L’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale dans l’UE : une compétence nationale à l’enjeu européen
Avec la saturation de certains dispositifs nationaux d’accueil depuis 2015 ou plus récemment avec la crise sanitaire, l’intégration des personnes ayant reçu une protection dans l’Union représente un enjeu majeur pour les décideurs politiques. Bien que les gouvernements nationaux soient compétents sur ce sujet, les institutions européennes cherchent à jouer un rôle de coordination en matière d’intégration.
Le 22 juillet 2020, à l’occasion du lancement d’une consultation publique à l’échelle de l’Union européenne (UE), Ylva Johansson, commissaire européenne aux Affaires intérieures, a plaidé pour l’intégration et l’inclusion sociale des migrants et des bénéficiaires d’une protection internationale (BPI) qui ont « encore beaucoup de mal à trouver un logement ou à accéder à un emploi, à l’éducation ou aux soins » sur le territoire européen.
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) définit l’intégration comme « un processus complexe de participation juridique, économique, sociale et politique croissante des réfugiés à leur société d’accueil, allant jusqu’à l’acquisition de la nationalité ». Néanmoins, le terme d’« inclusion » lui est souvent préféré dans les débats car il fait disparaître l’idée d’effacement de l’identité d’un individu, qui serait nécessaire pour être accepté dans une société d’accueil.
L’intégration des réfugiés se joue ainsi à plusieurs niveaux, tous déterminants : l’insertion professionnelle, l’apprentissage de la langue, l’accès à un logement, à l’éducation, aux soins et aux droits civiques et politiques, ainsi que la possibilité d’être réuni avec sa famille. L’intégration des personnes ayant reçu une protection internationale dans l’Union doit ainsi être favorisée par la mise en place de dispositifs par les pouvoirs publics dans le pays d’accueil, puisqu’à la différence des politiques d’asile, l’intégration est avant tout une compétence nationale.
Néanmoins, la « crise de l’accueil » qu’a connue l’Europe en 2015 – 2016 a eu des conséquences sur l’intégration des réfugiés. L’augmentation du nombre de personnes reconnues comme réfugiées ou qui ont reçu une autre forme de protection a entraîné, dans certains pays, une saturation des dispositifs d’accompagnement qui leur permettent d’accéder au logement et à l’emploi. Sans ce soutien, de nombreux réfugiés se sont retrouvés à la rue. En France par exemple, les acteurs associatifs de terrain ont estimé qu’en Île-de-France, les réfugiés représentaient entre 15 et 20 % des personnes vivant dans les campements de migrants sans abri en 2019. Cette situation, qui se retrouve notamment en Grèce, souligne la nécessité de poursuivre l’accompagnement des réfugiés pour permettre leur intégration une fois la protection obtenue.
Quelle articulation entre l’action des États membres et le cadre européen ?
Même si les institutions européennes tentent de créer un cadre commun en la matière, les 27 disposent d’une importante marge de manœuvre pour mettre en place des politiques d’intégration dédiées aux réfugiés.
En effet, l’article 34 de la directive « qualification » du Régime d’asile européen commun prévoit la garantie par les États membres d’un « accès aux programmes d’intégration qu’ils jugent appropriés » et des « conditions préalables garantissant l’accès à ces programmes ». En Italie, c’est ce qu’illustre le Plan national d’intégration des réfugiés élaboré en octobre 2017 et définissant les engagements des bénéficiaires d’une protection sur le territoire italien. Ces derniers doivent s’engager à apprendre la langue italienne, à partager les valeurs fondamentales de la Constitution et à participer à la vie économique, sociale, et culturelle du territoire dans lequel ils vivent.
