Loi finlandaise sur les pushbacks : « Une déviation majeure pour un pays jusqu’ici mondialement reconnu pour respecter l’État de droit »
Pargol Miraftabi, avocate au Finnish Refugee Advice Centre - Publié le 26 août 2024Vendredi 12 juillet, le Parlement finlandais a adopté une « loi sur les mesures temporaires de lutte contre l’immigration instrumentalisée », aussi connue sous le nom de « loi sur les pushbacks ». Cette législation, valable pour une période d’un an, permettra dorénavant aux autorités de refuser l’entrée des personnes migrantes arrivant en Finlande par la frontière orientale avec la Russie, que le gouvernement finlandais juge orchestrées par Moscou.
Pargol Miraftabi, avocate au Finnish Refugee Advice Centre, décrypte les changements majeurs et les problèmes liés à cette nouvelle législation.
Pouvez-vous nous expliquer les événements récents qui ont eu lieu à la frontière entre la Finlande et la Russie ?
Au cours de l’automne 2023, la Finlande a vu de plus en plus de personnes exilées arriver à sa frontière avec la Russie, longue de plus de 1300 kilomètres.
Selon les autorités finlandaises, entre août 2023 et la fin de l’année, près de 1300 personnes migrantes provenant de pays tels que la Somalie, l’Irak, le Yémen et la Syrie se sont présentés aux postes de frontières. Le nombre d’arrivées est donc resté relativement bas, mais a augmenté de façon significative sur une courte période.
L’offensive russe en Ukraine en février 2022 a conduit la Finlande à s’inquiéter à nouveau très fortement pour sa sécurité, alors que les relations avec la Russie se sont dégradées avec la guerre. La Finlande a alors perçu l’arrivée de candidats à l’asile à sa frontière comme une crise orchestrée par la Russie, une « attaque hybride » instrumentalisant la migration à des fins de déstabilisation.
Comment la Finlande a-t-elle réagi à cette situation ?
La Finlande a progressivement fermé tous les points de passage de sa frontière terrestre avec la Russie depuis novembre, ce qui devait être temporaire mais a finalement été prolongé et étendu par une décision de fermer la frontière pour une durée indéterminée. Parallèlement, le gouvernement a adopté une loi temporaire lui permettant de refouler les personnes à la frontière, sans leur laisser la possibilité de demander l’asile, à l’encontre du droit international. La décision autorisant le déclenchement du refoulement doit encore être prise séparément par le gouvernement, mais la loi ayant été adoptée, nous nous attendons à ce que cela soit très rapide.
Des changements avaient déjà été introduits par le gouvernement précédent en juillet 2022, avec la modification de la loi sur les gardes-frontières permettant la construction d’une clôture le long de cette frontière, ainsi que la centralisation des demandes d’asile. Le changement de gouvernement au cours de l’été 2023 a renforcé cette tendance. La réaction la plus radicale a a été la loi temporaire mentionnée précédemment, dite « loi sur les pushbacks », qui a pour objectif d’arrêter les demandeurs d’asile qui arrivent en Finlande et d’autoriser leur refoulement vers la Russie. Une deuxième loi a par ailleurs autorisé l’envoi de militaires et de réservistes à la frontière, ainsi que l’utilisation accrue des technologies de surveillance dans cette zone.
La nouvelle législation sur les pushbacks dispose que les personnes migrantes « instrumentalisées » ne seront pas autorisées à entrer sur le territoire finlandais, mais seront refoulées vers la Russie. Cependant, le gouvernement n’a pas été en mesure de donner des exemples concrets de situation d’ « instrumentalisation », mais a simplement répété que la Russie représentait une menace sécuritaire, organisait l’entrée en Finlande, et avait les capacités de conduire en quelques heures de nombreuses personnes à la frontière finlandaise. Il est donc difficile de comprendre ce concept en pratique. Malgré tout cela, des mesures radicales sont prises en son nom, des mesures qui, en tout état de cause, ne sont pas acceptables.
