Court of Justice of the European Union: ‘All Afghan girls and women seeking asylum are thus entitled to refugee status, solely on the basis of their nationality and gender’
Keren Rajohanesa, legal expert specialised in the rights of victims of gender-based violence, Passerell - Published on December, 20th 2024Version FrançaiseCour de justice de l’Union européenne : « Toutes les filles et femmes afghanes demandeuses d’asile peuvent ainsi prétendre au statut de réfugiée, du seul fait de leur nationalité et de leur genre »
Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu une décision marquant une nette avancée pour le droit d’asile des femmes afghanes, accordant une place importante au genre dans la protection internationale. Keren Rajohanesa, juriste spécialisée en droit des victimes de violences basées sur le genre au sein de l’association Passerell, analyse cette décision.
Quel était l’état de la jurisprudence de la Cour avant la décision du 4 octobre 2024 concernant la protection internationale des femmes afghanes ?
Depuis l’entrée en vigueur de la Convention d’Istanbul pour l’Union européenne le 1er octobre 2023, la Cour a entamé un processus de reconnaissance formelle des violences fondées sur le genre en tant que formes de persécution.
Le 16 janvier 2024, elle rendait un arrêt (« Femmes victimes de violences domestiques ») dans lequel elle dispose que le système européen commun d'asile doit être interprété dans le respect de la Convention d’Istanbul, quand bien même certains États membres ne l’ont pas ratifiée. Selon la Cour, les femmes peuvent être considérées comme appartenant à un groupe social particulier lorsque, dans leur pays d’origine, elles sont exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques, en raison de leur sexe.
Le 11 juin 2024, la Cour a rendu un autre arrêt (« KL ») concernant deux jeunes femmes irakiennes ayant déposé une demande ultérieure de protection internationale du fait de leur « occidentalisation » aux Pays-Bas. La Cour a estimé que les femmes et les filles qui « partagent comme caractéristique commune l’identification effective à la valeur fondamentale de l’égalité entre les hommes et les femmes » peuvent être considérées comme appartenant à un certain groupe social.
L’arrêt du 4 octobre 2024 s’inscrit dans une jurisprudence davantage protectrice pour les femmes demandant la protection internationale.
Est-ce une plus-value pour les femmes afghanes, par rapport à la décision de la Cour de janvier dernier ?
Cet arrêt est une plus-value pour les femmes afghanes car la Cour réitère que certaines violences fondées sur le genre comme le mariage forcé sont des actes de persécution, et affirme que des mesures discriminatoires, qui à elles seules ne peuvent être considérées comme des actes de persécution, peuvent, cumulées, constituer des actes de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugiée.
La Cour est claire : elle dénonce en Afghanistan « l’établissement d’une organisation sociale fondée sur un régime de ségrégation et d’oppression » des femmes. En se basant sur des rapports de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) et de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), elle reconnaît qu’il existe une présomption de reconnaissance du statut de réfugiée pour les femmes afghanes en raison de persécutions généralisées fondées sur le sexe. Toutes les filles et femmes afghanes demandeuses d’asile peuvent ainsi prétendre au statut de réfugiée, du seul fait de leur nationalité et de leur genre.
La crainte d’un acte de persécution est un élément clé de la demande d’asile. De quelle façon la Cour a utilisé la notion de discrimination systématique pour protéger ces femmes ?
La Cour rappelle que les actes de persécution tels que définis par la directive « Qualification » sont constitués dans deux cas de figure : lorsque ceux-ci atteignent un degré de sévérité tel qu’ils violent des droits fondamentaux considérés comme « absolus » (tels que le droit à la vie) et lorsque ceux-ci sont une accumulation de mesures, y compris des violations des droits humains, considérées comme suffisamment graves pour affecter un individu d’une manière « comparable » au premier cas de figure.
La Cour relève que si certaines mesures discriminatoires ne peuvent constituer des actes de persécution en elles-mêmes (la limitation de l’accès à l’éducation et à l’emploi), les mesures discriminatoires visant systématiquement les femmes et les filles afghanes, prises dans leur ensemble, les privent de leur dignité et atteignent un degré de sévérité tel qu’il justifie de les qualifier comme actes de persécution.
Cette interprétation permet de s’affranchir de l’approche traditionnelle prise par les autorités nationales de l’asile. Examiner des demandes de protection internationale sans suffisamment prendre en considération le contexte généralisé d’oppression des femmes est inadapté aux demandes fondées sur le genre.
Comment l’approche de l’évaluation individuelle adoptée par la Cour dans cette décision entérine-t-elle une vision genrée de la protection des réfugiés ?
La Cour rappelle le principe établi par la directive européenne « Qualification » selon lequel toute demande de protection internationale doit faire l’objet d’une évaluation individuelle. Une telle évaluation implique une analyse au cas par cas, en se fondant sur des faits pertinents relatifs au pays d’origine et à la situation personnelle du demandeur.
Toutefois, la Cour permet d’ajouter à cet examen individuel la prise en compte de la situation collective particulière des femmes opprimées en Afghanistan. Cela permet de lever certains obstacles que peuvent rencontrer les femmes dans le récit d’asile ou les preuves à apporter, en prenant en compte les connaissances que nous avons des persécutions subies par toutes les femmes en Afghanistan. Sur le terrain, nous remarquons qu’aujourd’hui dans des pays membres de l’UE certaines demandes sont rejetées alors même que la nationalité et le genre de la demandeuse ne sont pas remis en cause et qu’il n’y a aucun doute qu’elles risquent de subir, en cas de retour dans leur pays d’origine, des actes de persécution en raison de leur genre.
