Panorama de l'accueil des demandeurs d'asile à travers l'Europe
Avec la forte pression migratoire des années 2015-2016, qu’en est-il de l’accueil des demandeurs d’asile sur le continent européen ? Les pratiques demeurent encore très diverses… malgré les efforts d’harmonisation de l’Union européenne.
Depuis la mise en place d’un système européen commun d’asile, l’Union européenne harmonise pas à pas les différents aspects gouvernant le traitement des demandeurs d’asile. L’accueil de ces derniers est un élément central des politiques d’asile, même si la notion reste mal définie. Le texte régissant actuellement la question de l’accueil au niveau européen est une directive, adoptée en 2013, ayant modifié un précédent texte datant de 2003. La Directive « accueil » oblige les États membres à garantir un niveau de vie digne et vise à harmoniser les conditions d’accueil dans tous les États membres. Toutefois, la Directive, instrument sans application directe, qui est transposée en droit national, ne présente que des normes très minimales et laisse à chaque État membre une large marge de manœuvre et d’interprétation.
S’il n’y a pas, à proprement parler, de définition de l’accueil, il s’entend toutefois au-delà du seul hébergement des demandeurs d’asile. Cela comprend aussi l’information sur les droits, un accès au séjour et une liberté de circulation, ainsi qu’un accès aux soins, à l’éducation, ou au travail. Selon la Directive, les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile doivent ainsi inclure le logement, la nourriture et l’habillement fournis en nature ou sous forme d’allocation financière, ainsi qu’une allocation journalière.
Des modèles d’accueil des demandeurs d’asile spécifiques à chaque État de l’Union
Les conditions matérielles d’accueil proposées varient significativement dans l’Union européenne. En ce qui concerne le mode d’hébergement, certains États comme les Pays-Bas ou la Grèce, privilégient des hébergements collectifs, tout au long de la procédure ; d’autres distinguent hébergement de premier accueil, en général collectif, et hébergement plus pérenne individuel, comme l’Autriche ou la Belgique ; d’autres enfin proposent des hébergements individuels dès l’enregistrement de la demande, comme en Suède et en Allemagne, dans certaines municipalités. L’aide financière varie également dans chaque pays. Elle est automatique pour certains, dépend du niveau de revenus pour d’autres. L’accès à des soins médicaux est universel en France mais accordé uniquement en cas d’urgence en Suède. Si l’accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile est garanti, en application de la Directive accueil, hormis en Hongrie, le délai d’accès varie de quelques jours à plusieurs mois suivant les pays. L’accès à l’éducation est, quant à lui, garanti dans la plupart des États.
Au-delà du constat général, la multiplicité des politiques d’accueil s’explique aussi du fait de la situation géographique des États dans l’Union.
Dans les États de première entrée, comme la Grèce, l’Italie et l’Espagne, les conditions minimales d’accueil divergent si le demandeur d’asile se trouve sur une île ou sur le continent. De plus, ces pays de première ligne, ne se définissant pas toujours comme « pays d’asile », ont toujours eu des difficultés à accueillir, même avant la crise de 2015. En réponse à ces arrivées massives, il s’est également développé une formule d’accueil spécifique en Italie et en Grèce : les hotspots, centres de premier accueil où sont hébergés, identifiés et enregistrés les nouveaux arrivants.
Les États d’Europe centrale et des Balkans, principalement pays de transit, situés sur la route migratoire, ont peu investi dans des structures d’hébergement pour les demandeurs d’asile et se retrouvent régulièrement en difficulté pour accueillir les demandeurs arrivant sur leur territoire. Par exemple, la Bosnie ne dispose que d’un seul centre pour demandeurs d’asile dans tout le pays.
Les pays d’arrivée comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont aussi des modèles spécifiques car les demandeurs d’asile ont vocation à s’établir durablement sur leur sol. Il existe dans ces pays une politique de répartition des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire. L’Allemagne limite la liberté de circulation des demandeurs d’asile, certains Länder la réduisant même à la limite d’une ville.
Vers un traitement différencié entre demandeurs d’asile ?
Si l’accueil n’est pas uniforme parmi les États, des divergences existent également au sein d’un même pays d’accueil car on constate des différences de traitement dans l’accueil entre demandeurs d’asile.
