"La déclaration UE-Turquie a rendu impossible l'offre de conditions d'accueil décentes et humaines aux demandeurs d'asile"
Spyros Vlad Oikonomou, Chargé de plaidoyer pour le Conseil grec pour les réfugiésCompte-tenu de la situation humanitaire désastreuse dans les îles égéennes, le Conseil grec pour les réfugiés est aujourd’hui plus que jamais en première ligne pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables, dont les mineurs non accompagnés. L’association s’exprime également régulièrement sur la politique migratoire européenne et la coopération avec la Turquie.
Le gouvernement turc a ouvert ses frontières avec la Grèce pendant plusieurs semaines en février et mars, en dénonçant l’accord UE-Turquie. Quelles ont été les conséquences de cet accord sur l’accueil des demandeurs d’asile en Grèce ?
Depuis la mise en œuvre de la « déclaration UE-Turquie » le 20 mars 2016, les demandeurs d’asile qui arrivent sur les îles orientales de la mer Égée, principalement à Lesbos, Samos, Chios, Leros et Kos, se voient imposer dès leur arrivée une restriction géographique à leur liberté de circulation sur les îles respectives.
C’est sans aucun doute la principale cause de la situation de surpopulation, d’insalubrité et d’insécurité dont nous sommes aujourd’hui témoins dans les Centres d’accueil et d’identification (CAI) de ces îles. Avec la Déclaration UE-Turquie, ces centres ont été appelés à devenir les « zones tampons » de l’Europe, dans le cadre des efforts en cours pour externaliser la responsabilité envers les populations déplacées de force aux frontières de l’UE et au-delà.
Ainsi, la « déclaration » a eu pour conséquence de rendre impossible l’offre de conditions d’accueil décentes et humaines aux demandeurs d’asile, facilitant la création d’un cycle sans fin de surpopulation et de désespoir qui, surtout aujourd’hui, dans le contexte d’une pandémie mondiale, expose davantage les personnes particulièrement vulnérables à des risques immédiats pour leur santé et leur sécurité.
L’ouverture des frontières […] était une dénonciation claire de la part de la Turquie de son obligation de [les] contrôler et d’empêcher les flux vers l’Europe dans le cadre de la « déclaration UE-Turquie ». Pourtant, cela n’a aucune conséquence du côté de la Grèce, puisque la mise en œuvre de la restriction géographique était en quelque sorte un instrument visant à empêcher les flux après le passage des frontières européennes.
Quelle(s) solution(s) envisagez-vous pour remédier à la surpopulation dans les hotspots du pays ? Qu’attendez-vous de l’Union européenne pour aider la Grèce à faire face aux milliers de demandeurs d’asile qui sont entrés dans le pays pendant cette période ? Le transfert des demandeurs d’asile vers la Grèce continentale vous semble-t-il viable à long terme ?
Malheureusement, surtout à ce stade, il n’existe pas de solution facile.
D’une part, la pandémie mondiale nécessite des actions urgentes pour garantir que personne ne soit laissé pour compte parmi les populations que nous accompagnons, afin de minimiser les pertes de vies humaines. Cela signifie que, à court terme, en particulier les plus de 35 000 demandeurs d’asile actuellement piégés dans les CAI insulaires doivent être transférés d’urgence dans des logements sûrs et adaptés, où ils pourront effectivement appliquer les normes d’hygiène et la « distanciation physique ». Sur ce point, nous observons des efforts très positifs, mais nous craignons qu’ils ne soient pas suffisants.
D’autre part, il est clair qu’il est irréaliste de compter exclusivement sur la Grèce continentale pour contrer les effets de la « déclaration », en transférant les demandeurs d’asile des îles lorsque ces dernières sont saturées, surtout à long terme. Dans une certaine mesure, les transferts vers la Grèce continentale ont toujours fait partie intégrante de la manière dont la Grèce a géré les flux migratoires mixtes à la suite de la « déclaration ». Pourtant, après quatre ans de mise en œuvre, l’absence continue d’un mécanisme à l’échelle de l’UE visant à faciliter le partage des responsabilités entre les États membres, est plus que visible.
Même s’ils sont loin d’atteindre le même niveau de saturation que les structures situées dans les îles, les camps et les programmes d’hébergement sur le continent fonctionnent depuis des mois et des années à la limite de leurs possibilités, et plusieurs d’entre eux les ont même dépassées. Le ministère (de la Migration et de l’asile) a récemment annoncé l’expansion progressive de ces programmes, qui, sur une période de deux ans, pourraient fournir 20 000 places d’hébergement supplémentaires aux demandeurs d’asile sur le continent. Même si cette évolution est la bienvenue, d’une part, elle ne résout pas le problème immédiat dans les îles et, d’autre part, rien ne garantit que, lorsque ces places seront opérationnelles, elles seront suffisantes. Aujourd’hui, par exemple, elles ne suffiraient toujours pas à assurer un logement à tous et à réduire la surpopulation sur les îles. Et ce, sans même prendre en considération la question de savoir si les systèmes publics grecs (soins de santé, transports, etc.) peuvent réellement répondre aux besoins et respecter les obligations légales envers cette population, qui ne se limitent bien sûr pas uniquement à leur fournir un espace de vie.
