« Davantage de solidarité et de courage politique pour mettre fin à la situation dramatique en Méditerranée et améliorer la gestion de l’asile en Europe »
Vincent Cochetel, Envoyé spécial pour la Méditerranée centrale du HCRDepuis la proposition conjointe du HCR et de l’OIM en juin relative à la création d’un « mécanisme de débarquement prévisible », les discussions ne semblent pas évoluer. Peut-on encore espérer la mise en place d’un tel mécanisme ?
Le HCR soutient la mise en place d’un « mécanisme de débarquement prévisible » des deux côtés de la Méditerranée. La proposition du Conseil européen de juin sur la création de centres contrôlés sur le territoire de l’Union européenne et de plateformes de débarquement en Afrique du Nord n’a pas été très utile dans la mesure où les pays d’Afrique du Nord ont l’impression que l’Europe aimerait leur transférer sa responsabilité. Le HCR observe toutefois que 11 États membres de l’Union européenne, ainsi que l’Albanie et le Monténégro, se sont engagés à prendre en charge des réfugiés parmi les personnes débarquées à Malte, en Italie ou en Espagne. Il s’agit là d’une bonne piste de coopération pratique. Du côté de l’Afrique du Nord, en dehors de la Libye, il aurait fallu faire l’effort de regarder ce qui était déjà en place car il existe déjà des bases de travail au Maroc, en Algérie, en Tunisie et en Égypte. Il faut travailler à une amélioration, sur la base des mécanismes embryonnaires déjà existants, et s’assurer qu’il existe derrière des systèmes d’asile et de gestion de la migration fonctionnels.
Les procédures d’asile en Europe devraient être modifiées car de nombreuses personnes qui arrivent sur le continent européen ne rentrent pas dans le cadre de ces procédures. Lors d’une visite dans le hotspot de Pozzallo en Italie, j’ai discuté avec des jeunes Gambiens, Ivoiriens et Sénégalais : leur désir de migration en Europe était clairement motivé par des raisons qui n’ont rien à voir avec l’octroi de l’asile. Donc est-ce qu’on a besoin de mettre ces gens-là dans une procédure qui dure quatre ans pour qu’ils soient déboutés à l’issue de cette période et rejoigne la population irrégulière qui est sur le territoire européen ? Est-ce qu’on ne peut pas gérer ça un peu mieux aux points d’arrivée ? Il faut absolument travailler en parallèle sur ces modèles pilotes de voies légales de migration, comme la carte bleue européenne ou d’autres formes de migration circulaire, comme au Canada et une politique de retour beaucoup plus efficace.
L’Union européenne souhaite se rapprocher de l’Égypte afin de négocier un accord similaire à celui passé avec la Turquie en 2016. Qu’en pensez-vous ?
Le HCR n’est pas opposé à cette volonté de rapprochement à condition que ce partenariat soit équilibré et basé sur des obligations mutuelles, tant du côté de l’Europe que de celui de l’Égypte, et que ce partenariat ne concerne pas seulement les égyptiens, mais qu’il touche aux carences de leur système en matière d’asile et de gestion de la migration. Le HCR est présent dans ce pays depuis 1954 mais il n’y existe aucune législation sur l’asile. Les pays européens disent que l’Égypte est un bon modèle car il n’y a pas de départs irréguliers par voie maritime à partir des côtes égyptiennes, mais le HCR estime que 19 % des gens qui arrivent en Italie via la Libye sont en réalité passés par l’Égypte. On est dans une situation où l’assistance de la communauté internationale a baissé et le HCR est obligé de réduire tous ses programmes en Égypte. Il y a donc une fragilisation des populations réfugiées en Égypte, une augmentation des arrivées à travers le Soudan, une forte réduction des efforts de réinstallation de refugiés et une réponse de la communauté internationale qui est bien en deçà des discours sur les volontés de rapprochement. Une réelle amélioration de la gestion de l’asile et des mouvements migratoires est possible en Égypte.
