Espagne : tensions autour de la répartition des compétences entre l’État et les communautés autonomes en matière de politique migratoire
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 27 février 2024Les élections législatives de 2023 ont été incertaines pour Pedro Sanchez, Premier ministre espagnol, membre du parti socialiste. Le principal parti de droite, le Parti populaire (PP), a gagné la majorité des sièges au Parlement, mais n’a pas réussi à atteindre la majorité absolue, nécessaire pour former un gouvernement. Le parti de Pedro Sanchez, le PSOE, a ensuite réussi à former une coalition avec Sumar (parti de coalition des gauches) et plusieurs petits partis, dont ceux des indépendantistes basques et catalans. Bénéficiant d’un important rapport de force avec le Premier ministre, les indépendantistes de Junts ont demandé l’amnistie de leurs collègues exilés en Belgique, mais aussi exigé le transfert à la Catalogne de compétences de gestion de l’immigration.
La Constitution espagnole accorde à l’État une compétence exclusive en matière de nationalité, d’immigration, d’émigration, de droit des étrangers et de droit d’asile. Ces compétences sont principalement réparties entre trois ministères : le ministère de l’Intérieur, celui des Affaires étrangères et celui de l’Inclusion, de la sécurité sociale et des migrations. Au sein de ce dernier, il incombe au secrétaire d’État aux migrations de concevoir et de développer la politique du Gouvernement.
Cela étant, les politiques d’intégration relèvent majoritairement de la responsabilité des autorités régionales et locales. En effet, les communautés autonomes ont d’importantes compétences sectorielles dans des domaines tels que l’éducation, la santé, la culture, ainsi que dans les politiques sociales (emploi, logement, services sociaux etc.). Elles sont donc responsables de la mise en place de mesures impactant l’intégration sociale et économique des personnes étrangères. C’est pourquoi la plupart des régions autonomes ont élaboré des plans d’intégration régionaux. Sur la base de ces derniers, ainsi que des différentes réalités socio-économiques propres à chacune des communautés autonomes, l’Espagne génère un modèle d’intégration en patchwork, unique au sein de l’UE.
Des compétences partagées mais figées par la législation nationale.
L’Espagne se caractérise par un degré de décentralisation politico-administratif au niveau régional important, avec 17 communautés et deux villes autonomes. Ces entités territoriales présentent une grande diversité sociale, économique, politique et culturelle. Par conséquent, les différentes phases de l’intégration des personnes migrantes sont gérées par une myriade d’acteurs : l’administration publique, les gouvernements régionaux (communautés autonomes), les entités locales (conseils municipaux) et la société civile (syndicats, organisations d’employeurs, ONG et associations de migrants).
Les spécificités et les besoins de chacune des régions autonomes impactent de manière significative les processus d’intégration. Malgré les caractéristiques communes, les différences entre une région autonome et une autre en matière de santé ou de protection sociale, voire en matière culturelle et linguistique, peuvent avoir un impact différencié sur l’accès des migrants aux ressources sociales, et donc sur leur niveau d’intégration. D’après une étude du Ministère de l’emploi et de la sécurité sociale, ces différences au niveau infra étatique sont principalement dues à quatre facteurs : la structure économique et la spécialisation de la communauté autonome, le niveau de bien-être matériel de sa population, le degré de développement et de couverture des services de base, ainsi que les attributs de la population immigrée.
Malgré le rôle grandissant des communautés dans la mise en œuvre de l’accueil et l’intégration des personnes migrantes, et alors que Junts avait annoncé en janvier qu’il avait obtenu du Gouvernement des gages que la région obtiendrait le contrôle de ses flux migratoires, Pedro Sanchez a finalement réaffirmé le 14 janvier que « l’expulsion de personnes migrantes reste une compétence de l’administration centrale », contredisant ainsi ses alliés politiques.