Réfugiés syriens : l’Europe doit-elle renouveler son accord migratoire avec la Turquie ?
Le webinaire organisé par France terre d’asile le 9 avril dernier avec deux spécialistes montrait bien ce qu’a pu être, depuis 10 ans, la Turquie pour les réfugiés syriens : à la fois, pour au moins 2 millions d’entre eux, un point de passage vers l’Europe, auquel la coopération UE-Turquie s’est empressée de mettre obstacle par un « accord » de 2016 ; pour la grande majorité, près de 4 millions, un lieu de protection temporaire, d’accueil sur l’ensemble du territoire du pays, parfois d’insertion ; et, peut-être surtout, le pays voisin où l’espoir d’un retour peut-être entretenu, même 10 ans après, même si les sondages indiquent qu’ils ne voient pas encore remplies les conditions – matérielles et politiques – de ce retour.
L’Union européenne s’y est intéressée lorsque le flux syrien a atteint l’Europe. Par « accord » informel passé en mars 2016 avec le gouvernement turc, celle-ci a :
- demandé à la Turquie de freiner les arrivées de ces réfugiés en Grèce, par une action aux frontières à la fois terrestres et maritimes, sans doute aussi par action sur les passeurs, et par ce troc bizarre où la Turquie devait reprendre les migrants renvoyés de Grèce en échange de réinstallations de réfugiés syriens en Europe ;
- en échange, promis des visas pour les Turcs, et de financer les coûts liés à l’accueil des réfugiés syriens retenus en Turquie.
Nous avons vigoureusement condamné, à France terre d’asile, ce « deal » qui consistait, pour l’essentiel, à sous-traiter à la Turquie les responsabilités européennes à l’égard de ces réfugiés (communiqué de France terre d’asile du 3 juin 2016).
Le bilan de cet accord, analysé dans ce dossier de Vues d’Europe, au moment où se pose la question de son renouvellement, montre surtout que la Turquie reste, de loin, le premier pays d’exil des Syriens ; que l’UE a bien aidé financièrement (6 milliards d’euros) à leur accueil, contribuant sans doute à ce que la part des campements se résorbe (14 % en 2015, 2 % en 2020), à un minimum d’organisation de cet accueil par l’État, les provinces et les villes, à une certaine insertion économique, voire d’autres effets indirects (10 % de naturalisations) ou une amélioration de la loi sur l’asile. Le cadre juridique turc est encore, pour les réfugiés extra-européens, celui d’une « protection temporaire », en attente de retours ou de réinstallations ; et on manque évidemment d’une évaluation indépendante de l’impact de cette aide.
Les autres promesses de cet accord n’ont guère été tenues, qu’il s’agisse des visas, du renvoi de réfugiés syriens en Turquie (d’ailleurs condamné par les juges grecs), ou des programmes de réinstallation en Europe depuis la Turquie (28 500 en cinq ans). Et, en tant que « deal » par lequel l’UE aurait acheté au gouvernement turc la fermeture de sa frontière au départ de Syriens vers l’Europe, on a vu, dans la période récente, ce qu’une telle « diplomatie migratoire » de l’UE peut donner comme moyen de pression à son partenaire.
Lu ainsi, le bilan de la politique européenne avec la Turquie confortera notre condamnation du « deal » de 2016, et donc de son renouvellement, en tant qu’il charge le gouvernement turc de la police de la frontière européenne et de faire obstacle à l’arrivée de réfugiés syriens en Europe. Cela ne vaut pas condamnation de l’aide au renforcement des capacités d’accueil de la Turquie comme pays de premier accueil de réfugiés de la Syrie voisine.
Cet exemple peut éclairer notre réflexion sur ce que doit être la politique européenne de l’asile avec les pays tiers, ceux qu’on dit parfois de transit. On sait que plus des 3/4 des populations déplacées par l’effet des conflits dans le monde le sont dans les pays voisins. Le HCR précise que les conflits d’aujourd’hui ont plus qu’autrefois tendance à s’éterniser, ce qui empêche ces réfugiés de rentrer chez eux (Filippo Grandi, interview à La Croix, 27 mars 2021). Mais, 10 ans après, l’espoir de retour est toujours là.
La politique européenne avec les pays tiers doit donc être capable de discernement.
Tous ces pays tiers ne sont pas des pays voisins, de premier accueil pour les réfugiés. C’est une des raisons, au fond, qui nous oppose au concept de « pays tiers sûr » comme motif d’irrecevabilité d’une demande d’asile en Europe, trop imprécis et réglable à volonté pour fonder une politique respectueuse du droit d’asile, et pour ne pas être une voie de défausse par les pays européens des responsabilités de l’asile.
Et, dans ces pays voisins, nous devons savoir distinguer, dans ce qui y retient les réfugiés, les motifs et espoirs qui leur appartiennent des obstacles indéfendables à leur mobilité.
Thierry Le Roy, Président de France terre d’asile