« Plateformes régionales de débarquement » et « centres contrôlés » : pont-levis soulevé, main tendue à l'autre rive de la Méditerranée ou impasse ?
Par Francesco Maiani, Professeur associé au Centre de droit comparé, européen et international (CDCEI) de l’Université de LausanneIntroduction : Les crises cycliques du régime d’asile européen commun
En 2015-2016, l’espace Schengen de libre-circulation et le régime d’asile européen commun (RAEC) ont menacé de s’effondrer totalement. Ce scénario a été évoqué [dans une autre tribune publiée sur la plateforme en ligne] « RefLaw » [de l’Ecole de droit de l’Université du Michigan]: un million de réfugiés ont débarqué en Grèce et en Italie, et se sont alors engagés dans des mouvements secondaires à travers l’Union européenne (UE). En réponse, des mesures unilatérales, niant la notion même d’un espace commun de circulation et de protection, se sont propagées comme une traînée de poudre : « transit assisté » des réfugiés non identifiés vers les Etats voisins, fermeture unilatérale des frontières, dévaluations concurrentielles des régimes d’asile nationaux compromettant l’intégrité des normes internationales et de l’UE [1]. Un semblant d’unité a pu être trouvé uniquement dans le cri de ralliement visant à « enrayer les flux ».
L’UE a alors mis en œuvre une série de mesures visant à confiner les réfugiés dans des pays situés à l’extérieur ou en périphérie de l’UE. La déclaration UE-Turquie et « l’approche des hotspots » illustrent cette politique. Dans le même temps, la Commission européenne a proposé un ensemble de réformes axées sur trois idées : lutter contre les mouvements secondaires, renforcer les mesures d’externalisation susmentionnées, et introduire un nouveau mécanisme de solidarité axé sur la relocalisation physique des demandeurs d’asile parmi les États Membres de l’UE (EMUE).
Trois ans plus tard, nous nous retrouvons de nouveau au cœur d’une « crise ». La réforme du RAEC est bloquée en raison du gouffre apparemment infranchissable entre les EMUE exigeant davantage de solidarité et ceux qui n’en souhaitent pas. Parallèlement, avec une réduction des traversées de la Méditerranée, qui atteignent des niveaux antérieurs à ceux de 2015, les gouvernements des EMUE maintiennent, introduisent ou annoncent des mesures unilatérales afin d’ « endiguer » des flux migratoires imaginaires, mais lucratifs sur le plan électoral.
La France refoule les migrants traversant depuis la ville de Vintimille, en Italie, depuis des années. Une telle pratique est illégale. À présent, la France est uniquement autorisée à procéder à des vérifications liées au terrorisme à ce qui devrait être une frontière ouverte. Par ailleurs, des refoulements systématiques de cette nature constituent des expulsions collectives interdites par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Enfin, ils violent les garanties relatives à une procédure régulière prévues par la Directive relative aux procédures d’asile de l’UE et le Règlement Dublin [2].
Incontestée depuis des années, la pratique de refoulement de la France est devenue un modèle pour d’autres pays européens. En prévision d’élections locales, le ministre allemand de l’Intérieur a menacé de suivre l’exemple français et de refouler les demandeurs d’asile à la frontière autrichienne. Le Chancelier autrichien a immédiatement annoncé des actions similaires aux frontières avec l’Italie et la Croatie, tout en faisant la promotion, en employant des termes singulièrement mal choisis, d’un « axe » entre l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie contre l’immigration illégale. Simultanément, en Italie, le nouveau gouvernement a décidé de hausser le ton et de fermer ses ports aux bateaux transportant des migrants secourus en Méditerranée.
Pour résumer : il manque un consensus minimal pour réformer le RAEC, des mesures unilatérales menacent son intégrité même, ainsi que celui de l’espace Schengen de libre-circulation, et une crise humanitaire est en cours en Méditerranée en raison de l’insécurité et du conflit autour des points de débarquement.
On attendait du Conseil européen qu’il trouve des moyens politiques pour aller de l’avant et trouver une solution européenne à cette crise. Les conclusions finalement adoptées au cours de la réunion du 28 juin 2018 ont placé la question de la réforme du RAEC au second plan et ont recentré l’attention sur de nouvelles mesures visant à « empêcher que ne se reproduisent les flux incontrôlés de 2015 et endiguer davantage les migrations illégales sur toutes les routes existantes et émergentes ».
