Pacte sur la migration et l’asile : accélération des négociations dans un contexte de tensions entre les États membres
Depuis le 1er juillet, date du début de la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, le gouvernement de Pedro Sanchez cherche à accélérer les négociations sur le Pacte sur la migration et l’asile afin qu’un compromis général soit conclu avant les élections européennes de mai 2024. En négociations depuis 2020, le Pacte comprend un ensemble de textes législatifs, dont cinq règlements, qui visent à réformer le régime d’asile européen et de renforcer l’harmonisation entre les États membres.
En avril 2023, le Parlement avait fait part de ses positions, en amendant le règlement modifiant la procédure d’asile dans l’UE (« Règlement Procédure ») et le règlement sur la gestion de l’asile et de la migration. Les États membres au sein du Conseil de l’UE ont également adopté leurs positions sur ces textes, par un vote à majorité qualifiée lors du Conseil « Justice et Affaires Intérieures » des 8 et 9 juin 2023. La Pologne et la Hongrie ont voté contre la position proposée par les groupes de travail du Conseil, tandis que la Bulgarie, Malte, la Lituanie et la Slovaquie se sont abstenus. Ces deux propositions de règlements vont désormais faire l’objet d’un « trilogue », c’est-à-dire de négociations tripartites entre le Conseil, le Parlement et la Commission.
La proposition de règlement visant à instaurer un filtrage des ressortissants d’état tiers ( « Règlement Filtrage ») et la proposition de règlement Eurodac, pour la comparaison des données biométriques des ressortissants de pays tiers, sont déjà en négociations tripartites. Le texte « situation de crise et cas de force majeure » cristallise quant à lui de nombreux débats et les positions du Conseil à son sujet sont encore incertaines. Le « Règlement Qualification », qui vise à redéfinir les conditions que doivent remplir les demandeurs d’asile et la protection qui leur est octroyée, ainsi que la refonte de la directive accueil, qui modifie les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés, sont prêts à être adoptés mais ont été mis en pause dans l’attente d’un accord sur les autres textes.
Des positions inquiétantes pour les droits des demandeurs d’asile dans le cadre du règlement sur la procédure d’asile.
Le futur « Règlement Procédure » a pour objectif de remplacer l’actuelle « Directive Procédures ». Outre les modifications apportées au cadre actuel des procédures d’asile dans les États membres, le texte prévoit la mise en place d’une nouvelle procédure commune d’asile aux frontières externes de l’UE. Cette procédure vise à permettre une évaluation rapide des demandes jugées infondées ou irrecevables, et une nouvelle procédure commune d’organisation des retours depuis ces mêmes frontières.
Les pays du centre et du nord, dont l’objectif est de mettre fin aux « mouvements secondaires », sont parvenus à faire voter la mise en place d’une procédure d’asile à la frontière obligatoire pour les personnes originaires de pays dont le taux de protection est inférieur ou égal à 20 % en moyenne dans l’UE. Le Conseil propose un seuil minimum de 30 000 personnes, au niveau européen, dont les demandes seront traitées chaque année via cette procédure. Ce seuil repose sur le concept de « capacité adéquate », dont le calcul pose encore de multiples questions. Le Conseil s’est exprimé également en faveur d’une limitation des exemptions pour cette procédure à la frontière, en ce qui concerne par exemple les mineurs et les personnes vulnérables. Ceci conduirait de facto à une utilisation accrue de la rétention aux frontières extérieures.
Des tensions autour des relocalisations dans le cadre du règlement sur la gestion de l’asile.
Le règlement régissant la gestion de l’asile et de la migration dans l’UE (RAMM), censé remplacer l’actuel « Règlement Dublin », prévoit un maintien des critères actuels de détermination de la responsabilité d’un État membre quant aux demandes d’asile, avec toutefois des modifications spécifiques.
