« Plateformes régionales de débarquement » et « centres contrôlés » : des propositions qui stagnent
Équipe plaidoyer de France terre d'asileLe 10 juin dernier, alors que l’Aquarius, bateau affrété par les ONG SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières, vient de secourir 629 personnes en Méditerranée, l’Italie décide de fermer ses ports et refuse que le bateau accoste sur son territoire. Le deuxième pays, Malte, refuse également, déclinant toute responsabilité. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) enjoint alors les gouvernements concernés d’autoriser le débarquement des personnes à bord de l’Aquarius et de laisser les questions liées à la responsabilité pour plus tard. Après une semaine d’incertitude, l’Espagne se portera volontaire pour accueillir le navire humanitaire.
Face à cette nouvelle donne en Méditerranée, et en amont du Conseil européen de juin, le HCR et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) proposent un mécanisme de débarquement prévisible afin de permettre aux personnes sauvées en mer de débarquer de façon rapide et en assurant le respect de la dignité et du principe de non-refoulement.
Le Conseil européen des 28 et 29 juin, s’inspirant de la proposition du HCR et de l’OIM, propose la création de « plateformes régionales de débarquement », en dehors de l’Union européenne (UE), et de « centres contrôlés », sur le territoire de l’UE. Ces « centres contrôlés » seraient établis sur une base volontaire et auraient pour but d’opérer la distinction entre les personnes pouvant bénéficier de l’asile et les migrants économiques. Ceux relevant du droit d’asile seraient répartis dans les États membres, également sur une base volontaire, et les autres seraient reconduits dans leur pays d’origine. Une des questions qui reste aujourd’hui en suspens est la différence entre de tels centres et le système des hots-spots, créé en 2015.
Fin juillet, la Commission européenne a précisé que les « plateformes de débarquement » devraient se situer « le plus loin possible des points de départ de la migration irrégulière ». Tous les États bordant la Méditerranée devraient envisager l’établissement de zones de recherche et de sauvetage ainsi que des centres de coordination de sauvetage maritime. Selon le lieu où les opérations de recherche et de sauvetage sont effectuées, le débarquement dans un pays tiers serait possible, pour autant que le principe de non-refoulement soit respecté. En partenariat avec le HCR et l’OIM, les personnes en besoin de protection seraient accompagnées et éventuellement orientées vers des programmes de réinstallation. Si elles ne nécessitent pas de protection, elles seraient renvoyées dans leur pays d’origine avec la possibilité de bénéficier d’une aide au retour volontaire et à la réintégration gérée par l’OIM.
Quant aux « centres contrôlés », la Commission européenne propose aux États membres volontaires « un soutien financier total » pour les coûts d’infrastructure et de fonctionnement. Les frais de transfert seraient remboursés à hauteur de 500 euros par personne pour le pays qui accepterait le débarquement des demandeurs d’asile et une aide de 6 000 euros par personne serait octroyée aux pays d’accueil dans le cadre de la relocalisation. La Commission propose également de déployer des garde-frontières et des agents de contrôle en provenance des agences européennes dans ces centres afin d’accélérer le traitement des demandes d’asile, les relocalisations ou les expulsions.
Avant même d’avoir reçu une proposition formelle de la part de l’Union européenne, le ministère tunisien des affaires étrangères a rejeté l’idée de « plateformes régionales de débarquement », de même que ses homologues marocains et algériens. Le ministre marocain des affaires étrangères a qualifié ces mesures de « solutions faciles », correspondants à des « mécanismes contre-productifs. » Ce refus a été confirmé lors du sommet de l’Union africaine du 2 juillet.
L’ONG Médecins sans Frontières a également dénoncé cet accord entre les 28: « Les seuls composantes sur lesquelles les États européens semblent s’être mis d’accord sont, d’une part, le blocage des personnes aux portes de l’Europe, quelle que soit leur vulnérabilité et les horreurs qu’ils fuient, et d’autre part, la diabolisation des opérations non gouvernementales de recherche et de sauvetage ». De son côté, France terre d’asile soutient l’idée d’un mécanisme régional de débarquement, au service du droit d’asile, et insiste sur la nécessité d’une solidarité entre les pays de l’Union sans renvoyer la responsabilité aux pays africains.
La question de savoir où le traitement des demandes d’asile devra être effectué semble être au cœur des discussions. Le chancelier autrichien Sebastian Kurz, actuellement à la présidence de l’Union européenne, s’est prononcé contre l’option d’ouvrir aux migrants la possibilité de demander l’asile dans l’Union européenne depuis les « plateformes régionales de débarquement », craignant de créer un facteur d’attraction. L’OIM, quant à elle, a indiqué que les centres de gestion des demandeurs d’asile devaient être situés en Europe et non à l’étranger. Pour elle, l’idée d’ouvrir des plateformes de débarquement en Libye représenterait un gros risque, compte tenu de la situation sécuritaire.
Aux désaccords sur l’idée de « centres contrôlés », s’ajoute le refus des États d’implanter ces structures sur leur territoire. Aucun pays n’a affiché à ce jour la volonté d’accueillir des centres contrôlés de manière permanente. Emmanuel Macron a affirmé que : « La France n’ouvrira pas de centre » pour les migrants qui débarquent en Europe car elle « n’est pas un pays de première arrivée » et propose de les instaurer en Italie, Espagne et Grèce, pays de débarquement des migrants, afin d’éviter les transferts secondaires au sein de l’UE. Le sommet informel de Salzbourg, organisé par l’Autriche les 19 et 20 septembre n’a pas permis de faire avancer la situation en raison de « divergences qui persistent ».