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait être envisagé pour encourager les États à se montrer plus solidaires et à respecter les engagements internationaux ? Comment pourrait-on concilier les différentes visions, notamment entre les pays du groupe de Višegrad et les autres pays de l’Union européenne ?
Je pense simplement que les politiques européennes qui marchent le mieux sont les politiques qui incluent le principe de solidarité. On parle de politique agricole commune, de transport, de politique des régions. Il s’agit de transferts de ressources, du budget communautaire vers des zones défavorisées. Ce mécanisme pourrait s’appliquer au domaine de la gestion de l’asile et pourrait être l’objet de réflexions avec les pays d’Europe centrale. Le HCR est un petit peu circonspect face à la notion de « solidarité obligatoire » dont les contours laisseraient à chaque État le soin de déterminer quelle forme de solidarité s’exercerait. Elle ne doit pas être « flexible » mais très claire et prévisible. Le HCR espère que les pays du groupe de Višegrad rejoindront graduellement le consensus européen sur la notion de solidarité appliquée aux questions liées à l’asile. La plupart de ces pays ont des accords relatifs à l’immigration par le travail avec la Corée du Nord, le Vietnam et le Laos, afin d’amener plusieurs milliers de travailleurs migrants chaque année sur leur territoire. Leurs discours sur une volonté de société mono-ethnique, mono-religieuse, purement nationale, ne semble pas toujours s’appliquer dans les faits à leurs besoins d’immigration légale.
La situation en Libye est aujourd’hui accablante pour les migrants en raison des conditions de vie dans les centres de détention et les risques liés au trafic d’êtres humains. Une coopération et des actions avec les pays d’origine situés en Afrique peut-elle être une solution envisageable pour limiter les flux migratoires en direction de la Libye ?
Concernant les pays d’Afrique, différents volets existent dans le cadre de l’accord de La Valette de décembre 2015, entre autres, sur les causes profondes de la migration irrégulière et les déplacements forcés de populations. Certaines causes sont économiques et requièrent vraiment une adéquation des engagements en matière de développement. Il n’y a donc pas de réticence à ce qu’il y ait un engagement européen sur les pays d’origine. La coopération avec les pays de premier asile, ou pays dits de transit, est également présente dans les accords de La Valette. Cependant, il n’y a pas eu suffisamment de progrès ni d’engagements, à l’exception du Niger. Il est nécessaire de mettre en place des programmes qui stabilisent, dans des conditions de vie décentes, les réfugiés là où ils sont. Le HCR affirme clairement que tout ce qui peut être fait pour empêcher d’une manière responsable et crédible les gens d’aller en Libye doit être tenté et doit inclure tous les volets : l’assistance, et les voies légales telles que la réinstallation et la réunification familiale.
Le HCR considère-t-il que la proposition de la Commission « des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures » (LIBE) du Parlement européen, relative à la mise en place d’un visa humanitaire européen, pourrait être une avancée notable dans la résolution de la situation en Méditerranée ?
Tout à fait. Cependant, par le passé, les quelques pays qui ont utilisé cette solution pour garantir a des réfugiés potentiels une protection effective en Europe ont été débordés au niveau de l’examen des demandes et ont mis fin à ces expériences. Toutes les voies légales doivent marcher, comme celle de la réinstallation, où l’Europe est encore trop faible, avec seulement 10 000 réinstallations en 2017. La directive européenne sur le regroupement familial prévoit ce droit pour les membres proches de famille de réfugiés. L’une des premières décisions de certains États européens en 2015 a été de rendre plus difficiles les conditions d’accès au regroupement familial. Par conséquent, les communautés européennes se retrouvent avec beaucoup plus d’hommes seuls. On se plaint parce que cela provoque un certain nombre de peurs et d’appréhensions au niveau des communautés de réception mais rien n’est fait pour que les familles viennent. Ces hommes ne veulent pas rester seuls et souhaitent faire venir leur famille. Malheureusement, ce sont les trafiquants qui vont faciliter le regroupement familial. Par conséquent, il faut recréer des conditions de regroupement familial qui marchent rapidement, de façon à éviter que leurs proches prennent des risques insensés pour tenter de les rejoindre en Europe.