Élections européennes 2024 : Le Pacte européen sur la migration et l’asile se retrouve au centre des débats
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 29 avril 2024© The Left (redimensionnée) / Mouvement Jeunes Communistes de France (redimensionnée) / European Union 2024 / European Union 2023 / European Union 2024 / European Union 2024 / European Union 2022 / Gage Skidmore (redimensionnée)
La campagne pour les élections européennes, qui auront lieu le 9 juin 2024, amène les têtes de listes françaises à se prononcer sur les enjeux migratoires et d’asile. Le Pacte européen sur la migration et l’asile nourrit leurs prises de positions, mais plusieurs questions essentielles sont passées sous silence.
Approuvé par le Parlement européen le 10 avril 2024, à moins de deux mois des élections européennes, le Pacte européen sur la migration et l’asile devrait être adopté prochainement par les ministres de l’Intérieur réunis au sein du Conseil de l’Union européenne (UE). Cet ensemble de textes législatifs, qui a fait l’objet d’intenses négociations depuis quatre ans, est vivement critiqué par les partis politiques français en campagne pour les élections du 9 juin, malgré des positions parfois plus nuancées au Parlement européen. Seule Valérie Hayer (Renaissance) a revendiqué son vote en faveur de ce qu’elle présente comme « la vraie réponse européenne au défi migratoire ». Les autres têtes de liste se sont opposées au Pacte, jugé trop ou pas assez sévère, et ont parfois voté contre l’avis de leur groupe politique au Parlement.
Ainsi Manon Aubry (LFI) a voté contre l’ensemble du Pacte, tout comme Marie Toussaint (Les Ecologistes), en cohérence avec leur groupe respectif au Parlement. Raphaël Glucksmann (PS) a également voté contre, mais à contre-courant du groupe social-démocrate, qui a voté majoritairement en faveur du Pacte.
Si François-Xavier Bellamy (LR) laissait planer le doute sur ses intentions de vote, il a finalement voté texte par texte contre les règlements « gestion » et « crise », pour les règlements « filtrage » et « Eurodac » et s’est abstenu sur le règlement « procédure », en partie à contre-courant de son groupe politique qui soutient largement le Pacte.
Jordan Bardella (RN), s’est opposé à l’intégralité du Pacte, mettant en avant le mécanisme de solidarité, auquel il associe un risque de « submersion migratoire », à l’instar de son groupe politique au Parlement européen.
Si la majorité des candidats français se montre critique du contenu du Pacte, les différents partis souhaitent marquer leur différence sur les raisons de leur opposition. Ces divergences sont particulièrement notables sur la question de la solidarité entre États membres.
Réformer Dublin III : vers plus ou moins de solidarité ?
Un des objectifs affichés du Pacte était de remédier aux failles du système actuel en réformant le règlement « Dublin III », qui a fait reposer la responsabilité de l’accueil des demandeurs d’asile sur les pays de première entrée dans l’UE, et a échoué à organiser une véritable solidarité européenne.
La nécessité de réformer Dublin fait donc l’unanimité, mais les tendances politiques poursuivent des objectifs opposés. Pour la gauche, la priorité est de lutter contre les décès en Méditerranée et la précarité des personnes exilées sur le sol européen en instaurant une solidarité renforcée entre États membres, tandis que pour la droite et l’extrême-droite, la priorité est à l’externalisation de la politique migratoire et la lutte contre les mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui quittent leur pays d’arrivée pour un autre pays de l’UE.
Si Manon Aubry et Léon Deffontaines ne se sont pas exprimés à ce sujet, le reste de la gauche fait de la solidarité entre États membres un axe fort de la campagne. Raphaël Glucksmann souhaite sortir de ce « système d’accueil qui fait peser l’ensemble du poids sur les pays d’entrée » alors qu’il devrait « être assumé, de manière conjointe, par les nations européennes ». Marie Toussaint juge quant à elle que le système de Dublin « condamne les États dans lesquels arrivent les personnes migrantes à les garder, ainsi que les personnes demandeuses d’asile à y rester » et que « personne n’y gagne, sauf les États qui se refusent à jouer le jeu de la solidarité ». Elle propose de contraindre les États membres à « enfin faire leur part », afin que tous contribuent équitablement à l’accueil des demandeurs d’asile.
De l’autre côté de l’échiquier, les dispositions sur la solidarité sont au contraire considérées comme excessives. L’opposition à une « relocalisation » ou « répartition obligatoire des migrants » est portée par les têtes de liste Les Républicains comme Rassemblement National. Marion Maréchal ne s’est pas prononcée sur la mise en place d’un mécanisme de solidarité entre États membres.
Les frontières dans le viseur de la droite
Le renforcement des frontières est largement porté dans le débat par les partis de droite et d’extrême-droite. Les candidats Les Républicains et Rassemblement national mettent en avant le concept du « double-bouclier », à savoir à la fois « maîtrise des frontières nationales, et protection des frontières extérieures de l’Europe » (Jordan Bardella).
La question du rôle de Frontex, l’Agence européenne de garde-côtes et garde-frontières, y est étroitement liée. Le numéro 3 de la liste du Rassemblement national, Fabrice Leggeri, visé par une plainte pour complicité de crimes contre l’humanité, estime que l’agence qu’il a dirigé pendant sept ans avant de démissionner suite à une enquête de l’Office européen de lutte antifraude, est devenue une « agence d’accueil pour migrants » et appelle à un recentrage de son mandat sur le contrôle des frontières. A l’opposée, Manon Aubry estime que Frontex est « une agence de cowboys, qui laisse mourir des migrants en Méditerranée ». Marie Toussaint dénonce également l’action de l’agence, et rappelle qu’un renforcement des frontières ne permettrait en aucun cas d’arrêter « des gens qui fuient la guerre, la misère, les violences économiques profondes ». Elle dénonce au contraire les conséquences des politiques migratoires actuelles, qui contraignent les personnes migrantes « à la clandestinité et à la précarisation ».
