La Pologne se ferme, la crise humanitaire à la frontière s’intensifie
Equipe plaidoyer de France terre d'asileMalgré la situation humanitaire qui continue de se dégrader à la frontière polono-biélorusse, Varsovie a décidé, le 30 septembre, de prolonger de 60 jours l’état d’urgence décrété le 2 septembre dernier à la zone frontalière. Approuvé par le Parlement polonais le 6 septembre, il permet d’interdire l’accès à la zone aux non-résidents, et par conséquent aux médias, organisations non gouvernementales (ONG) et travailleurs humanitaires.
L’état d’urgence entrave également les possibilités de demander l’asile à la zone frontalière. Selon les observations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), publiées le 16 septembre, les dispositions récemment entrées en vigueur violent l’article 31 de la Convention de Genève, qui interdit la pénalisation des entrées irrégulières des personnes en besoin de protection.
Selon un projet de loi débattu le 13 octobre au Parlement polonais, la Pologne envisage également de remplacer les barbelés par un mur permanent de 2,5 mètres de haut pour tenter de rendre la frontière, longue de 418 kilomètres, « impénétrable ». Le projet de loi dispose notamment que personne ne pourra approcher le mur à moins de 200 mètres. La Pologne fait par ailleurs partie des douze pays ayant demandé à la Commission européenne, le 7 octobre, de financer des « barrières physiques » aux frontières de l’Union via le budget de l’Union européenne (UE).
L’introduction de l’état d’urgence a en parallèle entraîné une forte militarisation de la zone. Le ministre polonais de la Défense, Mariusz Blaszczak, a ainsi annoncé le 6 octobre que 3 000 soldats ont été déployés au total aux côtés des garde-frontières, soit 600 soldats de plus par rapport au mois de septembre.
Entre crise humanitaire et renvois sommaires à la frontière
Selon les autorités polonaises, près 16 000 personnes ont tenté de franchir la frontière polono-biélorusse depuis le mois d’août, dont 5 000 au mois d’octobre. Près de 1 500 personnes auraient été placées en rétention à l’intérieur du pays.
Alors que les organisations de la société civile ne peuvent accéder à la zone frontalière en raison de l’état d’urgence, les ONG s’alarment des conditions de vie préoccupantes des migrants bloqués à la frontière, notamment en vue de l’hiver et de la baisse des températures. Sept personnes ont trouvé la mort durant le mois de septembre à cause du froid, du manque de vivres et d’assistance médicale. L’ONG polonaise Ocalenie (Rescue) Foundation avait notamment alerté en août la communauté européenne du sort préoccupant de 32 migrants afghans malades retenus à Usnarz Górny, à la frontière polonaise, sans aucun accès aux soins.
Appuyée par la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait appelé le gouvernement polonais le 25 août dernier à subvenir aux besoins essentiels des personnes bloquées à la frontière, notamment en vivres, soins, vêtements et abris temporaires. Alors que la demande de la Cour a été aussitôt ignorée par le gouvernement polonais, la CEDH a réitéré sa demande le 28 septembre, soulignant que le non-respect de la décision pourra entraîner une condamnation du pays.
Suite à des témoignages de migrants et des enquêtes d’ONG, dont Amnesty International, les garde-frontières polonais sont également accusés d’effectuer des renvois sommaires, souvent violents, de personnes en besoin de protection vers la Biélorussie. Le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, Piotr Wawrzyk, a lui-même concédé, le 3 octobre, que des enfants migrants ont été renvoyés vers la Biélorussie. Les garde-frontières polonais ont également envoyé, le 28 septembre, près de 31 000 SMS aux personnes présentes à la frontière, les incitant à « retourner à Minsk » et à les dissuader de franchir la frontière. En parallèle, l’exécutif biélorusse a suspendu, le 4 octobre dernier, l’accord de réadmission conclu en 2020 avec l’Union, aggravant la double impasse dans laquelle se trouvent ces personnes.
L’Union européenne dans l’impasse
L’opacité des pratiques à la frontière a poussé la Commission européenne à exiger, en septembre, l’envoi sur place de représentants de Frontex, l’Agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union, une demande qui s’est heurtée dans un premier temps au refus du gouvernement polonais. Si le Directeur Exécutif de l’Agence, Fabrice Leggeri, a pu se rendre à la frontière le 4 octobre afin d’inspecter les dispositifs mis en place par les autorités polonaises, aucun déploiement permanent de l’Agence n’est toutefois prévu dans la zone.
La rencontre de la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, avec le ministre de l’Intérieur polonais Mariusz Kaminski, le 30 septembre dernier, s’est également révélée infructueuse, tout comme celle d’une délégation de la Commission européenne le 6 octobre. Si les deux parties se sont accordées pour condamner fermement l’instrumentalisation de la question migratoire par le régime biélorusse, la demande de l’UE de mettre un terme aux renvois sommaires et d’offrir une assistance médicale aux migrants bloqués à la frontière a été ignorée par les autorités polonaises.
L’Union européenne se trouve ainsi confrontée à une situation politique doublement verrouillée, de par l’instrumentalisation de la question migratoire par la Biélorussie et du manque de transparence de la Pologne. Le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, a ainsi dénoncé qu’ « aucun voisin autoritaire ou non ne peut faire chanter l’Europe en manipulant la souffrance humaine ». De nouvelles sanctions à l’encontre de Minsk sont par ailleurs prévues, la Commission européenne ayant annoncé, le 29 septembre, la suspension de certaines dispositions de l’accord facilitant la délivrance de visas à destination des ressortissants biélorusses.
Article publié le 14/10/2021