En confirmant dans leur totalité les mesures d’externalisation prises jusque-là, le Conseil européen a inventé deux nouveaux concepts : « les plateformes régionales de débarquement » (PRD), qui « supprimeraient l’incitation [des migrants] à entreprendre des voyages périlleux » et « les centres contrôlés » (CC), pour prendre en charge les personnes débarquées sur le territoire de l’UE « sur la base d’un effort partagé ».
Pour résumer un peu crûment, l’idée est que si l’Union européenne est en mesure de lever le pont-levis et de confiner les migrants chez ses voisins du Sud, elle n’aura pas besoin d’affronter un débat sur la solidarité interne qui divise ses membres. Pour citer Catherine Woollard du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), cela ressemble davantage à un « rêve d’externalisation » (Externalization Fantasyland) qu’à un projet politique viable. En effet, les plateformes régionales de débarquement et les centres contrôlés soulèvent une série de questions juridiques et politiques telle qu’une mise en œuvre réelle semble impossible.
Les plateformes régionales de débarquement (PRD) : arme ultime d’externalisation ?
Le concept de « plateforme régionale de débarquement » est censé compléter une boîte d’outils d’externalisation déjà bien pleine. Celle-ci consiste notamment des mesures énumérées ci-après, adoptées pour la plupart informellement de manière à minimiser la responsabilité judiciaire et démocratique :
- Le confinement dans les hotspots précités à la périphérie de l’Union, c’est-à-dire sur les îles grecques, associé en théorie à des renvois systématiques vers les « pays tiers sûrs » de transit. La déclaration UE-Turquie met en œuvre ce concept, qui ne peut en revanche pas être appliqué à la route migratoire de la Méditerranéenne centrale, compte tenu des conditions d’insécurité qui prévalent en Libye ;
- Des arrangements par lesquels les pays de transit s’engagent à empêcher les départs et à ramener sur leurs côtes les personnes interceptées ou secourues dans leur trajet vers l’Europe. Les exemples incluent la déclaration UE-Turquie et un protocole d’accord entre l’Italie et la Libye. Dans la mesure où ils visent à prévenir tout contact avec les migrants, ces arrangements sont conçus pour faire échapper les Etats de l’UE à toute responsabilité juridique. Bien entendu, les bateaux des ONG menant des opérations de recherche et de sauvetage (SAR) et transportant en Europe les personnes secourues mettent un bâton dans les roues de tout ce processus. D’où la politique des « ports clos » de l’Italie et la déclaration du Conseil européen selon laquelle « tous les navires qui opèrent dans la Méditerranée [ne] doivent […] pas faire obstacle aux opérations des garde-côtes libyens » ;
- Le soutien aux gouvernements et aux communautés des pays de transit (Turquie, Libye, Niger etc.) afin d’améliorer les conditions des migrants, soutenir les efforts gouvernementaux pour supprimer les mouvements illégaux et inciter les passeurs à entreprendre des activités nouvelles et différentes ;
- La réinstallation des personnes en provenance d’Etats de transit dans les EMUE, dont le nombre s’avère jusque-là dérisoire par rapport à celui des personnes qui y sont installées, afin de donner un peu de substance à l’argument selon lequel, alors qu’elle ferme ses portes à « l’immigration illégale », l’UE est prête à assumer ses responsabilités en matière de protection.
Glissant sur les problèmes provoqués par ce paquet de mesures (confinement de masse dans des conditions déplorables à la périphérie de l’UE, retour vers des pays dont les conditions de sécurité sont discutables, déplacement de la responsabilité vers des États tiers accueillant davantage de réfugiés que tous les EMUE réunis, etc.), le Conseil européen l’a triomphalement crédité d’une réduction de 95% des franchissements irréguliers des frontières vers l’UE depuis 2015. Et nonobstant cela, il a jugé nécessaire l’adoption de nouvelles mesures visant à « supprimer l’incitation à entreprendre des voyages périlleux » et « casser définitivement le modèle économique des passeurs » de manière à « empêcher […] des pertes tragiques de vies humaines ».
Les « plateformes régionales de débarquement » devraient servir ces objectifs. Elles seraient établies « en coopération étroite avec les pays tiers concernés ainsi que le [Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)] et [l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)] » et devraient « fonctionner en distinguant entre les situations individuelles, dans le plein respect du droit international et sans créer un facteur d’appel ». Bien que cela ne soit pas dit clairement, on peut supposer que ces plateformes seraient situées sur le territoire de pays tiers. Cependant, des détails importants manquent et restent à être définis par le Conseil européen et la Commission.
Qui sera envoyé dans ces plateformes de débarquement et dans quelles conditions ?
