Élections en Italie : le droit d’asile menacé par la victoire de l’extrême droite
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 23 septembre 2022Les élections législatives en Italie qui ont eu lieu le 25 septembre – déclenchées par la chute du gouvernement technique de Mario Draghi en juillet dernier -, ont été largement remportées par la coalition entre la droite et l’extrême droite, ouvertement « anti-migrants ».
Le parti postfasciste Fratelli d’Italia, mené par Giorgia Meloni qui deviendra probablement présidente du Conseil des Ministres, a recueilli plus de 26 % des voix, tandis que l’alliance formée avec le parti de droite Forza Italia de Silvio Berlusconi et la Ligue du Nord, parti d’extrême droite dirigé par Matteo Salvini, a obtenu plus de 44 % des suffrages au total, remportant ainsi une majorité nette à la Chambre des députés et au Sénat.
Un programme axé sur le blocage des débarquements et l’externalisation
Le programme de la coalition publié le 11 août dernier, intitulé « Pour l’Italie », comprend un volet « sécurité et lutte à l’immigration illégale » qui indique une volonté claire d’empêcher les personnes migrantes d’arriver en Italie, avec l’appui de l’Union européenne (UE). Si le programme prévoit de « favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des migrants en situation régulière » ou encore de « garantir aux communes les ressources nécessaires pour la prise en charge des mineurs non accompagnés » – la plupart des mesures marqueraient un large tournant restrictif de la politique migratoire italienne.
La coalition propose ainsi de « défendre les frontières nationales et européennes » par la mise en place d’un « blocus naval » qui « empêcherait les débarquements de migrants en Italie, en accord avec les autorités nord-africaines », tout en développant en parallèle des hotspots, dans les pays tiers, gérés par l’UE, qui seraient en charge de l’examen des demandes d’asile. Fin août, Giorgia Meloni a précisé vouloir développer une « mission européenne » en collaboration avec les autorités libyennes, pour « ouvrir un hotspot en Afrique », ajoutant que ces centres pourraient se trouver en Libye mais également en Tunisie.
Des personnalités politiques italiennes de gauche tout comme des organisations de la société civile affirment que cette proposition visant à externaliser la procédure d’asile en dehors du territoire de l’Union violerait les obligations européennes et internationales en matière d’asile, alors que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) continue par ailleurs de condamner le manque de garanties en matière de droits humains en Libye.
La menace de la « fermeture des ports »
Depuis le début de l’année, l’Italie est devenu le principal pays de destination de l’UE des personnes traversant la Méditerranée, devant l’Espagne. Selon les données du ministère de l’Intérieur italien, 68 208 personnes ont débarqué sur les côtes italiennes au 19 septembre, contre 43 274 à la même période en 2021 et 21 992 en 2020 durant la pandémie de Covid-19. Si ces chiffres sont effectivement en hausse, ils restent néanmoins bien en deçà de ceux de 2016, lorsque l’Italie avait accueilli 181 436 personnes.
Face à la hausse des arrivées, l’ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini – qui ambitionne de reprendre ses fonctions -, n’a cessé de dépeindre les personnes en besoin de protection comme une menace pour la sécurité dans le cadre de sa campagne électorale. Il a ainsi promis de rétablir le « Décret sécurité » qui avait été adopté en août 2019 pour interdire les eaux territoriales italiennes aux navires d’ONG secourant des exilés en Méditerranée et s’est engagé à de nouveau « fermer les ports ».
Matteo Salvini est déjà poursuivi en justice pour avoir empêché pendant dix-neuf jours, en août 2019, le débarquement du navire Open Arms de l’ONG espagnole éponyme qui avait à son bord 164 personnes, dont des victimes de torture en Libye. Si l’audience qui devait avoir lieu le 16 septembre a été ajournée, Matteo Salvini est directement accusé de « séquestration de personnes, omission et refus d’actes officiels ».
Par ailleurs, autre revers pour le dirigeant du parti d’extrême droite, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu le 1er août dernier dispose que les États membres n’ont pas le droit de bloquer dans leurs ports les navires d’organisations humanitaires qui réalisent des sauvetages en mer, à moins qu’il n’y ait « un risque évident de danger pour la sécurité, la santé ou l’environnement ». La Cour précise également qu’au cas où un contrôle s’avèrerait nécessaire, il ne pourrait se faire qu’une fois les passagers débarqués, conformément aux règles de droit international – notamment la Convention sur le droit de la mer de 1982 et la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1980 – qui obligent les État membres à prêter assistance aux personnes en situation de détresse en mer.
Des enjeux majeurs à l’échelle européenne
Face à l’ascension de l’extrême droite, l’antenne italienne du HCR avait publié, le 8 septembre dernier, douze propositions pour appeler le futur gouvernement à garantir le respect du droit d’asile dans la péninsule. Parmi ses recommandations, le HCR a notamment rappelé qu’assurer le secours en mer et garantir l’accès des personnes en besoin de protection au territoire italien est un impératif humanitaire, moral et légal pour tous les États.
Le HCR a également appelé le futur gouvernement italien à continuer à être moteur pour la mise en œuvre et le développement de voies légales et sûres pour les réfugiés, y compris via des programmes innovants tels que les couloirs universitaires. Le Parti démocrate (PD) italien, principal parti de centre gauche, rappelait par ailleurs que les personnes migrantes sont une ressource pour l’économie italienne, dans un contexte de vieillissement de la population et de chute drastique des naissances dans le pays.
La victoire de l’extrême droite aux élections du 25 septembre peut également avoir un impact au niveau européen, alors que les négociations du « Pacte sur la migration et l’asile » présenté par la Commission européenne en septembre 2020 sont toujours en cours. Suite à la victoire de la coalition dirigée par Giorgia Meloni, l’Italie pourrait ainsi décider de renégocier « l’approche graduelle » défendue lors de la présidence française du Conseil de l’UE en début d’année, qui consiste notamment à faire avancer en priorité les négociations des deux règlements sur le « filtrage » et Eurodac, qui visent à renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union et imposeraient par conséquent davantage de responsabilités aux pays situés en première ligne.