L'Europe de l'asile au sortir de la crise sanitaire
L’épidémie semble avoir tout suspendu : les arrivées de migrants en Europe, leur circulation entre les pays membres qui ont fermé leurs frontières, voire l’exercice du droit d’asile dans les pays comme la France qui ont été jusqu’à fermer les guichets aux demandeurs d’asile, et presque le débat sur ces questions. Le reflux de l’épidémie est un bon moment pour faire le point.
Peut-on se contenter, comme l’a fait la nouvelle Commission européenne en avril, d’inviter les États membres à reprendre les enregistrements et le traitement des demandes, les transferts de dublinés, et les politiques de retour volontaires ou forcés ?
Les articles de ce numéro de « Vues d’Europe » ne prétendent pas tirer de la crise sanitaire encore actuelle des vues sur le nouvel état d’esprit des sociétés européennes devant l’accueil de migrants et des demandeurs d’asile, sur les besoins de protection ou sur l’expérience acquise de la solidarité. Ils se concentrent sur le bilan et les tendances observées depuis 2015 : la négociation inaboutie de la réforme du « RAEC », dont nous parle la parlementaire européenne Sylvie Guillaume; les tendances en Allemagne, pays qui a été en première ligne face à la crise syrienne, et qui sert parfois de modèle en France du fait de ses capacités d’hébergement et de planification dans un pays pourtant fort décentralisé – mais au prix de la liberté des demandeurs d’asile comme on le voit dans les Ankerzentren bavarois ; la solidarité entre États membres, absente lors de la crise syrienne et même devant les drames de la traversée de la Méditerranée, qui ont mis en évidence que la production de normes ne fait pas une politique ; d’où la multiplication des drames à la périphérie de l’Europe, en Grèce comme en Libye.
La périphérie, c’est peut-être là que les questions de la politique migratoire européenne vont se reposer en premier, là où sont bloqués tant de migrants, où l’on voudra trouver des solutions, et où la tentation pourrait être de répondre aux désirs de protection des sociétés européennes par un concours accru des pays tiers. La question de l' »externalisation » de la demande d’asile va sans doute revenir.
Se pointe déjà un débat sur la Turquie. À France terre d’asile, nous avons condamné, en 2016, l’arrangement de l’UE avec la Turquie, qui a retenu dans ce pays une grande part des réfugiés syriens. Aujourd’hui, apparaît l’idée que la Turquie étant devenue de fait le pays de destination – pas seulement dans des campements – de ces réfugiés, l’UE devrait travailler à consolider cet état de fait en aidant davantage à cet accueil et en normalisant sa gestion sur place sous l’égide du Pacte global adopté par les Nations Unies en 2018 sur proposition du HCR (voir l’article de Jérôme Vignon publié par l’Institut Jacques Delors en avril). La réaction opposée, qu’on trouvera dans ces colonnes, assimile cette idée à l’externalisation déjà souvent critiquée, celle du programme européen de La Haye en 2004, destiné à favoriser le développement de capacités d’accueil dans les pays voisins de l’UE, ou tout récemment celle du gouvernement italien avec les autorités libyennes.
Nous sommes ainsi ramenés à la difficulté de juger ce qu’il est légitime, pour les pays européens de faire avec les pays tiers. Il faut pour cela regarder les choses de près. Se souvenir que la grande majorité des personnes déplacées dans le monde résident dans un pays voisin du pays d’origine, sans y voir le plus souvent un simple pays de transit vers une autre destination. Cela peut être vrai même d’un pays voisin de l’UE, comme la Tunisie, que France terre d’asile connaît bien.
Que faire quand un pays comme la Turquie, voisin de l’Europe, est devenu à la fois pays de destination et pays de transit ? Cela mérite examen.
Thierry Le Roy, Président de France terre d’asile