Actuellement, la frontière semble être calme. Depuis le début de l’année 2024, il y a eu environ 30-40 traversées irrégulières de la frontière, et la question de la proportionnalité de la réaction finlandaise se pose. L’introduction de ces changements législatifs, qui vont à l’encontre de nos obligations internationales et de notre constitution, est préoccupante et d’autant plus difficile à comprendre.
Quelles sont les possibles impacts sur les demandeurs d’asile après l’introduction de la loi ?
La terminologie utilisée est en lien avec la politique de sécurité et non avec l’asile, mais c’est la capacité des personnes exilées à demander l’asile qui va être mise à mal. Les gardes-frontières peuvent désormais recourir à la force, et nous observerons des cas de refoulement fondamentalement contraires au droit d’asile inscrit dans la Convention de Genève que la Finlande a ratifiée.
Il y a aussi une forte interrogation sur le fait de savoir ce qu’il adviendra des demandeurs d’asile qui peuvent être bloqués à la frontière. Comment leurs besoins humanitaires sont-ils satisfaits et où peuvent-ils aller ? La loi contient une exception pour les personnes faisant partie d’un « groupe particulièrement vulnérable », autorisant celles qui ont réussi à franchir la frontière à déposer une demande d’asile en Finlande. Cela fait référence aux enfants, aux personnes en situation de handicap, et aux autres groupes particulièrement vulnérables. L’évaluation est effectuée à la frontière par les garde-frontières. Dans un tel contexte, il n’existe pas de garanties procédurales, pas d’avocat, rien. Nous ne pensons pas qu’il soit possible d’identifier les vulnérabilités dans ces circonstances, puisque même dans les procédures d’asile actuelles, de nombreuses vulnérabilités ne sont pas identifiées. Malgré ces exceptions, cette législation ne peut être justifiée puisqu’elle va à l’encontre du droit de demander l’asile, un droit garanti à tous, que l’on soit on non considéré comme faisant partie d’un groupe vulnérable. Par ailleurs, ces exceptions ne s’appliqueraient pas en cas d’entrée d’un grand nombre de personnes sur le territoire ou « d’entrée violente ».
Cette loi a été beaucoup critiquée par les groupes de protection des droits humains, comment a-t-elle été reçue par les députés ?
Les critiques ne proviennent pas uniquement des groupes de protection des droits humains. La commission constitutionnelle finlandaise, qui examine la conformité d’une loi avec la constitution et les obligations juridiques internationales avant son adoption, a entendu 18 des meilleurs experts en droit constitutionnel de Finlande. Tous ont conclu qu’elle ne pourrait pas être adoptée car elle était fondamentalement contraire aux obligations du pays. Malgré cela, la commission l’a autorisée. Ce type de pratiques est rarement observé en Finlande à ce point et a nourri les débats sur la politisation de la commission.
Les discussions autour de ce sujet ont été particulièrement difficiles car il semble que la sécurité passe avant tout. Le gouvernement a commencé à redéfinir l’Etat de droit, cherchant à le redéfinir autour du concept de sécurité nationale, menacée par la Russie, plutôt qu’autour du respect de nos obligations internationales.
Quels problèmes sont soulevés vis-à-vis du droit international et des obligations internationales de la Finlande ?
Cette législation est contraire aux obligations internationales, contraire au droit d’asile, au principe de non-refoulement, à l’expulsion collective et à la non-discrimination. Elle va également à l’encontre du droit de l’Union européenne (UE) : les gardes-frontières ne devraient pas être en mesure de l’appliquer en raison de la primauté du droit de l’UE, mais la législation n’aborde pas cette question. Je pense que nous verrons des plaintes contre la Finlande parvenir devant les juridictions européennes. L’adoption de cette législation est une déviation majeure pour la Finlande qui était habituellement reconnue à l’international comme pays d’État de droit.
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