Peut-on envisager des répercussions positives, notamment sur les juridictions nationales et sur le développement du droit international des réfugiés ?
Au regard de ces jurisprudences, il est possible d’envisager des annulations de décisions des autorités d’asile, voire des réformations de ces décisions, lorsqu’elles ne prennent pas en considération le système d’oppression mis en place par les Talibans contre les femmes et les filles. Mais de telles avancées liées à la jurisprudence et à l’application de la Convention d’Istanbul dépendent de la connaissance effective de ces instruments par les professionnels du droit. Ceci est particulièrement urgent au sein des États membres qui, soit n’ont pas ratifié la Convention d’Istanbul, soit envisagent de s’en retirer, et/ou démontrent une réticence à s’y conformer.
Concernant le développement du droit international des réfugiés, cette jurisprudence consacre le genre en tant que considération primordiale dans l’examen des demandes de protection internationale. La terminologie utilisée par la Cour pourrait permettre de repenser les mesures discriminatoires ciblant les femmes et les filles dans d’autres États et qui peuvent inclure diverses formes de violences fondées sur le genre.
On October 4th, 2024, the Court of Justice of the European Union (CJEU) handed down a decision that marked a clear step forward for Afghan women’s right to asylum, giving gender an important place in international protection. Keren Rajohanesa, a legal expert specialised in the rights of victims of gender-based violence at Passerell, analyses this decision.
What was the Court’s case law prior to the decision of 4th October 2024 regarding the international protection of Afghan women?
Since the entry into force of the Istanbul Convention for the European Union on October 1st, 2023, the Court has begun the process of formally recognising gender-based violence as a form of persecution.
On January 16th 2024, it handed down a judgment (‘Women victims of domestic violence’) in which it ruled that the common European asylum system must be interpreted in compliance with the Istanbul Convention, even though some Member States had not ratified it. According to the Court, women can be categorised as belonging to a particular social group when, in their country of origin, they are exposed to physical or mental violence, including sexual violence and domestic violence, because of their gender.
On June 11th,2024, the Court handed down another judgment (‘KL’) concerning two young Iraqi women who subsequently applied for international protection because of their ‘westernisation’ in the Netherlands. The Court held that women and girls who ‘share as a common characteristic the fact that they genuinely come to identify with the fundamental value of equality between women and men’ can be considered as belonging to a certain social group.
The ruling of October 4th, 2024 is part of a set of case law which is more protective for women who seek international protection.
Is this an improvement for Afghan women compared to the Court’s decision of last January?
This ruling is an added value for Afghan women because the Court reiterates that certain forms of gender-based violence such as forced marriage are acts of persecution, and affirms that discriminatory measures, which on their own cannot be considered as acts of persecution, can, when taken together, constitute acts of persecution justifying the recognition of refugee status.
The Court is clear: in Afghanistan it denounces ‘the establishment of a social organisation based on a system of segregation and oppression’ of women. Based on reports from the European Union Asylum Agency (EUAA) and the Office of the United Nations High Commissioner for Refugee (UNHCR), it recognises that there is a presumption of recognition of the refugee status for Afghan women due to widespread gender-based persecution. All Afghan girls and women seeking asylum are therefore eligible for refugee status, solely on the basis of their nationality and gender.
Fear of persecution is a key element of the asylum application. How has the Court used the concept of systematic discrimination to protect these women?
The Court points out that acts of persecution as defined by the Qualification Directive are established in two cases: when they reach a degree of severity such that they violate fundamental rights considered to be ‘absolute’ (such as the right to life) and when they are an accumulation of measures, including violations of human rights, considered to be sufficiently serious to affect an individual in a manner ‘comparable’ to the first case.
The Court noted that while certain discriminatory measures could not in themselves constitute acts of persecution (limiting access to education and employment), the discriminatory measures systematically targeting Afghan women and girls, taken as a whole, deprived them of their dignity and reached such a degree of severity as to justify classifying them as acts of persecution.
This interpretation breaks away from the traditional approach taken by national asylum authorities. Examining applications for international protection without taking sufficient account of the generalised context of oppression of women is unsuitable for applications based on gender.
How does the Court’s approach to individual assessment in this decision endorse a gender-based view of refugee protection?
The Court recalls the principle established by the Qualification Directive that all applications for international protection must be subject to an individual assessment. Such an assessment involves a case-by-case analysis, based on relevant facts relating to the applicant’s country of origin and personal circumstances.
However, the Court allows this individual assessment to be supplemented by consideration of the particular collective situation of oppressed women in Afghanistan. This makes it possible to remove certain obstacles women may encounter in recounting their asylum claims or in providing evidence, by taking into account the widespread knowledge of persecution suffered by all women in Afghanistan. On the field, we note that, today, in some EU member states, some applications are rejected even though the nationality and gender of the applicant are not in question and there is no doubt that, if they return to their country of origin, they will be at risk of persecution because of their gender.
Can we envisage positive repercussions, particularly on national courts and on the development of international refugee law?
In the light of this case law, it is possible to consider decisions by asylum authorities being overturned, or even reversed, if they do not take into account the system of oppression against women and girls put in place by the Taliban. However, such progress in the jurisprudence and application of the Istanbul Convention depends on legal professionals being fully aware of these instruments. This is particularly urgent for Member States that have either not ratified the Istanbul Convention, are considering withdrawing from it and/or are reluctant to comply with it.
Regarding the development of international refugee law, this case law enshrines gender as a primary consideration in the examination of applications for international protection. The terminology used by the Court could enable to enables to rethink discriminatory measures targeting women and girls in other States, which may include various forms of gender-based violence.