L’Union européenne fragmentée face à la crise en Afghanistan
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 06 septembre 2021Alors que l’arrivée au pouvoir des Talibans constitue une menace pour la population afghane, les États membres de l’Union européenne ne parviennent pas à s’accorder sur une politique commune d’accueil et de retour de ceux déboutés de leur demande d’asile au sein de l’Union.
Suite à la prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan en août, de nombreux pays européens ont mené des opérations d’évacuation de leurs ressortissants et de certains Afghans particulièrement menacés compte tenu de leurs engagements ou liens avec les puissances occidentales. Le 16 août, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) avaient ainsi appelé à ce que les frontières et aéroports demeurent ouverts afin d’assurer l’évacuation en toute sécurité des ressortissants de l’Union et du personnel local.
Si des dizaines de milliers d’Afghans ont pu être évacués vers l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Belgique ou encore le Royaume-Uni avant le retrait des troupes américaines le 31 août, des milliers de personnes en besoin de protection demeurent toujours bloquées en Afghanistan. Selon les estimations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 500 000 personnes se sont déjà déplacées à l’intérieur du pays depuis le début de l’année et près d’un demi-million d’Afghans supplémentaires pourraient fuir d’ici fin 2021, en premier lieu dans les pays frontaliers. Face à la crise humanitaire qui se profile, quelle est la réponse de l’UE ?
Un accueil sous-traité aux pays limitrophes
Face aux Afghans qui souhaiteront fuir le régime des Talibans au-delà des frontières de leur pays, l’Union européenne met l’accent sur le renforcement de sa coopération avec les pays tiers, et ce au détriment de la mise en place d’une stratégie ambitieuse d’accueil. Ainsi, alors que la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen soulignait le 21 août le « devoir moral » d’accueil de l’Union, les ministres de l’Intérieur de l’UE ont adopté le 31 août, à l’occasion d’un conseil extraordinaire, une déclaration insistant sur la nécessité d’accroître le soutien apporté aux pays limitrophes de l’Afghanistan afin que les personnes afghanes en besoin de protection soient accueillies en premier lieu dans la région. Une aide humanitaire européenne à hauteur de 200 millions d’euros sera ainsi destinée à l’Afghanistan et aux pays voisins, tels que le Pakistan, l’Iran ou le Tadjikistan en 2021. En parallèle, les États membres de l’UE prévoient de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union avec le soutien de Frontex dans le but de limiter les arrivées en Europe.
De même, alors que la déclaration adoptée prévoit qu’un soutien de l’UE pourrait être apporté via les programmes de réinstallation « sur une base volontaire », en priorisant les personnes les plus vulnérables, notamment les femmes et les enfants, aucun État membre ne s’est pour l’instant engagé en ce sens. Si l’Allemagne tout comme la France ont déclaré que les personnes « particulièrement menacées » seraient accueillies, aucun objectif chiffré d’accueil n’a été annoncé. Seul le ministre de l’Immigration et de l’asile luxembourgeois Jean Asselborn a ouvertement plaidé en faveur d’un renforcement des programmes de réinstallation depuis la région, préconisant un engagement de l’UE à hauteur de 40 000 à 50 000 places.
Partisans d’une ligne dure, l’Autriche, le Danemark, la République tchèque, la Hongrie ou encore la Slovénie, qui assure la présidence tournante du Conseil de l’UE, se sont quant à eux formellement opposés à tout accueil sur le territoire de l’Union, faisant écho à l’absence de solidarité manifesté en 2015 suite à la hausse des arrivées de Syriens en quête de protection.
Ylva Johansson, Commissaire européenne aux Affaires intérieures, a toutefois indiqué qu’un « forum sur la réinstallation » se tiendra au cours du mois de septembre pour tenter d’apporter une réponse européenne en matière d’accueil. Face au manque de solidarité des États membres, David Sassoli, Président du Parlement européen, a exhorté l’UE à « prendre ses responsabilités » et à « établir une politique commune ».
L’Union européenne divisée face à la question de la suspension des éloignements
L’absence d’une réponse coordonnée de l’Union s’est également manifestée dès le début de l’été autour de la question des éloignements des Afghans déboutés de l’asile au sein de l’UE. Face à la dégradation de la situation sécuritaire en Afghanistan, le ministère des réfugiés et du rapatriement afghan avait exhorté les États européens le 8 juillet, à faire preuve de solidarité en cessant les renvois pour une durée minimum de trois mois ; un appel qui avait été soutenu par plus de trente organisations européennes de défense des droits de l’Homme et des réfugiés, dont France terre d’asile.