La Commission européenne a mis l’accent sur le rôle important de l’échelon local pour la programmation et la mise en œuvre des politiques publiques d’intégration des primo-arrivants, demandeurs d’asile et bénéficiaires d’une protection internationale. En décembre 2019, Ylva Johansson, commissaire européenne aux Affaires intérieures, a appelé au renforcement du rôle des autorités locales dans les politiques d’accueil et d’intégration. Cette déclaration résulte d’initiatives menées ces dernières années, comme celle du Comité européen des Régions (CdR). En avril 2019, cet organe consultatif de l’UE a défendu la prise en compte des perspectives locales et régionales dans l’élaboration des politiques européennes en lançant l’initiative « Les villes et les régions pour l’intégration des migrants » (#Region4Integration). L’initiative prévoit notamment « le partage de bonnes pratiques en matière d’intégration locale des réfugiés » et « la mise en valeur de l’apprentissage par les pairs, en mettant en relation les villes plus expérimentées avec celles qui commencent juste à accueillir des migrants ».
Pour faciliter l’articulation entre l’action des pouvoirs publics nationaux et le cadre européen, des instances de réflexion et d’échanges sur l’intégration participent à l’élaboration d’une « vision commune » de l’intégration des ressortissants des pays tiers, dont les personnes réfugiées. Le Réseau européen des migrations par exemple, qui travaille sous l’égide de la Commission européenne, fournit des informations « actualisées, objectives, fiables et comparables à destination des institutions de l’UE et des autorités et institutions des États membres » sur divers sujets relatifs à la migration, dont l’intégration.
Vers une coordination renforcée de l’UE au sein d’une Europe marquée par les disparités
De grands principes communs, énoncés en novembre 2004, encadrent la politique communautaire en matière d’intégration. Ils reprennent les conclusions du Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 et guident les États membres dans la mise en œuvre de leurs politiques d’intégration à l’échelle nationale. Parmi eux, le onzième principe, qui fait référence à « l’élaboration [nécessaire] d’objectifs, d’indicateurs, et de mécanismes d’évaluation pour adapter les politiques, mesurer les progrès en matière d’intégration et améliorer l’efficacité de l’échange d’informations » permet de saisir l’enjeu européen sur la question. C’est par la circulation d’idées, d’expertise, de recommandations et d’orientations, que l’UE guide et tente de coordonner les politiques des États membres. Dans le contexte d’augmentation des flux migratoires vers l’Europe, le « Plan d’action sur l’intégration des ressortissants de pays tiers » adopté en 2016 par la Commission, a synthétisé cinq axes prioritaires pour les politiques publiques d’intégration[1]. Ce dernier a été remplacé le 24 novembre 2020 par un « Plan d’action pour l’intégration et l’inclusion » pour la période 2021-2027, annoncé lors de la présentation du nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile en septembre 2020.
En pratique, l’UE s’implique aussi pour l’intégration des réfugiés via des programmes de financement et d’évaluation, comme avec le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI). Ce fonds, qui a pour objectif de contribuer à une gestion « efficace » des flux migratoires, soutient la migration légale vers les États membres et promeut l’intégration des ressortissants de pays tiers. Le FAMI finance, entre autres, le « Mécanisme national d’évaluation de l’intégration » (NIEM)[2], un projet qui regroupe des institutions, des universitaires, des centres de recherche et des structures associatives, dont France terre d’asile, pour produire une expertise comparée sur l’efficacité des politiques publiques d’inclusion sociale et d’intégration des réfugiés dans 14 pays membres de l’UE.
En plus de souligner l’écart entre le cadre légal existant en termes de politiques d’intégration et leur mise en œuvre effective, les récentes données produites par NIEM ont montré des résultats contrastés entre les pays impliqués dans le projet, à l’image d’une Union européenne fragmentée sur la volonté d’inclure les réfugiés dans leur société d’accueil. Sur le volet de l’emploi par exemple, et plus particulièrement en termes de coordination et de mise en œuvre des politiques d’intégration[3], la Lituanie, la France et la Suède obtiennent un score encourageant tandis que la Pologne, la Hongrie et la Grèce font figure de mauvais élèves en la matière. Les principales conclusions du projet soulignent la prévalence « de grandes disparités » et un manque de coordination entre les gouvernements nationaux et les acteurs de la société civile.
Une montée des discours hostiles à l’égard des réfugiés
Outre des volontés politiques nationales différenciées au sein de l’Union, la montée des discours populistes et hostiles à l’égard des demandeurs d’asile et des personnes réfugiées entretient un climat défavorable à leur intégration dans la société d’accueil.
