Les enjeux de « l’Europe face à la question de l’asile » débattus à l’Assemblée nationale
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 10 novembre 2021© France terre d’asile
France terre d’asile a organisé, le 28 octobre dernier, le colloque « l’Europe face à la question de l’asile » à l’Assemblée nationale afin de débattre des enjeux en matière d’asile en Europe alors que la France va exercer, à partir de janvier 2022, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE). Parrainé par le député Jacques Maire, des parlementaires, chercheurs et des partenaires d’associations européennes ont débattu des mécanismes de solidarité à mettre en place au sein de l’Union en alternative au système de Dublin et des solutions existantes pour les personnes en besoin de protection en dehors de l’Europe.
À l’ouverture du colloque, le député Jacques Maire a exhorté le ministère de l’Intérieur à renforcer la coopération interministérielle dans le pilotage des politiques d’immigration et d’asile, déplorant notamment les difficultés d’accès aux guichets uniques pour demandeurs d’asile pour la délivrance des titres de séjour en France. Concernant la prochaine présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), Claude d’Harcourt, Directeur général des étrangers en France, a déclaré être favorable au projet du Pacte européen sur la migration et l’asile présenté en septembre 2020, et a insisté sur la nécessité d’un compromis entre les États membres. Selon lui, les négociations n’avanceront cependant pas lors de la PFUE, la présidence exigeant une certaine neutralité. Il s’est également dit pessimiste quant à d’éventuelles initiatives franco-allemandes compte tenu du calendrier électoral dans les deux pays.
Alors que la crise humanitaire actuelle en Afghanistan met à nouveau en lumière les enjeux en matière d’asile, la première table ronde du colloque a été consacrée aux solutions disponibles pour les personnes en besoin de protection en dehors de l’Europe. Selon Hélène Thiollet, chargée de recherche au CNRS, 54 % des personnes qui franchissent irrégulièrement les frontières de l’Union sont de potentiels demandeurs d’asile. Malgré ses besoins de protection, une recherche en cours menée par Sciences Po dans le cadre du projet « Migration Governance and Asylum Crisis » (MAGYC), permet de démontrer que l’UE privilégie une politique d’externalisation de l’asile, et ce via des accords davantage bilatéraux que communautaires. Hélène Thiollet a également relevé un changement de paradigme de l’externalisation, de l’expulsion et la réadmission des déboutés, vers la volonté de « contenir » les potentiels demandeurs d’asile dans leur pays d’origine ou de transit.
Paolo Artini, Représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en France, a rappelé que le nombre de personnes déracinées dans le monde va dépasser les 100 millions sans une coopération internationale renforcée. À ce titre, il a préconisé des réponses internationales solidaires, à l’instar du « Pacte mondial sur les migrations » adopté en 2018, afin de traiter directement les causes profondes des migrations et de développer des voies de migration légales et sécurisées.
C’est également ce qu’a recommandé la députée européenne socialiste Sylvie Guillaume, qui a en outre dénoncé la normalisation dans le débat public et institutionnel des pratiques de « pushbacks » violents de migrants aux portes de l’UE, notamment de la part des autorités croates, grecques et roumaines. À ce sujet, la députée a insisté sur la nécessité de lancer des procédures d’infraction pour les pays concernés afin de garantir une tolérance zéro face à ces violations, et a alerté sur les risques que représentent les propositions législatives du Pacte européen sur la migration et l’asile, qui se focalise selon elle sur l’externalisation de la politique d’asile aux frontières, renforce la détention et met l’accent sur les retours.
La deuxième table ronde du colloque a ensuite permis d’aborder la question de la solidarité au sein de l’espace européen en alternative au système de Dublin. Les députées Elsa Faucillon et Stella Dupont ont appelé à une solidarité accrue au sein de l’UE, notamment via un rééquilibrage du système de Dublin. Elles ont indiqué attendre une PFUE entreprenante, avec un tandem franco-allemand capable de construire des compromis et d’impulser ces mouvances solidaires.
Jens Althoff, directeur du bureau de Paris de la fondation allemande Heinrich-Böll-Stiftung, s’est notamment attardé sur la position du futur gouvernement allemand, en cours de formation, quant à l’alternative au système de Dublin. Le pré-accord conclu par les trois partis qui formeront le prochain gouvernement – à savoir les Verts, les Sociaux-démocrates et les libéraux – met en évidence les points de rupture avec la politique antérieure, avec une volonté de mettre fin au système de Dublin, de faciliter les naturalisations, de développer les voies légales et sûres d’accès à l’asile en Allemagne et en Europe, et de renforcer les possibilités d’agir des villes accueillantes.
Eleonora Celoria, avocate auprès de l’ONG italienne ASGI, a par la suite livré ses recommandations du point de vue d’un État membre situé en « première ligne ». Elle a ainsi préconisé de mettre un terme à la règle du pays de première entrée encadrée par le règlement Dublin III, ainsi qu’à l’approche « ship by ship » en Méditerranée, qui révèle le manque d’un mécanisme de débarquement prévisible pour les opérations de recherche et de sauvetage de migrants.
Le colloque s’est conclu par les interventions de Thierry Le Roy et de Delphine Rouilleault, respectivement Président et Directrice générale de France terre d’asile, rappelant les revendications portées par l’association : entre le développement des voies légales et sûres d’accès, le remplacement du système de Dublin par un système de répartition prévisible et solidaire et la fin des errances des déboutés de l’asile. Alors que le constat a été dressé que le débat public se radicalise en France sur la question de l’immigration et l’asile, à quelques mois des élections présidentielles – notamment lorsque sont invoqués les « abus » ou les « excès » de l’immigration – la nécessité de prendre appui sur les tendances et faits réels a été rappelée. Dans le cadre de négociations à l’échelle européenne, France terre d’asile croit en une « coalition d’États membres volontaires » capable de faire bouger les lignes dans le sens de dispositifs européens plus solidaires.