Si certains États membres ont immédiatement répondu à l’appel du gouvernement afghan, à l’instar de la Suède, la Finlande et la Norvège, d’autres ont tardé à le faire. L’Autriche avait ainsi annoncé le 26 juillet que le pays maintiendrait les expulsions vers l’Afghanistan, une décision soutenue dans un premier temps par le ministre de l’Intérieur allemand Horst Seehofer. Alors que des pressions exercées par Vienne auprès du gouvernement afghan avaient permis la planification de deux vols, début août, pour expulser des Afghans déboutés de l’asile en Autriche, une injonction temporaire de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 août avait toutefois sommé le pays de suspendre provisoirement le renvoi d’un Afghan.
Craignant que les suspensions des expulsions vers l’Afghanistan engendrent un « appel d’air », six États européens – dont l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Grèce, les Pays-Bas et la Belgique – avaient adressé une lettre à la Commission européenne le 5 août plaidant pour le maintien des renvois forcés. Les ministres y soulignaient notamment l’absence de clause suspensive dans la déclaration conjointe encadrant les retours vers le pays, conclue en 2016 avec le gouvernement afghan et renouvelée le 13 janvier 2021.
Alors que les Pays-Bas et l’Allemagne ont fini par déclarer, le 11 août, qu’ils suspendaient jusqu’à nouvel ordre les renvois forcés vers l’Afghanistan, la Grèce et l’Autriche avaient décidé de les poursuivre, et ce malgré la mise en garde du HCR, le 16 août, sur les risques que ces derniers représentent pour la sécurité des personnes renvoyées. Près de 1 200 personnes auraient été renvoyées de l’UE vers l’Afghanistan depuis le début de l’année 2021, dont 200 renvois forcés. À elle seule, l’Autriche a procédé à l’éloignement forcé de 30 personnes au cours des trois premiers mois de l’année.
Si de nombreux pays ont officiellement suspendu les éloignements vers l’Afghanistan, les transferts effectués au titre du règlement Dublin vers des pays européens qui n’y ont pas renoncé, quant à eux, se poursuivent. Ainsi, un Afghan a été renvoyé le 24 août vers l’Autriche par une préfecture française, malgré le risque d’expulsion en cascade vers l’Afghanistan.
De son côté, la Grèce a soumis le 3 septembre au Parlement un projet de loi visant à accélérer les expulsions de migrants déboutés de l’asile, dont les Afghans. Suite à la décision du gouvernement hellénique du 7 juin déclarant la Turquie comme un « pays tiers sûr », près de 13 864 demandeurs d’asile afghans risquent de voir leurs demandes considérées comme « irrecevables », les exposant ainsi à un renvoi vers la Turquie, selon des données de l’ONG Refugee Support Aegean. De son côté, la Turquie, qui accueille près de 116 400 demandeurs d’asile afghans sur son sol, a renvoyé près de 6 000 Afghans vers leur pays en 2020. Alors que la Grèce a achevé fin août la construction d’un mur de 40 kilomètres à sa frontière avec la Turquie, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan a également affirmé que les frontières avec l’Iran et l’Irak seront protégées par des murs « pour empêcher l’immigration irrégulière ». Des mesures drastiques qui traduisent la crainte de nombreux États de voir arriver des milliers de réfugiés aux portes de l’Europe, alors que la plupart des Afghans fuyant les Talibans sont déplacés au sein du pays ou dans les pays frontaliers, en Iran ou au Pakistan.
Si la réponse de l’Union européenne demeure contrastée face à la « crise humanitaire imminente » qui se profile en Afghanistan, Filippo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, a alerté les États membres le 30 août que cette dernière ne faisait « que commencer », appelant la communauté internationale à accroître les engagements en matière de réinstallation, notamment pour soutenir les pays voisins qui assument la majeure partie de la responsabilité de l’accueil. Outre la voie de la réinstallation, France terre d’asile demande aussi à l’Union européenne d’améliorer les voies d’accès à la procédure d’asile en favorisant la délivrance de visas d’entrée sur son territoire à cette fin, et en facilitant les procédures au titre de la réunification familiale.