Inquiétudes en Grèce après la désignation de la Turquie comme « pays tiers sûr »
Le 7 juin, la Grèce a annoncé, par le biais d’une décision conjointe du ministère des Affaires étrangères et de celui des Migrations, qu’elle considérait la Turquie comme un « pays tiers sûr » pour les personnes originaires de Syrie, du Bangladesh, de la Somalie, d’Afghanistan et du Pakistan. Les autorités grecques estiment ainsi que compte tenu des « récentes informations sur la situation actuelle » en Turquie, Ankara remplit toutes les conditions pour prendre en charge les demandeurs d’asile.
Selon cette décision, les demandes d’asile des ressortissants de ces pays ayant transité par le territoire turc seront désormais considérées comme « irrecevables ». Ces demandes ne seront ainsi pas examinées quant au fond par les autorités grecques, qui pourront procéder au renvoi des demandeurs vers la Turquie.
Un accès à la protection internationale entravé en Grèce
Cette décision sera lourde de conséquences pour les personnes en quête de protection en Europe. Alors qu’Athènes ne sera pas tenue de vérifier si les nouveaux arrivants en provenance de ces pays remplissent les conditions requises pour prétendre à l’asile, cette mesure risque d’entraver l’accès à la protection à la plupart des personnes, les Afghans, Syriens, Somaliens, Pakistanais et Bangladais représentant 66 % du total des demandeurs présents en Grèce et 77 % des bénéficiaires d’une protection en 2020. Cela risque ainsi d’engendrer une baisse importante des taux de reconnaissance[1] accordés à ces demandeurs d’asile, qui étaient pourtant élevés en moyenne en 2020, à l’image des 71 % accordés aux Syriens en Grèce selon les données d’Eurostat.
Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) telles que le Conseil grec pour les réfugiés, ont notamment dénoncé la désignation de la Turquie comme « pays tiers sûr », arguant que l’État turc n’offre pas de garanties de protection suffisantes. En effet, alors que la directive européenne « Procédures » dispose que pour être qualifié de « sûr », « dans le pays tiers concerné […] le demandeur doit avoir la possibilité de bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève », la Turquie n’accorde qu’un statut de protection temporaire aux personnes extra-communautaires n’ayant pas ratifié le Protocole de New York de 1967 relatif au statut des réfugiés. Par ailleurs, le pays s’est retiré en mars 2021 de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes.
Dans la lignée de « l’accord UE-Turquie »
Les ONG appellent ainsi les autorités helléniques à annuler cette décision, qui vise surtout à accélérer les renvois de demandeurs d’asile vers la Turquie, déjà amorcés dans le cadre de l’accord migratoire conclu entre l’UE et la Turquie en 2016 et qui prévoyait le renvoi en Turquie de « tous les migrants en situation irrégulière qui partent du territoire turc pour gagner les îles grecques ».
Cette mesure serait par ailleurs inapplicable selon les ONG, la Turquie ayant suspendu toutes les réadmissions des personnes n’ayant pas sollicité ou ayant été déboutées de l’asile depuis les évènements et tensions diplomatiques survenus en début d’année 2020. La Turquie n’a ainsi accepté à ce jour aucune réadmission des 1 453 personnes déboutées de l’asile qui ont fait l’objet d’une décision de retour par les autorités grecques en début d’année. L’impossibilité des renvois vers la Turquie risque en outre d’exacerber la situation déjà fragile dans les camps insalubres des îles égéennes grecques, où près de 9 500 personnes se trouvaient à la mi-juin.
Le risque d’un écho au sein de l’UE
Alors que la Grèce considère désormais le pays aux près de quatre millions de réfugiés comme un « pays tiers sûr », le risque que d’autres États membres situés aux frontières extérieures de l’UE décident d’appliquer ce même concept existe. Lors d’un déplacement auprès de son homologue grec le 13 juin, le ministre autrichien de l’Intérieur Karl Nehammer a ainsi affiché son soutien à la décision prise par le gouvernement hellénique.
Si en France ce concept a été jugé inconstitutionnel par le Conseil d’État en 2018, la Hongrie l’applique depuis 2015, sa liste de « pays tiers sûrs » comprenant notamment la Serbie.
Article publié le 23/06/2021
[1] Fait référence à la part des décisions d’octroi d’une protection internationale sur le nombre total de décisions rendues.