Italie : un nouveau décret entrave les opérations de sauvetage en mer des ONG
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 30 janvier 2023Le gouvernement italien d’extrême droite, dirigé par Giorgia Meloni depuis octobre dernier, poursuit sa politique migratoire répressive. Un nouveau décret, entré en vigueur le 3 janvier dernier, a ainsi pour objectif d’entraver les opérations de recherche et de sauvetage menées par les organisations de la société civile en mer Méditerranée, rendant « encore plus dangereuse l’une des routes migratoires les plus meurtrières au monde ».
Interdiction des opérations de sauvetage simultanées
Parmi les principales mesures, les opérations de sauvetage simultanées menées par les ONG sont désormais proscrites. Les navires humanitaires ont désormais l’obligation de demander un port sûr de débarquement immédiatement après une opération de secours, et doivent s’y diriger « sans délai », ne pouvant ainsi plus rester dans la zone de recherche pour porter assistance à d’autres personnes exilées en détresse.
En parallèle, depuis l’entrée en vigueur du décret, les autorités italiennes assignent des ports de débarquement de plus en plus éloignés des zones de sauvetage, marquant une volonté claire du gouvernement de limiter la capacité des ONG à porter secours aux personnes migrantes en détresse en Méditerranée. Dernier exemple en date, le Geo Barents de Médecins sans Frontières, avec 237 personnes à son bord, a reçu le 25 janvier l’ordre de se rendre au port de La Spezia, dans le nord du pays, à plus de 1 235 kilomètres de la zone de sauvetage au large des côtes libyennes. En ayant effectué trois opérations simultanées de sauvetage, l’ONG pourrait encourir une amende allant de 10 000 à 50 000 euros et la saisie du navire. De même, le 7 janvier dernier, alors que l’Ocean Viking et le Geo Barents avaient respectivement secouru 37 et 73 personnes suite à des opérations de sauvetage, les autorités italiennes leur avaient assigné le port d’Ancône, une ville située à plus de quatre jours de navigation des zones d’opération, et ce malgré des conditions météorologiques particulièrement défavorables.
Différentes organisations de la société civile, notamment l’ASGI, l’association italienne d’études juridiques sur l’immigration, dénoncent des mesures qui vont à l’encontre du droit maritime international. L’obligation des capitaines de navires de prêter assistance aux personnes en détresse en mer, et ce peu importe leur nationalité et si des opérations de sauvetages ont déjà été effectuées, est en effet consacrée par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982. Comme le souligne l’ASGI, l’Italie ne peut s’affranchir de cette norme internationale par un décret à portée nationale.
Déjà lors de sa campagne électorale l’année dernière, Giorgia Meloni avait déclaré vouloir mettre en place un « blocus naval » afin d’empêcher les navires humanitaires de débarquer en Italie, en ignorant le droit maritime international. Pour autant, selon une étude, seulement 10 % des 105 129 personnes migrantes arrivées en Italie par la mer en 2022 ont été débarquées par des ONG, démontant le mythe de « l’appel d’air » qui serait créé par les organisations de la société civile.
Une volonté de se dédouaner des responsabilités en matière d’asile
L’autre nouvelle mesure du décret est l’obligation pour les équipes des navires humanitaires de « recueillir à bord l’intention des personnes secourues de demander l’asile, ainsi que les informations utiles à la procédure », afin de les « mettre à la disposition des autorités ». L’objectif implicite du gouvernement italien serait d’attribuer in fine la responsabilité de l’examen des demandes d’asile des personnes rescapées au pays dont le navire humanitaire bat pavillon.
Or, des analyses juridiques du décret, dont celle de l’ASGI, soulignent que la responsabilité d’engager les procédures d’asile incombe seulement aux États. En vertu de la directive européenne « procédures » de 2013 – qui dispose que chaque État membre désigne les autorités compétentes pour l’examen des demandes d’asile -, seules les commissions territoriales déployées dans les régions sont compétentes en Italie.
À l’inverse, les capitaines et le personnel à bord ne sont pas compétents pour recueillir ce type d’informations, comme l’a également reconnu la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt de 2012. Des lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) précisent par ailleurs qu’un navire privé n’est pas un endroit approprié pour initier les démarches liées à la procédure d’asile, et que ces dernières « devraient être traitées seulement sur la terre ferme, après le débarquement dans un lieu sûr, et seulement une fois les besoins immédiats couverts ».
Vers un renforcement de la coopération avec les pays tiers
En parallèle, au-delà du décret et conformément à son programme, le gouvernement italien renforce sa coopération avec les pays tiers dans le but d’empêcher les départs de personnes migrantes depuis les côtes africaines. Le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani et Matteo Piantedosi, le ministre de l’Intérieur, se sont rendus en Tunisie le 18 janvier dernier pour une visite diplomatique axée sur la « lutte contre les départs irréguliers » vers l’Italie. Antonio Tajani a affirmé que l’Italie est « prête à augmenter le nombre de migrants réguliers, formés en Tunisie, qui peuvent venir travailler en Italie dans l’agriculture et l’industrie », en contrepartie cependant d’une « lutte renforcée contre l’immigration irrégulière ».
De même, Giorgia Meloni s’est rendue en Libye le 28 janvier pour renforcer la coopération avec les garde-côtes libyens dans l’optique d’empêcher davantage de départs des côtes libyennes, et ce alors que le pays continue de ne pas être considéré comme « sûr » par la communauté internationale en raison des graves violations des droits humains.