Compte tenu de l’arsenal de mesures déjà mis en place, l’« arme ultime » (game changer) que les leaders européens ont à l’esprit est probablement une sorte de « solution australienne » : retours massifs des personnes interceptées ou secourues en Méditerranée vers des zones désignées situées dans des États tiers. A moins de « contourner l’article 3 de la CEDH » comme l’a suggéré le secrétaire d’État belge Theo Francken, cela ne peut être entrepris de manière légale. En effet, le retour en masse des personnes se trouvant sous la juridiction d’un EMUE mettrait à néant le droit de demander l’asile, violerait le principe de non-refoulement et constituerait une expulsion collective interdite par le PIDCP et la CEDH.
Dans cette optique, la Commission européenne a considéré que seules les personnes secourues dans les eaux territoriales et par des navires d’un pays tiers pourraient y être transportées sans que l’UE ou les EMUE n’encourent de responsabilité prima facie. Les personnes sauvées par un navire de l’UE pourraient uniquement être transportées vers un État tiers à condition que le principe de non-refoulement soit respecté, c’est-à-dire sous la condition qu’une évaluation individualisée de la sécurité du renvoi soit réalisée, dans le respect du droit international et européen des réfugiés et des droits de l’homme. À la lumière de ces éléments, loin de changer radicalement la donne, le concept n’aurait que peu de valeur ajoutée par rapport aux pratiques actuelles d’éloignement vers les « pays tiers sûrs ». A moins qu’il n’était possible de faire des « plateformes de débarquement » des lieux sécurisés sans égard aux conditions prévalant dans leur État d’accueil – question qu’il convient de traiter ci-dessous.
Qui sera en charge du fonctionnement des PRD et assurera l’identification, l’enregistrement, l’accueil, la détermination du statut et, le cas échéant, le rapatriement ?
Une solution possible est que l’UE assure le fonctionnement des PRD avec l’accord de l’État d’accueil, ce qui, dans une certaine mesure, soustrairait la procédure d’asile aux conditions prévalant dans l’Etat hôte. Cependant, en dehors des difficultés logistiques et financières, il est très improbable que l’UE s’engage sur cette voie, car elle exigerait un véritable bouleversement du système institutionnel en vigueur. Par exemple, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) devrait être restructurée intégralement : dans son état actuel, elle n’est simplement pas équipée pour reprendre le contentieux de masse dont elle hériterait en devenant « organe d’appel européen » en matière d’asile [3].
Une autre solution envisageable, évoquée dans les conclusions du Conseil européen, est que l’OIM et le HCR assurent le fonctionnement des PRD. Néanmoins, les deux agences ont été très claires sur le fait que leur rôle se limiterait à apporter un soutien aux États d’accueil des PRD.
Si aucune des solutions précitées ne se réalise, ce projet ressemblera finalement aux mécanismes ordinaires de « pays tiers sûrs » déjà mis en place, associé à l’assistance ciblée de l’UE, de l’OIM et du HCR. La responsabilité de l’accueil et de la détermination du statut incomberont à l’État d’accueil – qui en tant que souverain territorial sera dans tous les cas responsable de la sécurité et de la protection dans les PRD. Dans la meilleure des hypothèses, l’aide ciblée pourrait à long terme relever le niveau de l’accueil et des procédures d’asile sur la rive sud de la Méditerranée. Il est par contre à exclure qu’elle pourrait transformer du jour au lendemain les États accueillant les PRD en des pays sûrs. Bref, là aussi, pas de game changers dans le jeu de l’externalisation.
Tout ceci est sans compter que des incitations suffisantes devraient être mises en place pour que des États tiers se portent volontaires. Le programme de soutien taillé « sur mesure » devrait donc être très attractif et devrait s’étendre au-delà du soutien aux opérations de recherche et de sauvetage et à la gestion de la migration.
Qu’arrivera-t-il aux personnes « traitées » dans les PRD ?
Les PRD seront-elles uniquement des plateformes de traitement, ou pour le dire de manière crue, vont-elles devenir la décharge européenne des migrants indésirables ? Il s’agit d’une autre question essentielle aussi bien pour les États d’accueils potentiels que pour les migrants.
Les personnes nécessitant une protection pourraient être réinstallées, principalement dans l’UE, vu son rôle de promoteur du concept, ou être intégrées localement dans l’Etat d’accueil.
