La solidarité européenne à l’épreuve de la tentation xénophobe
Malgré une baisse significative du nombre d’arrivées de migrants et de réfugiés en Europe – 113 482 en 2018 contre plus de 1 015 000 pour l’année 2015 d’après l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) –, la question migratoire n’en finit pas de faire débat parmi les États membres de l’Union européenne. Plusieurs d’entre eux ont été le théâtre ces derniers mois d’une montée des discours et mesures xénophobes à l’encontre des réfugiés et migrants, fragilisant une solidarité européenne déjà approximative et rendant encore plus incertain l’avenir de la politique commune en matière d’asile et d’immigration, à plus forte raison à la veille d’un nouveau scrutin européen.
La montée des discours et mesures xénophobes en Europe
Les arrivées importantes de 2015 ont conduit à une crise de l’accueil, et surtout une crise de solidarité dans l’Union européenne. En effet, les États membres de l’Union ne sont pas parvenus à s’accorder afin de mettre en œuvre des mesures efficaces et durables pour répondre aux besoins d’accueil des réfugiés et migrants arrivés sur le continent européen. Par exemple, un plan de relocalisation prévoyait le transfert d’environ 160 000 demandeurs d’asile présents en Italie et en Grèce vers d’autres pays européens. Mais seulement un tiers d’entre eux ont effectivement été relocalisés dans les États membres.
Alors que l’Union européenne peine toujours à s’accorder sur la réforme de sa politique d’asile, une montée des discours et mesures anti-réfugiés et anti-migrants se fait ressentir dans différents pays européens. En Italie, depuis sa nomination comme ministre de l’Intérieur en juin dernier, Matteo Salvini, leader du parti populiste d’extrême droite la « Ligue », multiplie les discours xénophobes et durcit la politique italienne en matière d’asile. Dès son arrivée au pouvoir, il a annoncé la fermeture des ports italiens pour empêcher le débarquement des navires humanitaires effectuant des sauvetages en Méditerranée. Il est ensuite parvenu à faire adopter par le Parlement italien le 28 novembre 2018 un décret-loi qui impose notamment l’abrogation de la protection humanitaire.
La xénophobie affichée de Matteo Salvini trouve un écho dans les mesures anti-migratoires conduites par d’autres gouvernements européens comme la Croatie, accusée d’expulsions collectives de migrants et demandeurs d’asile dans un contexte de violences policières ; la Hongrie qui a adopté en juin 2018 une législation pénalisant les ONG qui viennent en aide aux migrants et aux demandeurs d’asile ; ou encore le Danemark, dont le gouvernement a annoncé en décembre dernier sa volonté d’envoyer sur une île isolée à partir de 2021 les demandeurs d’asile déboutés et les réfugiés criminels.
Certaines de ces mesures politiques constituent même des risques de violations des droits fondamentaux et valeurs reconnus par l’Union européenne. Ce constat a été notamment dressé par l’Agence européenne sur les droits fondamentaux dans son rapport publié en février 2018 sur les atteintes aux droits fondamentaux des migrants et des réfugiés. De plus, ces risques ont été également reconnus par la Commission européenne qui a activé des procédures d’infraction envers la Bulgarie et la Hongrie pour non-respect de la législation européenne en matière d’asile. Lors d’un vote inédit en septembre 2018, le Parlement européen a quant à lui décidé d’enclencher les premières étapes d’une procédure de sanction très rarement employée, jugeant que les politiques publiques de la Hongrie menacent les droits fondamentaux des réfugiés et demandeurs d’asile.
À ces différentes mesures, s’ajoute en parallèle une hausse d’actes et de manifestations anti-migrants. En Allemagne, de violentes manifestations, portées par le mouvement Pegida et par l’AfD, parti politique populiste d’extrême droite qui ne cesse de monter en puissance, se sont tenues en août 2018, des étrangers subissant alors insultes et agressions. Plus récemment, le 1er janvier 2019, un homme, ouvertement xénophobe, a foncé à plusieurs reprises avec sa voiture dans la foule, blessant des ressortissants syriens et afghans. En Belgique, plusieurs milliers de citoyens ont protesté en décembre dernier à l’occasion d’une « marche contre Marrakech » – en référence à l’adoption solennelle du Pacte mondial sur les migrations qui s’est tenue à Marrakech en décembre 2018 –, accompagnés de discours et de slogans tels que « Notre peuple d’abord » ou encore « Nous en avons marre, frontières fermées ».
Quelles perspectives pour la solidarité européenne dans les domaines de l’asile et de l’immigration ?
Dans ce contexte où la xénophobie est croissante, et à la veille des prochaines élections européennes qui se tiendront en mai 2019, l’impossibilité des États européens à s’accorder en matière d’asile et d’immigration et à faire avancer la réforme du Régime d’asile européen commun (RAEC) jette une ombre sur l’avenir de la politique commune de l’Union.
En mai 2016, la Commission européenne a enclenché une importante réforme du RAEC. Cependant, les négociations sont difficiles et tardent à avancer, particulièrement pour la refonte du Règlement Dublin qui divise les États européens. Cette refonte prévoirait notamment la création d’un « mécanisme de distribution » des demandeurs d’asile à travers l’Union, afin de décharger les pays européens de première arrivée. Cependant, le groupe de Višegrad – Hongrie, Slovaquie, République tchèque et Pologne – refuse catégoriquement une telle répartition. Ces États s’opposent aux pays européens de la Méditerranée – Italie, Grèce, Malte, Espagne et Chypre –, qui appellent eux à un mécanisme de partage des responsabilités.
En amont du Conseil européen de décembre 2018, la Commission avait lancé un appel aux États membres et au Parlement européen pour consolider les progrès déjà accomplis et adopter cinq des sept propositions de la réforme avant le scrutin européen. Laissant de côté les deux textes qui soulèvent le plus de tensions parmi les dirigeants européens (Règlement sur la procédure d’asile et Règlement Dublin), cette déclaration a davantage été perçue comme l’aveu d’un échec que comme les prémices d’un véritable déblocage des négociations.
Pour certains députés européens, l’appel de la Commission européenne a sonné « l’effondrement du paquet européen sur l’asile » et selon Jean Lambert, membre du groupe des Verts/Alliance libre européenne, la Commission « ne rend pas justice à la notion de solidarité européenne en cédant aux caprices de Viktor Orban et d’autres gouvernements de droite ». Si les textes composant le RAEC ne sont pas adoptés d’ici mai 2019, les négociations pourraient être profondément modifiées avec le nouveau visage du Parlement européen.
Les résultats des prochaines élections européennes seront ainsi déterminants pour l’avenir de la solidarité européenne en matière d’asile et d’immigration. Tous les regards se portent en particulier sur les partis d’extrême droite et l’incertitude quant à leur progression au sein du Parlement. Pour Nathalie Loiseau, ministre française chargée des Affaires européennes, l’impact des partis populistes d’extrême droite sera « limité » au Parlement européen en raison de leur manque de cohérence sur de nombreux sujets. Mais, selon le récent rapport publié par le European Council on Foreign Relations, un think tank européen, leur poids serait quand même non négligeable car les partis d’extrême droite et eurosceptiques pourraient obtenir 30 % des sièges.
Fortement fragilisée dans un contexte de montée en puissance de la xénophobie et du sentiment anti-migrants en Europe, la solidarité européenne peine donc à s’affirmer au sein de l’Union. Cette période de fortes divisions se conjugue à un contexte pré-électoral qui fragilise d’autant plus la construction d’une réponse européenne solidaire et durable, que seuls les prochains mois pourront déterminer.