Divergences européennes autour de l’adoption du Pacte mondial pour les migrations
Équipe plaidoyer de France terre d'asileLe 19 décembre 2018, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (ci-après le Pacte pour les migrations) a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies avec 152 votes pour, 12 abstentions et cinq votes contre dont la Hongrie, la République tchèque et la Pologne. Malgré son caractère non-contraignant, il a fait l’objet de dissensions entre les pays de l’Union européenne.
Initié suite à la déclaration de New York, en septembre 2016, le Pacte pour les migrations a donné lieu à des mois de consultations dans le but de développer un outil de coopération internationale en matière de migration. Le projet final du Pacte souligne qu’il s’agit d’un « engagement commun à améliorer la coopération sur les migrations internationales ». La déclaration de New York a également mené à l’élaboration d’un Pacte mondial pour les réfugiés adopté également en décembre. Axé uniquement sur les personnes en besoin de protection, il a été beaucoup moins médiatisé et n’a pas connu les mêmes controverses.
En termes de contenu, le Pacte pour les migrations recense des principes comme la défense des droits de l’Homme, la reconnaissance de la souveraineté nationale ainsi que des propositions pour aider les pays à faire face aux migrations. Les dispositions du Pacte s’appuient sur la Convention européenne des droits de l’Homme et sa jurisprudence et pourraient, réciproquement, inspirer la mise en œuvre des législations européennes sur les migrations légales de travail. Pour François Gemenne, chercheur spécialiste des migrations à Sciences Po et à l’Université libre de Bruxelles, « le pacte sur les migrations n’est pas un texte très ambitieux. Il est assez consensuel et rappelle beaucoup d’évidences. Mais il a le mérite d’exister. Il est positif dans le sens où c’est le premier texte qui pose les bases d’une coopération internationale en terme de gestion des migrations ».
Malgré son caractère juridique non-contraignant, six membres de l’Union européenne ont annoncé ne pas vouloir signer le Pacte : la Hongrie, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Lituanie et deux ont accepté de le signer après des débats nationaux : l’Estonie et la Croatie. Bien que ces pays n’aient pas tous été impactés de la même façon par la hausse des arrivées en 2015-2016 et que leurs gouvernements ne partagent pas tous les mêmes orientations politiques, ils ont pour point commun d’avoir fait de l’immigration une priorité et d’avoir tenu des discours hostiles à l’immigration. Discours qui reflètent et entretiennent les positions xénophobes d’une partie de leur population, d’où leur catégorisation sous l’étiquette de gouvernements « populistes ». Ils valorisent en effet une vision protectionniste de la nation, dans laquelle l’étranger est présenté comme ennemi du « peuple » défendu.
Ces réticences idéologiques à l’adoption du Pacte pour les migrations sont, selon certains spécialistes, fondées sur la crainte d’une perte de la souveraineté nationale au profit d’une gouvernance mondiale. Selon le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, cette théorie ne tiendrait pas car les droits de l’Homme et la souveraineté ne peuvent être dissociés, les droits de l’Homme renforçant la souveraineté. Pour d’autres, des raisons historiques liées au démembrement de l’empire austro-hongrois pourraient expliquer cette réticence. Ces pays ayant acquis une indépendance relativement récente, seraient dans le besoin d’affirmer le contrôle sur leurs frontières. Pourtant, selon Catherine Wihtol de Wenden, « une gouvernance mondiale des migrations permettrait de sortir de l’hypocrisie de la fermeture des frontières, génératrice de millions de « sans-papiers » et de graves atteintes aux droits de l’Homme, des politiques d’affichage du tout sécuritaire, de la soumission aux idées xénophobes. »
La quantité abondante d’ « infox » à propos du Pacte, entretenant l’idée que ce dernier ouvrirait la porte à une immigration de masse incontrôlée à destination de l’Europe et qu’il créerait un droit à l’immigration, a également influé sur le positionnement de ces pays européens. Les partis de droite et d’extrême droite occidentales se sont saisis de la question, dénonçant un « danger imminent » selon le parti belge d’extrême droite Vlaams Belang ou un « acte de trahison » pour Marine Le Pen. Louise Arbour, représentante spéciale des Nations Unies pour les migrations constate qu’« Il est étonnant qu’il y ait eu autant de désinformation à propos de ce que le pacte est et de ce qu’il dit […], il ne crée aucun droit de migrer, il ne place aucune obligation sur les États ».
L’adoption de ce Pacte a également eu des répercussions au niveau national. Les dissensions ont conduit à l’implosion du gouvernement belge. Les membres de la coalition du parti nationaliste flamand N-VA avaient demandé au Premier ministre Charles Michel de ne pas signer le Pacte, ce à quoi il s’est opposé. Du fait de cette divergence profonde, les ministres de la N-VA ont démissionné le 9 décembre, laissant le Premier ministre à la tête d’un gouvernement sans majorité au Parlement.
En Allemagne, le Pacte avait également un enjeu important en raison de l’élection du successeur d’Angela Merkel à la tête de la CDU, les 7 et 8 décembre. Alors que cette dernière se positionnait en faveur du Pacte en déclarant que « la question migratoire ne peut être abordée que dans un cadre international, et il ne faut pas croire qu’un pays peut à lui seul affronter cet enjeu », le texte a divisé ses potentiels successeurs. C’est finalement Annegret Kramp-Karrenbauer, favorable au Pacte et s’alignant dans la politique de Merkel qui a été élue.
Alors qu’il appelle à la coopération interétatique, le contenu du Pacte mondial pour les migrations a été dévoyé par les partis populistes de droite et d’extrême droite pour montrer leur fermeté sur la question migratoire, renforçant encore les dissensions entre les États membres de l’Union européenne sur le sujet.