La situation économique et politique des différents États membres joue également un rôle dans l’appréciation que font les gouvernements de l’importance de mettre en place des politiques d’intégration des réfugiés. En Grèce, un pays davantage concerné par les flux migratoires par sa position géographique, mais aussi victime d’une crise économique de grande ampleur depuis 2008, les ONG pointent du doigt un « trou noir » et un manque de cohérence dans ce domaine. Lefteris Papagiannakis, responsable de l’ONG « Solidarity Now », a dénoncé à l’été 2020 « d’importants programmes de logement et d’aide en espèces qui ne sont pas interconnectés et qui n’ont aucune continuité ». En effet, en juin 2020, près de 10 000 réfugiés ont été contraints de quitter leur hébergement pour laisser place à des demandeurs d’asile, faute de structure d’accueil disponible pour les primo-arrivants. Face à cette situation urgente, le programme d’intégration HELIOS, financé par la Commission européenne et mis en œuvre par l’Organisation internationale pour les migrations en coordination avec l’État grec, a soutenu une partie les réfugiés statutaires concernés par cette mesure d’expulsion. Le programme, dont les données sont régulièrement actualisées, a aidé des réfugiés – jusqu’à 3 500 personnes – à chercher un nouveau logement et leur a versé une aide financière pendant 6 à 12 mois.
L’intégration, un enjeu crucial en pleine pandémie
Enfin, l’intégration a été un enjeu central pendant la crise sanitaire. La pandémie représente en effet un moment de précarisation et de vulnérabilisation des réfugiés, comme des demandeurs d’asile, menaçant ainsi leur intégration et leur inclusion dans la société d’accueil.
Dans ce contexte, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a insisté sur la « triple crise » sanitaire, socioéconomique et de protection que subissent les personnes déplacées et réfugiées depuis le début de la pandémie. Pour y remédier, certains pays européens ont pris des mesures d’urgence, généralement temporaires, pour éviter une aggravation de leur situation.
Pendant le confinement, le Portugal a procédé à la régularisation des personnes ayant déjà fait une demande de titre de séjour, y compris les demandeurs d’asile. Cette mesure, en vigueur de février à juin 2020, leur a ainsi – temporairement – facilité, en pleine pandémie, l’accès aux services publics de santé, la signature d’un contrat de travail, l’ouverture d’un compte courant mais aussi les démarches de demande d’allocations en cas de suspension du contrat de travail.
Ces mesures temporaires n’effacent pas pour autant l’impact de la crise sanitaire sur l’intégration des réfugiés. Au printemps 2020, le Danemark a par exemple suspendu la totalité des programmes d’intégration qui leur étaient destinés et fermé les écoles de langue. En Allemagne, une étude publiée par l’Institut Ifo de Munich sur l’impact du COVID-19 sur l’intégration des réfugiés montre qu’au-delà de la perte de lien social et de l’anxiété, les personnes réfugiées ont été davantage concernées par une montée du chômage et ont été plus exposées aux risques de contamination de la maladie.
Dans l’ensemble, les États membres de l’Union européenne ont pour la plupart défini un cadre légal pour l’élaboration de politiques d’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale ; les orientations européennes constituant à cet égard un socle commun important. Néanmoins, les pays investissent plus ou moins d’efforts pour mettre en œuvre de manière effective ces mesures, pour des questions politiques ou à cause du manque de moyens disponibles. À cet égard, les négociations qui débutent entre les États membres dans le cadre du nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile, et notamment sur l’intégration, seront déterminantes pour concilier les intérêts divergents des gouvernements nationaux sur la question.
[1] Mesures d’intégration préalables au départ et à l’arrivée, éducation, marché du travail et formation professionnelle, accès aux services de base, participation active et inclusion sociale.
[2] Projet transnational de recherche lancé en 2016 pour six ans visant à produire une expertise sur l’inclusion sociale et l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale.
[3] Mesurés par trois indicateurs : 1) les mécanismes pour intégrer l’insertion des réfugiés dans les politiques de l’emploi, 2) la coordination avec les autorités régionales et locales sur l’emploi des réfugiés et 3) les partenariats sur l’emploi avec les ONG expertes et les organisations de la société civile.