La première solution soulève deux questions : (a) comment les personnes réinstallées seront-elles réparties entre les EMUE ? (Et : le concept de PRD n’était-il pas censé sortir l’UE de ce débat qui fâche ?) (b) Quel pourcentage des personnes nécessitant une protection seraient réinstallées dans l’UE ? Avec un pourcentage élevé, le risque de créer un « facteur d’appel » serait fort. Avec un pourcentage faible, le nombre de personnes à intégrer localement augmenterait et, on peut le penser, les États tiers seraient réticents à se porter volontaire pour devenir un pays d’accueil pour les PRD. Par ailleurs, retenir l’intégration locale comme une option ferait dépendre la viabilité juridique du mécanisme des PRD des conditions prévalant dans l’État d’accueil – notamment, de sa capacité d’assurer aux réfugiés la jouissance des droits qu’ils tirent du droit international [4].
Pour les personnes ne nécessitant pas de protection, la Commission européenne, l’OIM et le HCR ont offert leur soutien à l’État d’accueil pour organiser le rapatriement. Toutefois, c’est l’État d’accueil qui supportera le risque de l’échec du rapatriement, et comme Fratzke et Collett le remarquent, les migrants « non expulsables » risqueraient par le même coup de se retrouver dans des conditions potentiellement dangereuses.
Pour conclure : si elles sont mises en œuvre dans le respect de la loi et sans renverser les structures institutionnelles de l’UE, les PRD ne constitueront probablement pas l’« arme ultime » tant espérée. D’un côté, elles n’auront qu’une très faible valeur ajoutée par rapport aux outils d’externalisation déjà mis en place. De l’autre côté, elles seront difficiles à « vendre » aux États tiers.
Quid des « centres contrôlés » ?
Les centres contrôlés : des centres de traitement de type fédéral ou des hotspots au carré ?
Les « centres contrôlés » (CC) devraient, selon le Conseil européen, constituer le pendant des PRD sur le sol de l’UE. Les personnes débarquées sur le territoire de l’UE devraient être « prises en charge sur la base d’un effort partagé » dans les CC. Le « traitement rapide et sûr [sur les lieux] permettrait, avec le soutien total de l’UE, de distinguer les migrants en situation irrégulière, qui [feraient] l’objet d’un retour, des personnes ayant besoin d’une protection internationale, auxquelles le principe de solidarité s’appliquerait. ». La dernière phrase est juridiquement inexacte dans la mesure où le principe de solidarité s’applique à toutes les personnes soumises aux politiques européennes en termes de migration.
Mais peu importe, le sens semble être que les personnes qui nécessitent une protection seraient relocalisées dans d’autres EMUE.
Sur le papier, le concept semble prometteur. L’idée de « soutien total de l’UE » pourrait faire progresser le débat à présent bloqué sur la solidarité intra-européenne. En outre, si des conditions de traitement rapide et d’accueil digne étaient réellement assurées, il serait difficile de s’opposer par principe aux CC – naturellement, toute personne familiarisée avec le sombre précédent des « hotspots » est en droit de se méfier face à ces qualificatifs optimistes.
Quoi qu’il en soit, c’est le caractère volontaire du concept qui entraînera probablement sa perte. Les EMUE devront volontairement établir des CC sur leur territoire. Pourquoi le feraient-ils, devenant ainsi une (voire la) plateforme de débarquement de l’UE ? Une réponse possible est : pour bénéficier du « soutien total de l’UE » dans le traitement des personnes débarquées, et bénéficier ainsi du « principe de solidarité. ».
Supposons un instant que le « soutien total de l’UE » couvre tous les frais de traitement et d’accueil des personnes débarquées. Les autres EMUE devraient quand même se porter librement volontaires pour devenir des espaces de relocalisation. Tout comme les pays tiers hébergeant des PRD, l’État d’accueil devrait supporter le risque que les places offertes soient insuffisantes, auquel s’ajouterait le risque d’avoir à maintenir sur son territoire les personnes dont le retour aurait échoué. Avec un taux de réalisation de 35% pour le programme de relocalisation en 2015-2017, et un taux de retour réel dans toute l’UE d’environ 40%, quels Etats seraient disposés à s’exposer à de tels risques ?
La propension à se porter volontaire en tant que pays d’accueil pour un centre contrôlé risque de diminuer encore depuis que la Commission a publié sa propre vision du concept de CC. Pour résumer, selon la Commission, les CC auraient pour seule fonction de prendre en charge les personnes qui ne souhaitent pas demander une protection, ou encore de gérer des procédures accélérées dans des cas bien délimités.
Telle serait l’étendue de ce que la Commission persiste à désigner comme le « soutien total de l’UE ». Les personnes qui pourraient nécessiter une protection seraient orientées vers les procédures d’asile ordinaires. En vertu des règles actuelles de l’UE, il appartiendrait normalement à l’État d’accueil d’organiser une telle procédure, d’assurer l’accueil, la protection à long terme ou, selon le cas, le rapatriement.
