« La suspension de l’examen des demandes d’asile est une violation du droit international »
Corina Drousiotou, coordinatrice et conseillère juridique au Cyprus Refugee Council - Publié le 27 juin 2024À quelques kilomètres du Liban et de la Syrie, Chypre a vu une augmentation du nombre d’arrivées d’exilés syriens par bateaux directement sur ses côtes ces derniers mois. Malgré un nombre total de demandeurs d’asile stable, le gouvernement chypriote a réagi à ces arrivées plus visibles en annonçant durcir les conditions d’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile dans le pays.
Corina Drousiotou, coordinatrice et conseillère juridique au Cyprus Refugee Council, nous éclaire sur la situation à Chypre et les conséquences des récentes mesures gouvernementales pour les personnes en demande d’asile.
Depuis le début de l’année 2024, Chypre a vu augmenter le nombre de personnes migrantes arrivant sur son territoire, notamment de personnes exilées syriennes fuyant la guerre. Comment le gouvernement chypriote a-t-il réagi face à cette situation ?
Le nombre d’arrivées de personnes migrantes a en réalité atteint un pic en 2022. En 2023, le nombre d’arrivées était inférieur de moitié à celui de 2022, et en 2024 les chiffres étaient similaires à ceux de 2023. Le nombre d’arrivées en février est, de fait, inférieur à celui de l’année dernière.
Ce qui a changé, c’est le pays d’origine et le mode d’arrivée. Traditionnellement, les personnes réfugiées arrivaient par la partie nord de l’île, pour 90 % d’entre elles. Au début de l’année 2024, pour la première fois, la plupart des personnes sont arrivées par bateau, directement sur les côtes au sud. Ces arrivées sont plus visibles publiquement. Un autre changement dont nous avons été témoins est la diminution du nombre de personnes en provenance de pays africains l’année dernière.
En réponse à l’augmentation des arrivées par bateau, le gouvernement a réagi en prenant des mesures. Toutefois ces mesures ont été prises sans grande consultation ni préparation. Plutôt que des mesures réfléchies, elles semblent être des mouvements de panique, probablement adoptées à la hâte en raison des élections locales et européennes qui approchaient.
Quelles sont les mesures du gouvernement qui mettent en difficultés les demandeurs d’asile syriens à Chypre ?
Face à ces arrivées, le gouvernement a annoncé des mesures visant uniquement les personnes syriennes, notamment la suspension de l’examen de leurs demandes d’asile.
Cette mesure avait déjà été appliquée sous le précédent gouvernement. Elle n’avait pas été déclarée publiquement mais était flagrante au vu des statistiques. Nous avons donc désormais des personnes qui attendent l’examen de leur demande depuis bien plus de 21 mois, délai maximum autorisé par la directive européenne [relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale]. Certaines personnes attendent depuis trois ans.
Une autre mesure a été prise par le gouvernement actuel : les personnes syriennes en demande d’asile auront le choix de rester dans les centres d’accueil ou de les quitter, mais si elles partent, elles perdront le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, qui comprennent une allocation de logement et de subsistance, et ne recevront aucune aide publique.
A cela s’ajoute une décision prise à la fin de l’année 2023, l’extension de la période d’attente pour obtenir l’autorisation de travailler, qui passe d’un mois après le dépôt de la demande d’asile à neuf mois. Ces mesures auront un impact important sur la communauté syrienne, qui a réussi à s’intégrer efficacement dans le monde du travail, et la laisseront dans une situation difficile.
Quels problèmes les décisions du gouvernement posent-elles au regard du droit international ?
La suspension de l’examen des demandes d’asile est une violation du droit international car elle empêche l’accès à la protection internationale. Elle enfreint le droit d’asile, inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE).
Chypre a également demandé à l’UE de réévaluer la situation en Syrie et souhaite que le pays, ou certaines de ses régions, soit reconnu comme un lieu sûr. Pourtant, aucune décision multilatérale considérant la Syrie comme un lieu sûr n’a été prise à ce jour, et il n’appartient pas à Chypre seule de décider si la Syrie peut être considérée comme un pays sûr, et de suspendre l’examen des demandes d’asile.
La question des refoulements est également au cœur du problème. En un jour, le gouvernement chypriote a repoussé cinq bateaux en provenance de Syrie ou du Liban. Il s’agit là aussi d’une violation du droit international.
Quel effet pensez-vous que ces mesures auront sur les arrivées des personnes qui cherchent l’asile ?
Il y a eu une diminution des arrivées, car aucun bateau n’est arrivé depuis. Mais nous verrons si cette tendance se poursuit. Nous nous attendons à ce que les routes d’arrivée se concentrent à nouveau dans les régions du nord de l’île.
Les mesures qui limitent la possibilité pour les personnes en demande d’asile de travailler et de s’intégrer ont également engendré de l’inquiétude au sein de ces communautés.
Que fait le Cyprus Refugee Council pour répondre à cette situation ?
Nous préparons des actions de contentieux stratégique, en particulier sur la suspension de l’examen des demandes d’asile, mais aussi sur la limitation des conditions d’accueil.
Il y a beaucoup de débats sur la question de savoir si le pays peut gérer ces arrivées, mais compte tenu des besoins réels du pays en matière de travail, le gouvernement devrait trouver des solutions qui soient bénéfiques pour les deux communautés.
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