Guerre en Ukraine : quel accueil des Russes fuyant la mobilisation au sein de l’Union européenne ?
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 22 novembre 2022Le 21 septembre dernier, Vladimir Poutine a annoncé la mobilisation « partielle » de 300 000 réservistes, âgés entre 18 et 65 ans, dans le but de renforcer les effectifs de l’armée russe suite aux défaites essuyées face à l’armée ukrainienne, soutenue par l’OTAN. Bien que la fin de cette mobilisation ait été officiellement annoncée le 28 octobre dernier, aucun décret n’a été publié, laissant croire que le processus se poursuit malgré les déclarations du ministère de la Défense.
Depuis l’annonce de la mobilisation, des centaines de milliers de personnes – principalement des hommes en âge de rejoindre l’armée – ont fui la Russie, en particulier vers les pays limitrophes et pour lesquels aucun visa n’est nécessaire, à l’instar de la Serbie, de la Géorgie, de l’Arménie, du Kazakhstan et de la Turquie. Des contrôles accrus ont toutefois été établis depuis à la frontière russo-géorgienne, tandis que les vols vers les pays tiers depuis Minsk, en Biélorussie, sont interdits depuis le 20 octobre aux hommes russes en âge d’être mobilisés. Alors que les personnes tentant d’échapper à la mobilisation peuvent encourir jusqu’à dix ans de prison, des cas de rétention illégale de dizaines d’hommes ayant refusé de prendre les armes ont été documentés dans le Donbass.
Des milliers de Russes ont également fui vers l’Union européenne (UE), bien que dans une moindre mesure, car seules les personnes disposant d’un passeport et d’un visa peuvent entrer sur le territoire de l’Union. Si plus de 50 000 arrivées étaient recensées par Frontex à la seule fin du mois de septembre, en particulier en Finlande, en Estonie et en Pologne, leur nombre a baissé de 20 % dès le début du mois d’octobre en raison des restrictions imposées par certains États membres.
Vifs désaccords au sein de l’UE sur l’accueil des Russes fuyant la mobilisation
Face à l’exil de milliers d’hommes russes, certains États européens se sont immédiatement opposés à leur accueil, à l’instar de la Finlande, de la Pologne et des États baltes. La Finlande, principal pays d’exil des Russes au sein de l’Union, a fermé ses frontières dès le 23 septembre et le Parlement a approuvé la construction d’une clôture longue de 200 kilomètres à la frontière avec la Russie, à partir de mars 2023, pour empêcher les arrivées irrégulières depuis le pays. La Pologne, qui accueille encore aujourd’hui plus d’un million de personnes déplacées d’Ukraine, a décidé de ne délivrer aucun visa Schengen aux ressortissants russes et refuse l’entrée sur le territoire à ceux qui en sont déjà munis, tout comme la République tchèque depuis le 25 octobre.
Les États baltes estiment quant à eux que l’exil des Russes représente une menace sécuritaire pour l’Europe. Le ministre lituanien des Affaires étrangères a annoncé le 23 septembre que son pays « n’accordera pas l’asile à ceux qui ont fui leurs responsabilités ». La Première ministre estonienne, Kajas Kallas, a également indiqué que son pays n’était « pas un havre pour les réfugiés de convenance d’un État agresseur ».
En contraste avec ces mesures, certains pays de l’Union comme l’Irlande ou Chypre se sont présentés comme plutôt favorables à l’accueil des Russes fuyant la mobilisation, estimant que l’exil représente une opposition positive au régime du Kremlin. L’Allemagne s’est également dite favorable à l’accueil de ceux « menacés de grave répression » et a délivré près de 430 visas humanitaires ces derniers mois, malgré l’opposition des nombreux déplacés d’Ukraine accueillis dans le pays. Toutefois, selon des organisations de la société civile allemandes, les demandeurs d’asile russes ayant fui la mobilisation obtiennent difficilement une protection dans le pays.
La France et la Suisse ont quant à elles déclaré que chaque demande d’asile de ressortissant russe serait examinée « au cas par cas », sur la base de la procédure d’asile habituelle. Bien que les autorités françaises aient recensé une hausse des demandes d’asile de ces derniers de 17 % entre août et septembre, seules 200 demandes ont été enregistrées en septembre. Une augmentation plus nette a été observée en Finlande avec 260 demandes comptabilisées en septembre contre 30 seulement au mois d’août, ou encore en Allemagne avec 240 demandes en septembre.
Des lignes directrices restrictives de la Commission européenne
Afin d’harmoniser les politiques des États, la Commission européenne a publié, le 30 septembre dernier, des lignes directrices concernant l’entrée des ressortissants russes sur le territoire de l’Union. Pour la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, « la menace pour la sécurité est réelle. L’UE se protégera et protégera ses citoyens ». Bien qu’une approche restrictive soit privilégiée pour l’accueil des ressortissants russes, la commissaire a également déclaré que « l’Europe ne fermera pas sa porte à ceux qui ont réellement besoin de protection ».
Concernant la délivrance de visas, les États membres sont appelés à évaluer les conditions dans lesquelles les citoyens russes peuvent se voir délivrer des visas Schengen « de manière restrictive et coordonnée », y compris pour ceux fuyant la mobilisation militaire. La Commission exhorte également les consulats à appliquer toute « dérogation humanitaire » de manière restrictive pour la délivrance des visas, sur la base d’un examen individuel. La Commission a également indiqué la volonté d’appliquer des règles strictes y compris pour la délivrance de visas de court séjour.
En parallèle, la Commission recommande la mise en place de contrôles « coordonnés et minutieux » à l’égard des ressortissants russes aux frontières extérieures de l’Union et un examen plus rigoureux des documents de voyage, sans que cela doive « porter préjudice au cadre juridique applicable dans le domaine de l’asile, y compris le principe de non-refoulement ».
Quel accès à la protection ?
Les ressortissants russes, y compris ceux fuyant la mobilisation militaire, peuvent demander l’asile, droit fondamental consacré par la Convention de Genève de 1951. Contrairement à la protection temporaire accordée aux déplacés d’Ukraine suite à l’activation, le 4 mars dernier, de la directive européenne sur la protection temporaire de 2001, la protection accordée aux Russes fuyant la mobilisation militaire n’est pas automatique et les États doivent procéder à un examen individuel de la situation de la personne.
Martin Jones, professeur de droit international des droits de l’Homme à l’Université de York, souligne que toute personne a droit à la protection en cas de mobilisation militaire illégale, discriminatoire, ou encore si cette dernière entraîne des traitements inhumains. Des preuves indiqueraient que la mobilisation serait notamment discriminatoire en ciblant davantage les minorités ethniques russes.
Par ailleurs, selon le Guide des procédures pour déterminer le statut de réfugié du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), une protection devrait également être accordée aux personnes refusant de participer à une mobilisation militaire qui les entrainerait à commettre des actions « condamnées par la communauté internationale », telles que des crimes de guerre et crimes contre l’humanité – comme ce qui a pu être observé à Boutcha et à Izioum, où des civils et des prisonniers de guerre ont été exécutés et torturés.