Les conditions des CC sont clairement peu attractives. En effet, aucun État ne s’est jusque-là porté volontaire, et si aucun ne se propose dans les prochains mois, la mise en place de ces centres semble compromise.
Observations finales
Si l’on part du principe que l’UE et les EMUE entendent respecter le droit international et communautaire, et qu’ils n’envisagent pas de bouleverser la structure institutionnelle du RAEC en établissant des centres de traitement commun extraterritoriaux, il faut conclure qu’il n’y a pas d’« arme ultime d’externalisation » à portée de main. Comme indiqué, il est hautement improbable que les PRD apportent de quelconques éléments nouveaux d’importance à une « boîte à outils d’externalisation » déjà bien garnie. Il est aussi peu probable que les CC dans les EMUE voient le jour étant donné l’absence de systèmes de solidarité fiables et prévisibles. La prétendue sortie du débat empoisonné sur la solidarité européenne n’est en effet qu’un détour.
Comme indiqué dans la prise de position publiée par le HCR et l’OIM sur le sujet, les concepts de PRD et de CC auraient dû être l’occasion d’une discussion constructive sur le partage de responsabilités et le soutien réciproque au sein de l’UE et dans la région plus large de la Méditerranée. Tel pourrait être le cas si l’expression « soutien total de l’UE » était autre chose qu’un slogan creux, si l’UE était prête à faire des offres de réinstallation crédibles et proportionnées aux dimensions du problème, si les EMUE et les pays tiers intéressés étaient conjointement en mesure d’assurer des conditions de sécurité et de dignité aux migrants et aux réfugiés dans toute la région, et si tous les acteurs intéressés se révélaient capables de placer le bien-être et la sécurité des personnes en mer au-dessus des risques réels ou imaginaires de créer des « facteurs d’appel ».
C’est trop demander à des leaders politiques qui ont réussi à plonger l’UE dans un état de crise politique en pleine accalmie migratoire. En l’état actuel des choses, l’évolution probable semble être que les concepts de PRD et de CC n’iront nulle part, et que les décideurs politiques devront tôt ou tard reprendre la tâche fastidieuse, mais nécessaire, de chercher un accord pour le RAEC du futur.
PS : le 26 octobre le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a dit que la mise en place de camps de réfugiés dans le nord de l’Afrique « n’est plus au programme et […] n’aurait jamais dû l’être ». C’était plus vite que prévu. Il ne reste plus qu’à attendre que les « centres contrôlés » connaissent la même fin que les « plateformes régionales de débarquement ». Les leaders européens pourront alors reprendre la discussion sur les vraies urgences : les pertes de vie en Méditerranée, les conditions scandaleuses auxquelles sont sujets les demandeurs de protection dans plusieurs pays européens, l’absence criante de solidarité entre les membres de l’Union.
[1] Voir Neža Kogovšek Šalamon, CJEU Rulings on the Western Balkan Route: Exceptional Times Do Not Necessarily Call for Exceptional Measures, EU Immigr. and Asylum L. and Pol’y, http://eumigrationlawblog.eu/cjeu-rulings-on-the-western-balkan-route-exceptional-times-do-not-necessarily-call-for-exceptional-measures/.
[2] À savoir le droit de faire une demande de protection, le droit à la détermination de l’EMUE responsable selon critères du Règlement Dublin, y compris ceux fondés sur les liens familiaux et sur les considérations humanitaires, le droit à un entretien individuel, et le droit à un recours effectif ayant un effet suspensif sur une décision de transfert.
[3] Les affaires portant sur le droit d’asile incombent actuellement aux cours nationales des EMUE. La CJUE se prononce uniquement sur les points de droit soulevés par les juges nationaux via la procédure de la « question préjudicielle » (art. 267 du TFUE). Si l’UE était amenée elle-même à mener les procédures de détermination de statut, la situation changerait. En tant qu’unique cour compétente pour revoir les actes de l’UE, la CJUE deviendrait le seul organe d’appel. Cette fonction lui est d’ores et déjà attribuée, par exemple en ce qui concerne les décisions prises par la Commission le domaine du droit de la concurrence, mais les dimensions du contentieux ne seraient pas du tout les mêmes.
[4]Voir James Hathaway & Michelle Foster, The Law of Refugee Status 34–35 (2d ed. 2014)
Cette opinion a été traduite de l’anglais. L’article original a été initialement publié sur le blog du site RefLaw et est reproduit avec l’autorisation de l’auteur.