Biélorussie : les migrants victimes de l’instrumentalisation de la question migratoire
Equipe plaidoyer de France terre d'asileAlors que depuis le début de l’été les États baltes et la Pologne connaissent une augmentation des arrivées depuis la Biélorussie, de nombreux migrants sont bloqués aux frontières de l’Union européenne (UE) dans des conditions extrêmement préoccupantes. Dans un communiqué du 6 septembre, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) s’alarme ainsi que de nombreux migrants ont « un accès limité à l’eau potable et à la nourriture, à l’assistance médicale, aux installations sanitaires et aux abris », et ce depuis plusieurs semaines. L’OIM précise par ailleurs que des rapports signalent l’existence de refoulements de migrants, y compris de familles et d’enfants, ainsi qu’une absence d’accès à la procédure d’asile.
L’UE accuse depuis des semaines le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko de faire venir délibérément des demandeurs d’asile afin de faire pression sur l’Union, à l’image des crises survenues avec le Maroc en mai 2021 ou la Turquie en mars 2020. Le dirigeant populiste avait ainsi menacé ses voisins européens « d’inonder l’Union européenne de drogues et de migrants » si les sanctions européennes imposées en juin à son encontre n’étaient pas levées. Des vols vers les principaux pays d’origine, notamment l’Irak, ont ainsi été mis en place pour acheminer directement les migrants vers Minsk, tandis que les garde-frontières biélorusses les poussent ensuite vers le territoire de l’Union. L’UE considère également que la Biélorussie utilise la question migratoire comme moyen de pression sur la Lituanie qui accueille des opposants biélorusses exilés, notamment Svetlana Tikhanovskaïa, la principale opposante au régime. La Pologne s’est aussi attirée les foudres biélorusses, Varsovie ayant accordé, le 1er août, un visa humanitaire à Krystsina Tsimanouskaya, une athlète biélorusse qui risquait une peine d’emprisonnement dans son pays.
La Lituanie a ainsi été le premier pays à faire face à une hausse des arrivées de migrants sur son territoire. À la mi-août, les autorités lituaniennes recensaient ainsi près de 4 110 arrivées depuis le début de l’année, contre 81 pour l’ensemble de l’année 2020. La majorité des personnes sont originaires d’Irak, et dans une moindre mesure du Congo, du Cameroun, de la Syrie et de l’Afghanistan. L’augmentation des arrivées a par la suite concerné la Pologne et la Lettonie. Début septembre, les autorités polonaises estimaient à plus de 10 000 le nombre de personnes bloquées aux frontières avec la Biélorussie.
Face à cette hausse des arrivées, les pays baltes et la Pologne ont choisi de durcir leurs politiques migratoires. La Lituanie a ainsi adopté deux projets de loi, le 13 juillet et le 10 août, permettant de limiter l’accès à la procédure d’asile et de recourir automatiquement à la rétention à la frontière. Une analyse du Réseau européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) publiée début septembre, indique que ces amendements menacent le respect du principe de non-refoulement et constituent une claire violation du droit international et européen qui garantit l’accès à une procédure d’asile équitable. Par ailleurs, le 23 août, le Parlement lituanien a approuvé la construction d’une clôture le long de la frontière avec la Biélorussie, moyennant un coût de 150 millions d’euros. Depuis juillet 2021, des camps provisoires ont également été mis en place, à l’image du camp de Rudninkai, où des centaines de personnes se trouvent actuellement dans une situation précaire très préoccupante.
La Lettonie a quant à elle déclaré l’état d’urgence le 10 août dernier pour une durée de trois mois à sa zone frontalière avec la Biélorussie, permettant aux soldats et à la police de soutenir les garde-frontières et de renvoyer les personnes de l’autre côté de la frontière sans examiner les demandes d’asile.
La Pologne a également déclaré, le 2 septembre, l’introduction de l’état d’urgence pendant 30 jours à sa frontière avec la Biélorussie, une première depuis la chute du communisme en 1989. L’état d’urgence permet notamment aux autorités polonaises d’interdire l’accès des médias et de certaines organisations à la zone frontalière. En parallèle, en plus de mobiliser 2 000 soldats pour renforcer les contrôles à la frontière, le pays a opté pour la fermeture de sa frontière, limitant de facto l’accès la procédure d’asile.
Le sort de 32 migrants afghans retenus depuis près d’un mois à la frontière polonaise à Usnarz Górny, sans nourriture ni accès aux soins, inquiète particulièrement les organisations de la société civile, dont Amnesty International. Le 25 août, la Cour européenne des droits de l’Homme, a appelé les gouvernements polonais et lettons à subvenir aux besoins essentiels des personnes bloquées à la frontière, notamment en vivres, soins, vêtements et abris temporaires, en vertu de l’article 39 de la Convention européenne des droits de l’homme. La demande de la Cour, aussitôt déclinée par le gouvernement polonais, n’exhortait néanmoins pas les deux États à laisser entrer les demandeurs d’asile sur leurs territoires.
Face à cette situation, la Commission européenne a annoncé le 11 août débloquer 36,7 millions d’euros d’aide d’urgence à la Lituanie via le fonds européen pour l’asile, la migration et l’intégration (FAMI). Frontex, l’Agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union, a également annoncé le 30 juillet dernier le déploiement de 60 agents supplémentaires à la frontière avec la Biélorussie. En parallèle, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a fait pression sur les autorités irakiennes dès le mois de juillet, afin d’éclaircir les circonstances de l’utilisation de l’aéroport international de Bagdad dans l’acheminement de ces milliers de personnes. Le 6 août, l’Irak a fini par annoncer la suspension « temporaire » des vols vers Minsk.
Une réunion exceptionnelle des ministres de l’Intérieur des États membres, accompagnés des représentants de Frontex, d’Europol et du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), a eu lieu le 18 août pour débattre de la situation aux frontières de l’UE. Néanmoins, aucune décision concernant une éventuelle politique coordonnée n’a été prise. Ylva Johansson, Commissaire européenne aux Affaires intérieures, a notamment insisté sur la nécessité « d’européaniser » la solution apportée à cette crise.
Article publié le 10/09/2021