Naufrage meurtrier au large de la Grèce
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 17 juillet 2023©Hellenic Coast Guard/Handout via REUTERS
Suite au naufrage dans la nuit du 13 au 14 juin, d’un chalutier surchargé près de la ville de Pylos en Grèce, les témoignages des rescapés et les premiers éléments de l’enquête semblent pointer la responsabilité des garde-côtes grecs dans ce drame. Parti des côtes libyennes de Toubrouk quelques jours auparavant, le navire Adriana transportait jusqu’à 750 personnes. On compte à ce jour 104 survivants, 82 morts et plus 500 personnes toujours portées disparues.
Les témoignages des rescapés et les informations récoltées par satellite sont venus rapidement contredire les annonces officielles du gouvernement grec et ont conduit la Cour suprême grecque, également suite à la demande de l’ONU et de la Commission européenne, à ouvrir une enquête. Il s’agit notamment de questionner la lenteur et les méthodes des autorités grecques, leur refus présumé d’assistance aérienne de la part de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), et leur argumentaire pour justifier de ces éléments.
Pour cela les enquêteurs tentent de reconstituer les évènements survenus dans les heures précédant le drame. A partir de 7h30, Alarm Phone, un réseau de bénévoles récoltant les appels au secours de personnes migrantes traversant la Méditerranée, signale la présence du navire surpeuplé au large de la Grèce. A 9h45, un avion de Frontex géolocalise l’embarcation et en informe les autorités grecques. Selon le directeur de Frontex Hans Leijtens, le bateau opéré par son agence le plus proche se trouvant à deux jours de navigation de l’Adriana, l’agence propose à deux reprises de déployer l’un de leur drone, mais les gardes côtes n’auraient pas répondu. Ce n’est qu’à 10h50 qu’un hélicoptère décolle de l’île de Lesbos avant d’arriver une heure et demie plus tard au niveau du chalutier. Les garde-côtes grecs constatent « un nombre assez important de personnes sur le pont » mais assurent que l’embarcation navigue sur une route et une vitesse régulière en direction de l’Italie. Elles préviennent toutefois d’éventuels navires présent dans la zone du besoin d’assistance du chalutier. Plus tard, à 12h17, Alarm Phone reçoit un appel de détresse du chalutier, toujours sans assistance. Ce n’est qu’à 14h50 que le pétrolier Lucky Sailor, dévie brusquement de sa trajectoire pour fournir de l’eau et de la nourriture aux personnes à bord. Vers 18h00, le pétrolier Faithful Warrior dévie en empruntant une trajectoire très similaire à celle du Lucky Sailor plus tôt, afin d’apporter également des vivres aux personnes à bord. Entre 15h et 19h, les garde-côtes auraient été en contact avec le navire, mais selon eux, ce dernier aurait refusé toute assistance. Malgré les déclarations des autorités grecques, selon lesquelles le chalutier suivait toujours sa trajectoire régulière vers l’Italie entre 19h40 et 22h40, à 23h00 il chavire, dans la même zone où étaient intervenus les deux pétroliers.
Selon certains témoignages, l’intervention des garde-côtes grecs, qui auraient tenté à deux reprises de remorquer le chalutier à l’aide de câbles, aurait conduit au chavirement de ce dernier. Selon ces mêmes témoignages, il semble même que les autorités grecques tentaient de remorquer l’Adriana hors de leur zone de secours. En outre, les garde-côtes n’auraient distribué que trop tard et en trop faible quantité des bouées et des canots de secours. Enfin, dans le cadre de l’enquête en cours, les garde-côtes sont soupçonnés d’altérer les témoignages reçus.
Suite à ces révélations, le responsable des droits fondamentaux de Frontex, Jonas Grimheden, a recommandé de suspendre temporairement les activités de l’agence en Grèce. Accueillie favorablement par une partie de la société civile, cette proposition présente tout de même le risque d’un contrôle trop léger sur le gouvernement hellénique et pourrait ouvrir la voie à davantage de violations des droits humains. Hans Leijtens fait également valoir le maintien des opérations de l’agence, qui apportent un support matériel important sur le terrain.
La route de la Méditerranée centrale : l’une des plus meurtrières au monde
Cet épisode témoigne des dangers de la traversée de la Méditerranéen centrale, qui figure parmi les routes migratoires les plus meurtrières au monde. Le premier trimestre 2023 a d’ailleurs été le plus meurtrier depuis 2017, avec au moins 441 vies perdues en Méditerranée. Le naufrage du 14 juin présage d’un accroissement important du risque, alors que la météo plus clémente conduit à davantage de départs.
Dans ce contexte, les politiques nationales du pourtour méditerranéen traduisent une position toujours plus restrictive en matière d’accueil. En Grèce, le parti de droite, qui s’appuie largement sur un discours anti migrant, a remporté les élections législatives le 25 juin et dispose à présent d’une majorité nette au parlement. Suite à de nombreux débarquements sur ses côtes, l’Italie a décrété l’état d’urgence le 11 avril, lui permettant d’agir plus rapidement et avec moins de contrôle constitutionnel. A l’échelle européenne, le principe d’externalisation des frontières prend de plus en plus de place avec des discussions au sujet d’un « partenariat euro-méditerranéen » fondé sur la coopération en matière de migration, comme en témoigne l’accord en cours de négociation avec la Tunisie. Le Maroc, le Nigéria et l’Égypte constituent également des « partenaires prioritaires ».
Ce drame remet en lumière la nécessité d’un système de secours efficace en mer Méditerranée. Ce sujet a été largement discuté durant la session plénière du Parlement européen du 12 juillet après la publication d’une proposition de résolution transpartisane « sur la nécessité d’une action de l’Union en matière de recherche et de sauvetage en Méditerranée », signée par le groupe de gauche (GUE/NGL), les Sociaux-démocrates (S&D), les Verts/ALE, Renew Europe et le parti populaire européen (PPE). Les députés insistent sur la nécessité d’une meilleure coordination en matière de sauvetage et demandent notamment la mise en œuvre d’une mission de sauvetage globale de l’Union opérée par les Etats membres et Frontex et co-financée par la Commission européenne.