De plus en plus, les modalités d’accueil varient en fonction de la nationalité des demandeurs d’asile. En Allemagne le « modèle de Bamberg », du nom d’une petite ville de Bavière, prévoit que les demandeurs d’asile ressortissants de pays obtenant peu l’asile sont enregistrés dans un centre de transit visant à examiner la demande d’asile et à organiser, si nécessaire, l’éloignement des déboutés. Cette distinction existe aussi dans les hotspots. Ainsi, en Grèce, les Syriens ont été hébergés dans des centres d’accueil à part, tandis qu’en Italie, certaines nationalités considérées a priori comme n’ayant pas besoin d’une protection internationale et identifiées en tant que « migrants économiques » après leur arrivée, sont placées dans des centres de rétention.
Une autre différence de traitement peut apparaître lorsque l’accueil des demandeurs est décentralisé. Dans un État fédéral comme l’Allemagne, les conditions d’accueil varient d’un Länder à l’autre.
Outre les différences de traitement, la question d’un accueil dans des conditions dignes se pose. Ainsi pour certains États, les normes minimales d’accueil telles que mentionnées dans la Directive « accueil » : maintien de l’unité familiale, accès au système éducatif, accès au travail, à la formation professionnelle, aux soins, etc, ne sont pas respectées.
Parfois, c’est le manque d’hébergement chronique qui entrave la dignité de l’accueil. L’Agence européenne des droits fondamentaux confirme dans son dernier rapport trimestriel que la capacité d’accueil est suffisante uniquement en Autriche, en Bulgarie, en Allemagne, en Hongrie, en Pologne, aux Pays-Bas et en Suède. La France, l’Italie et la Grèce manquent, pour leur part, structurellement de places d’hébergement, obligeant des personnes à dormir à la rue ou dans des camps de fortune.
Parvenir à un accueil digne est complexe en présence d’un nombre important de demandeurs d’asile. En 2015-2016, quelques États ont pu héberger tout le monde mais pas toujours dans des conditions adéquates. Par exemple, l’Allemagne a privilégié l’hébergement d’urgence dans les gymnases, des entrepôts ou encore dans l’ancien aéroport de Tempelhof. En Bulgarie, il a été observé une détérioration des conditions d’accueil avec une suppression de l’allocation financière aux demandeurs d’asile et un manque de nourriture. Quelques fois, le dysfonctionnement de la procédure d’asile, saturée par le nombre de demandes, a des conséquences néfastes sur l’accueil des demandeurs d’asile, à l’instar de l’Espagne, dont le système d’enregistrement de la procédure d’asile, trop lent, prive les demandeurs d’asile des conditions matérielles d’accueil et les expose à une expulsion du territoire.
En Hongrie, c’est la politique étatique qui empêche la mise en place d’un accueil digne. Tous les demandeurs d’asile arrivant à la frontière sont automatiquement placés en zone de transit où les conditions matérielles d’accueil sont limitées.
Les défis futurs à relever pour l’accueil des demandeurs d’asile
Lors de la crise migratoire de 2015-2016, certains pays étaient moins armés que d’autres pour développer un système d’accueil résilient, capable de répondre à l’afflux de demandeurs d’asile. La Suède est l’un des rares États à avoir réussi à accueillir tout le monde de façon adéquate. Depuis 2017, malgré une baisse du nombre de demandeurs d’asile (passant de 1,2 millions en 2016 à 700 000 en 2017), les solutions d’urgence mises en place n’ont pas toujours été démantelées et certaines solutions temporaires ont tendance à se pérenniser. C’est le cas des hotspots dans les îles grecques ou italiennes ou des systèmes de « pré-accueil » en France et en Belgique.
Le défi que représente l’accueil en Europe est peu analysé. Les données sur l’accueil sont d’une part difficile à collecter, spécifiques à chaque pays, peu comparables d’un pays à l’autre et cela constitue un obstacle de taille à une harmonisation véritable à l’échelle européenne. Révélateur de cette difficulté, dans le cadre de la révision du Régime européen commun, la directive accueil est la seule à ne pas être transformée en règlement, afin de laisser une marge de manœuvre suffisante aux États. Les normes communes resteront donc minimales. Une réelle harmonisation européenne pour un accueil efficace et digne relève sans doute, encore, de l’utopie.