Ainsi, la proposition de la Commission d’élargir la définition de la « famille » pour y intégrer les frères et sœurs dans le cadre du « regroupement familial » au sein de l’UE, a été rejetée par le Conseil. De même, la période de responsabilité du pays d’arrivée d’un demandeur d’asile est prolongée à deux ans pour les demandeurs qui sont entrés par la frontière extérieure, malgré les réticences à ce sujet des pays de première arrivée, en particulier l’Italie et la Grèce. Toutefois, cette période de responsabilité est réduite à 15 mois en cas de rejet dans le cadre d’une procédure à la frontière et à 12 mois pour les demandeurs ayant été secourus en mer.
S’agissant des éloignements, bien que les États ne se sont pas mis d’accord sur une liste européenne de « pays sûrs », il a été décidé qu’une personne ayant « des liens de connexion » avec un pays tiers sûr, pourrait s’y voir renvoyée. Comme défendu ardemment par l’Italie, les États membres se sont aussi accordés sur le fait que l’établissement d’un tel lien de connexion constituait une prérogative nationale.
Par ailleurs, après d’âpres débats, le Conseil s’est finalement positionné en faveur des propositions de la Commission d’instaurer un mécanisme de solidarité flexible en matière de relocalisation des demandeurs d’asile. Les ministres des États membres ont défini le montant de l’équivalent financier d’une relocalisation, à savoir 20 000 euros par relocalisation refusée. Il n’est pas clair encore quel type de compensation sera proposé aux pays qui acceptent de traiter une demande dont ils ne sont originellement pas responsables.
La question des relocalisations est à l’origine de vives tensions entre États et du vote négatif de la Pologne et de la Hongrie, qui incarne d’ailleurs une rupture sans précédent du groupe de Visegrad. Ces tensions se sont notamment exprimées lors du conseil européen du 29 juin 2023, durant lequel la Hongrie et la Pologne ont maintenu leur position malgré de multiples tentatives de négociation à l’initiative de Charles Michel et de Giorgia Meloni.
La définition qui sera donnée à la « pression migratoire » dans ce règlement et si y seront incorporés certains éléments issus de la proposition de « Règlement instrumentalisation » demeurent incertains à ce stade.
Un retour en force de la notion « d’instrumentalisation ».
En février dernier, des discussions avaient déjà été amorcées entre États membres afin de fusionner le « Règlement situation de crise et force majeure » avec la proposition de règlement visant à « faire face aux situations d’instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l’asile » proposé par la Commission en décembre 2021. En juin, la présidence suédoise du Conseil a impulsé un nouveau texte en ce sens : « la proposition de règlement relatif aux situations de crise, d’instrumentalisation et de force majeure dans le domaine des migrations et de l’asile ». Le Conseil ne parvient cependant pas à trouver une position commune sur la question de l’instrumentalisation. En effet, plusieurs États membres (Luxembourg, Allemagne, Portugal et Irlande) estiment que la proposition va trop loin en termes de dérogations. A l’opposé, le « Règlement instrumentalisation » est une clé de négociations pour plusieurs pays baltes et de l’Europe de l’est (Estonie, Pologne, etc.) et symbolise tout ce que ces États souhaitent obtenir du Pacte.
Si un compromis était trouvé au Conseil sur la proposition de règlement relatif aux situations de crise, d’instrumentalisation et de force majeure, cette institution pourrait tenter d’imposer ses vues au Parlement, qui n’est à priori, pas favorable à une législation sur l’instrumentalisation. Jusqu’alors, il a commandé une étude d’impact qui pourrait être prête à l’automne prochain et se refuse à adopter une position sur la proposition de « Règlement instrumentalisation » avant cette date. Le scénario probable demeure ainsi une introduction de la notion d’instrumentalisation dans le droit européen.
Si le nombre de sujets qui suscitent encore de vifs débats demeure très élevé, les différentes institutions européennes semblent vouloir accélérer les négociations afin de parvenir à adopter les différents instruments du Pacte avant la fin de la mandature de la Commission et du Parlement européen au printemps 2024.
Article publié le 17.07.2023.