La candidate écologiste s’indigne par ailleurs du défaut de « protection sociale », de l’enfermement des enfants et du « fichage des enfants à partir de 6 ans » qui seront rendus possible par les nouvelles procédures de filtrage et d’examen des demandes d’asile. Le Pacte sur la migration et l’asile prévoit en effet la mise en place d’un vaste système de privation de liberté aux frontières, où les personnes pourront être placées en centre de rétention plusieurs mois durant l’examen de leur situation. Il permettrait également à un Etat membre de financer le contrôle des frontières extérieures pour que sa participation à l’effort de solidarité soit considérée comme acquise. La tête de liste de la France insoumise a quant à elle affirmé que son parti refuserait « systématiquement tout ce qui est barrière, tout ce qui est barbelés ».
Le sauvetage en mer et l’accès légal et sûr au territoire européen : un dissensus assumé
Face à un accroissement de la surveillance aux frontières, les personnes se résignent à emprunter de nouvelles routes migratoires toujours plus dangereuses. Malgré les appels de la société civile, des groupes politiques européens et une recommandation de la Commission sur le sauvetage en mer, les atermoiements des États membres perdurent face aux tragédies qui ne cessent de se multiplier en Méditerranée.
Marie Toussaint et Raphaël Glucksmann insistent sur la nécessité de mettre en place des opérations de recherche et de sauvetage pour mettre fin à la « non-assistance » (Marie Toussaint) aux personnes, et pour empêcher que la mer Méditerranée « ne se transforme […] en cimetière » (Raphaël Glucksmann). Valérie Hayer attribue ces « drames » au statu quo européen.
A droite de l’échiquier politique, les candidats mettent en avant des mesures dissuasives pour lutter contre l’immigration irrégulière. Pour François-Xavier Bellamy, il faut avant tout lutter contre la « facilité » avec laquelle les migrants peuvent entrer en Europe en raison de l’incapacité des Européens à « maîtriser [les] frontières ». Marion Maréchal défend pour sa part le refoulement des bateaux « à leurs ports d’origine » ainsi qu’un blocus naval européen – des propositions contraires au droit de la mer et au droit d’asile.
Enfin, la question des voies légales de migration pour les personnes en besoin de protection (réinstallation, asile, visas ou couloirs humanitaires, réunification familiale), qui constituent un levier majeur pour offrir un accès sûr au territoire européen, est majoritairement passée sous silence. Si Raphaël Glucksmann propose la création de voies légales, c’est uniquement par le prisme « des besoins des économies européennes ». À l’extrême-droite de l’échiquier, Marion Maréchal assure que le système actuel de voies légales est déjà appliqué et suffisant, fermant les yeux sur les tragédies permanentes le long des routes migratoires.
[Sources] Cet article a été rédigé sur la base des prises de position publiques des principales têtes de listes au début de la campagne pour les élections européennes 2024 (jusqu’au 29 avril 2024).
Débat du 14 mars 2024, Public Sénat – Européennes 2024 : revivez les temps forts du débat entre les principales têtes de liste – Public Sénat (publicsenat.fr)
Débat du 10 avril 2024, RFI & France24 – Élections européennes : revivez le grand débat des têtes de liste françaises – Ici l’Europe (france24.com)
Série d’entretiens « L’évènement, l’interview », France TV – L’Évènement, l’interview sur France 2 : Replay de toutes les émissions – Actualité, infos et vidéos en direct (francetvinfo.fr)
Série d’entretiens Politico :
Elections européennes 2024: Les candidats répondent à Playbook Paris – Entretien avec Jordan Bardella – POLITICO
Elections européennes 2024: Les candidats répondent à Playbook Paris – Entretien avec Valérie Hayer – POLITICO
Elections européennes 2024: Les candidats répondent à Playbook Paris – Entretien avec Raphaël Glucksmann – POLITICO
Série d’entretiens « Demain l’Europe », : Demain l’Europe – Franceinfo (francetvinfo.fr)
« Raphaël Glucksmann souhaite la mise en place de “voies d’immigration légales” en Europe », Le Monde – Raphaël Glucksmann souhaite la mise en place de « voies d’immigration légales » en Europe (lemonde.fr)
« Immigration : “Il faut contraindre les pays qui refusent d’accueillir les migrants à le faire”, plaide la tête de liste écologiste Marie Toussaint », Franceinfo – Immigration : « Il faut contraindre les pays qui refusent d’accueillir les migrants à le faire », plaide la tête de liste écologiste Marie Toussaint (francetvinfo.fr)
« Marie Toussaint : « Les extrême droites, les nationalismes, l’égoïsme sont en train de gangréner l’Europe », radiofrance – Marie Toussaint : « Les extrême-droites, les nationalismes, l’égoïsme sont en train de gangréner l’Europe » (radiofrance.fr)
« Parler d’immigration pour contrer le RN : le pari de la majorité aux Européennes », Euractiv – Parler d’immigration pour contrer le RN : le pari de la majorité aux Européennes – Euractiv FR