Les centres de rétention pour l'éloignement en Italie : conditions d’accueil inhumaines et enquêtes à la chaine
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 27 février 2024Le suicide en février dernier d’Ousmane Sylla, jeune Guinéen, enfermé dans le centre de rétention pour l’éloignement (CPR) de Ponte Galerai, près de Rome, a remis en lumière la question des conditions de vie et du traitement infligé aux personnes dans ces centres, déjà dénoncés par différents rapports et enquêtes. L’Italie compte 10 CPR, tous gérés par des sociétés privées.
En 2022, le bureau régional européen de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) publiait un rapport mettant en évidence les risques élevés pour la santé, physique et mentale, des personnes migrantes au sein de ces centres. Début octobre 2023, Laura Boldrini, députée italienne du parti démocrate, a visité le hotspot de Pozzallo en Sicile et le CPR de Modica, à quelques kilomètres de là. À sa sortie, elle a vivement critiqué les manquements au droit d’asile – inscrits dans la Constitution italienne –, alerté sur la surpopulation du centre et dénoncé la présence de plusieurs mineurs non-accompagnés au sein de la structure. Une semaine plus tard, la sénatrice Ilaria Cucci a déposé une plainte au parquet de Rome, dénonçant les conditions de vie dans le CPR de Ponte Galeria, s’appuyant sur deux inspections effectuées au sein du centre en mars et en mai 2023.
Quelques mois plus tard, une enquête menée par le parquet de Milan, ordonnée par le ministère public, a révélé que les conditions de vie au sein du CPR milanais de via Corelli étaient aussi particulièrement difficiles. La justice met en lumière le manque de médicaments, tout comme la « saleté » des dortoirs, l’état des sanitaires qualifiés de « honteux » ou encore des aliments « malodorants, avariés, périmés ». Elle montre aussi que les examens d’aptitude à vivre dans le centre étaient sommaires, donnant lieu à l’admission de personnes « souffrant d’épilepsie, d’hépatite, de tumeur cérébrale, de pathologies psychiatriques et de toxicomanies ».
Violences physiques et usage de psychotropes par l’administration
À plusieurs kilomètres de là, au sud du pays, le juge d’instruction du tribunal de Potenza, toujours à la demande du ministère public, a lui aussi publié une étude donnant lieu à une série de mesures judiciaires à l’encontre de plusieurs acteurs du centre de Palazzo San Gervasio. L’enquête comporte deux volets principaux qui font référence à des événements qui se sont produits entre 2018 et 2022. D’une part, elle aborde les mauvais traitements subis par les personnes migrantes détenues à l’intérieur du CPR, en particulier le système de contrôle des retenus basé sur l’usage ou l’abus de médicaments psychiatriques. D’autre part, l’enquête dénonce la nomination des avocats des détenus, qui est accusée d’être teintée de falsification, incitation indue et corruption. Les résultats de l’étude, rendue publique le 9 janvier, décrivent les conditions de vie du CPR de Palazzo San Gervasio comme « inhumaines ».
Les personnes étrangères enfermées dans la structure en vue de leur expulsion ont subi des violences physiques ainsi que des manquements aux services sanitaires, linguistiques et juridiques. D’après le rapport, 35 cas de mauvais traitements y ont été recensés entre 2018 et 2022 ; consistant principalement en « l’administration massive et forcée – parfois cachée – de drogues tranquillisantes dans le but de rendre les personnes inoffensives, sans besoin avéré, et sans leur consentement éclairé ». Le juge a souligné que « la sédation forcée continue est une atteinte à la dignité humaine et une violation de la liberté morale des victimes et constitue un risque réel de toxicomanie ». Le Rivotril, un antiépileptique acheté en grande quantité grâce aux ordonnances de personnes ayant déjà quitté le centre, aussi appelé « drogue du pauvre », est devenu le médicament le plus utilisé dans le CPR, comme en témoigne les chiffres éloquents obtenus auprès de certains des dix CPR italiens : « à Milan, 64 % des dépenses du CPR pour l’achat de médicaments concernaient des psychotropes, contre 44 % à Turin, et 51 % à Rome ». Le recours aux psychotropes semble donc être une pratique courante.
Malgré ces dénonciations et les résultats des enquêtes administratives, le gouvernement de Giorgia Meloni souhaite augmenter ses capacités de rétention. En septembre dernier, le Conseil des ministres italien a voté, un décret durcissant les conditions d’accueil des personnes migrantes. Le texte prévoit, entre autres, d’augmenter le nombre de places dans les centres de rétention –avec l’objectif d’ouvrir un CPR dans chacune des 20 régions du pays-, l’autorisation de l’enfermement à partir de 16 ans, l’allongement de la durée en rétention (qui passe de 6 à 18 mois), ainsi que la facilitation de l’expulsion des personnes présentant une menace à l’ordre public.