Réfugiés afghans en Europe : le reflet d’une politique d’asile contrastée
© UNHCR/Socrates Baltagiannis
L’Afghanistan, terre de conflits et d’instabilité politique depuis plus de quarante ans, a connu l’exode de millions d’Afghans à l’intérieur du pays et vers les pays voisins. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a estimé le nombre de réfugiés afghans à près de 2,6 millions dans le monde en 2020. Si près de 85 % d’entre eux se trouvent dans les pays limitrophes, au Pakistan (1,4 millions) et en Iran (780 000 personnes), seulement 13 %, soit 337 682 personnes, étaient reconnues réfugiées selon les données du HCR en Europe en 2020. Avec 147 994 réfugiés afghans recensés sur son territoire en 2020, l’Allemagne est de loin le premier pays d’accueil au sein de l’Union européenne (UE), devant l’Autriche, la France, la Suède et la Grèce Au sein de l’Union, la nationalité afghane est également la plus représentée parmi les primo- demandeurs d’asile ces cinq dernières années, après les Syriens.
Cependant, les bouleversements politiques, économiques et sociaux, provoqués par la prise de pouvoir des Talibans en août dernier poussent de nombreux États membres à « craindre » une augmentation des demandes d’asile afghanes au sein de l’UE dans les mois à venir. Si le HCR a récemment déclaré que l’arrivée des Talibans n’a pas entraîné à ce stade de déplacements transfrontaliers significatifs, l’Allemagne aurait enregistré ces derniers mois une augmentation des demandes d’asile déposées par des Afghans, avec 10 860 demandes d’asile déposées durant les sept premiers mois de 2021, soit une hausse de 69 % par rapport à la même période en 2019.
Face à la crise humanitaire imminente en Afghanistan, les États membres de l’Union ont apporté une réponse fragmentée, allant de la mise en place d’opérations d’évacuation pour les Afghans particulièrement menacés, au refus de certains pays, notamment de l’Est, d’accueillir davantage de personnes[1]. Ces disparités se retrouvent également dans les politiques d’asile et d’intégration en faveur des personnes afghanes qui ont obtenu une protection au sein de l’Union. En fonction de l’État membre où elles se trouvent, les personnes ne bénéficient ainsi pas de la même protection, ni des mêmes droits qui en découlent.
Des disparités importantes de taux de reconnaissance et formes de protection internationale
Les taux de reconnaissance des Afghans – soit la part des décisions d’octroi d’une protection sur le nombre total de décisions – varient fortement en fonction des États membres de l’Union responsables de l’instruction de la demande d’asile. Ainsi, l’Italie a accordé une protection internationale à 93,8 % des demandeurs d’asile afghans en 2020[2], tandis que la Suède oscille autour des 40 %, ce qui illustre le manque d’harmonisation des taux de reconnaissance au sein de l’UE.
Toutefois, les taux de reconnaissance doivent être examinés au regard du nombre de demandeurs d’asile afghans présents dans le pays. Alors qu’en 2020 l’Allemagne, aux côtés de la Grèce et de la France – faisait partie des pays ayant accueilli le plus grand nombre de primo-demandeurs d’asile afghans au sein de l’Union avec 9 900 demandes enregistrées, le taux de reconnaissance accordé demeurait assez faible, avec 52,1 % en moyenne. À l’inverse, si la politique italienne d’asile peut sembler généreuse en octroyant une protection à 93,8 % des Afghans en moyenne, la péninsule n’a accueilli que 640 primo-demandeurs d’asile en provenance de ce pays en 2020.
Le durcissement des politiques migratoires de certains gouvernements européens se reflète également dans les taux de protection internationale accordés aux Afghans. En Suède, depuis l’adoption de la loi de 2016 durcissant le régime d’asile, le taux de reconnaissance global a ainsi chuté pour s’établir à environ 40 % ces quatre dernières années, alors qu’en 2014 il était de 60,3 % en moyenne. En France, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a suspendu en novembre 2020 la « jurisprudence Kaboul », qui permettait à une majorité de demandeurs d’asile afghans d’obtenir une protection internationale en raison d’une situation considérée comme relevant d’une violence aveugle. Si la décision a été confirmée par le Conseil d’État en juillet 2021, il est encore trop tôt pour analyser la prise en compte de la nouvelle situation dans le pays par l’Ofpra et la CNDA.
Exception à la règle, l’Autriche, qui a plaidé en faveur du maintien des expulsions vers l’Afghanistan malgré la prise de pouvoir des Talibans et s’est opposée à la réinstallation d’Afghans sur son territoire – et dont l’ex-chancelier Sebastian Kurz était connu pour ses propos anti-immigration – a pourtant rendu une majorité de décisions positives aux Afghans en 2020. Ainsi, si seulement 44 % des demandeurs d’asile afghans avaient obtenu une protection internationale en 2018, ce chiffre s’élevait à 72 % en 2020.
Outre les taux de reconnaissance de protection internationale qui varient d’un État à un autre, les formes de protection accordées aux demandeurs afghans font également l’objet de fortes disparités au sein de l’Union. En 2020, l’Allemagne a ainsi octroyé principalement une protection à titre humanitaire aux Afghans, à hauteur de 71 % des décisions positives, contrairement à l’Autriche, qui a accordé en majorité le statut de réfugié, avec 63 % des décisions positives. En France, en Italie ou en Grèce, les Afghans obtiennent davantage une protection subsidiaire.
Ces disparités en matière de formes de protection impactent également de manière significative les parcours d’intégration des Afghans au sein de l’UE par la suite. Alors que le statut de réfugié permet généralement un accès à des droits similaires à ceux des citoyens ou des ressortissants des pays de l’UE, la protection subsidiaire ou à titre humanitaire limite dans certains pays l’accès à certains droits, notamment à la réunification familiale, au séjour, aux aides sociales ou encore à l’emploi – la directive européenne « qualification » de 2011 laissant une marge de manœuvre importante aux États membres.
Ces disparités mettent en lumière le manque d’harmonisation des politiques européennes d’asile. Si la question de l’intégration des réfugiés afghans déjà présents en Europe avant la prise de pouvoir des Talibans est cruciale, une réponse coordonnée de la part de l’UE est également nécessaire pour garantir une protection effective aux Afghans menacés, restés bloqués en Afghanistan ou dans les pays voisins.
Article publié le 22/10/21
[1] Voir les déclarations des gouvernements autrichiens, tchèques, hongrois, danois et polonais.
[2] Donnée calculée à partir des tableaux d’Eurostat sur les décisions de premières instances et définitives sur les demandes d’asile.