressive ne s’arrêtera jamais ; aujourd’hui c’est la procédure accélérée, demain ce sera la procédure aux frontières … Vous diminuez les protections internationales. Comment évaluer toutes les demandes en procédures accélérées aux frontières ? Ce ne sera pas possible. L’idée derrière ces projets pilote est de ne pas donner aux personnes exilées l’opportunité d’une protection internationale, l’idée est de ne les pas laisser rentrer.