La Cour de justice de l’UE reconnait les femmes comme un « groupe social »
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 27 février 2024© Valeria Fernandez Astaburuaga
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que les femmes, dans leur ensemble, pouvaient être reconnues comme appartenant à un groupe social, justifiant l’octroi du statut de réfugié à certaines conditions. Cette décision survient dans un contexte européen marqué par une reconnaissance croissante des violences liées au genre. Jusqu’à présent, cette question était traitée par les autorités de l’asile dans des contextes politiques précis, mais le statut de réfugié était accordé aux femmes essentiellement pour des motifs religieux ou politiques au sens de la Convention de Genève. Ainsi, les femmes afghanes fuyant le régime des talibans ou les femmes iraniennes ayant dû s’exiler car elles refusaient de porter le voile bénéficient d’un taux de reconnaissance très élevé. Cependant, la persécution sexiste n’était pas reconnue en tant que telle. Même si dans certains pays européens, les femmes sont reconnues appartenir à un « groupe social » au sens de la Convention de Genève, c’est uniquement dans des cas très spécifiques. En France par exemple, seules les femmes fuyant un mariage forcé, les filles craignant l’excision ou les femmes s’étant extraites d’un réseau de traite des êtres humains peuvent bénéficier du statut de réfugié du fait de leur appartenance à ce groupe social. Cette conception restreinte exclut par exemple les femmes victimes de violence domestique. Pourtant dès 2008, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) affirmait qu’à partir du moment où une femme était persécutée en tant que femme, « on pouvait sans difficulté considérer qu’elle avait des craintes du fait de son appartenance à ce groupe social ».
Interprétation au regard de la Convention d’Istanbul
Adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011, et entrée en vigueur au sein de l’Union européenne en octobre 2023, la Convention d’Istanbul énonce dans son article 60 que les Etats doivent prendre les mesures nécessaires pour que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution au sens de la Convention de Genève et comme une forme d’atteinte grave au sens de la protection subsidiaire.
Le 6 octobre 2021, un tribunal bulgare a saisi la CJUE pour déterminer si la Directive « Qualification » permettait d’accorder le statut de réfugié à une femme turque ayant été victime de violences domestiques et de menaces de mort de la part de son mari et de sa famille. Le 16 janvier 2024, la Cour a considéré, à la lumière de la Convention d’Istanbul et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), que « les femmes dans leur ensemble pouvaient être regardées comme appartenant à un groupe social ». Elles peuvent ainsi bénéficier du statut de réfugié lorsque, dans leur pays d’origine, « elles sont exposées à raison de leur sexe, à des violences physiques ou mentales, y compris des violences domestiques ». Si ces conditions ne sont pas remplies, elles peuvent également bénéficier de la protection subsidiaire « en cas de menace réelle de mort ou de violence par un membre de leur famille ou de leur communauté ». Cette décision élargit donc la possibilité pour les femmes d’obtenir le statut de réfugié, offrant un droit de résidence plus pérenne que la protection subsidiaire (dix ans par rapport à quatre ans en France) et ouvrant généralement plus de droits.
Au sens de la Convention de Genève, la protection internationale est accordée lorsque l’Etat d’origine ne souhaite pas ou est en incapacité de protéger la victime. Malheureusement la plupart des femmes victimes de violences conjugales partent sans avoir forcément sollicité la protection des autorités en sachant pertinemment que la démarche n’a pas beaucoup de chance d’aboutir. La Cour répond à cette préoccupation dans la décision, en considérant que dans certains pays, la protection des autorités sera directement considérée comme non effective. L’absence de protection de l’Etat pourra aussi être déduite d’une situation intérieure trop dégradée.
Cette décision européenne impose aux autorités de l’asile des États membres d’appliquer cette décision. Elles devront analyser la situation de ces femmes « face à la loi, leurs droits politiques, économiques et sociaux, les coutumes culturelles et sociales du pays ».