Y a-t-il suffisamment de médecins, de médiateurs, d’avocats, d’enseignants pour assurer les services indispensables à la fois à la population locale et aux milliers de demandeurs d’asile que la Grèce accueille déjà ou sera appelée à accueillir à l’avenir ? Un pays qui subit encore les effets de la crise financière de 2008 – sans parler de celle qui devrait suivre la pandémie – peut-il réellement assumer seul une responsabilité internationale ? Ce ne sont là qu’une partie des questions que nous voyons rarement, voire jamais, abordées, mais qui créent des problématiques supplémentaires pour garantir le respect des droits des demandeurs d’asile et des réfugiés.
L’UE a été extrêmement généreuse en matière de financement, mais elle ne peut résoudre seule qu’une partie du problème. À long terme, sans un mécanisme efficace, proportionné et équitable de partage des responsabilités, qui pourrait au minimum être déclenché chaque fois que les choses deviennent ingérables en Grèce, nous craignons de ne pas pouvoir espérer de changements significatifs ; du moins qui soient positifs.
Les autorités grecques, en première ligne de l’accueil des réfugiés en Europe, ont réformé la politique d’asile du pays à plusieurs reprises depuis 2015. Quelles ont été les conséquences pour les demandeurs d’asile en Grèce ?
En bref : moins de garanties, plus de détention et de restrictions. C’est notamment l’effet de l’actuelle loi grecque sur l’asile (L. 4636/2019), que même l’Union des employés du Service d’asile grec a publiquement condamnée comme visant à exclure purement et simplement les personnes de la procédure d’asile.
En même temps, bien sûr, les changements politiques et juridiques constants, que même les professionnels ont parfois du mal à suivre, affectent de manière disproportionnée les demandeurs d’asile, qui n’ont pas de formation juridique, et, par conséquent, ne sont capables de comprendre leurs droits et obligations. Ce dernier point est particulièrement préoccupant aujourd’hui, car le non-respect de leurs obligations peut facilement entraîner le rejet de leurs demandes d’asile, sans même que les motifs de leur persécution ne soient examinés.
En tant qu’organisation de terrain depuis 1989, en Grèce continentale mais aussi à tous les points d’entrée du pays, comme les îles de la mer Égée, comment vos activités ont-elles évolué depuis 2015 ?
La crise politique de l’accueil de 2015 et ses conséquences (voir la « déclaration UE-Turquie ») ont sans aucun doute nécessité que nous intensifions nos activités, afin d’essayer de relever un ensemble de défis, nouveaux et anciens, de plus en plus nombreux.
Nos activités de base s’articulent toujours principalement autour de la fourniture de services juridiques et psychosociaux aux demandeurs d’asile et aux réfugiés statutaires, mais au fur et à mesure de l’évolution de la situation, nous avons également pu renforcer considérablement nos services axés sur l’intégration, tels que les conseils en matière d’éducation et d’employabilité. Sur ce plan, nous avons eu la chance de recevoir le soutien de partenaires très proches, nouveaux et anciens, tels que le HCR, l’OIM, le Conseil néerlandais pour les réfugiés, Oxfam et bien d’autres, sans l’aide desquels cela aurait été impossible.
Comment soutenez-vous spécifiquement les mineurs non accompagnés ? Selon vous, le gouvernement grec en fait-il assez pour répondre à leurs besoins ?
Dans le cadre de nos activités principales, nous apportons un soutien juridique et psychosocial aux enfants non accompagnés, notamment dans les affaires de regroupement familial, dans lesquelles nous les représentons devant les tribunaux nationaux et la Cour européenne des droits de l’homme, et nous les soutenons par des activités éducatives et ou axées sur l’intégration. Depuis environ un an, nous gérons également deux structures d’hébergement de courte durée, qui, cependant, accueillent de fait des enfants pour des durées plus longues que prévues, en raison de l’absence régulière d’alternatives.
En ce qui concerne la réponse du gouvernement grec, la « volonté » semble être là et tout le monde s’accorde à dire que les enfants non accompagnés devraient être protégés en priorité et par principe. Pourtant, il reste malheureusement un décalage considérable entre les actions qui ont été décidées jusqu’à présent et le niveau réel des besoins sur le terrain.
À titre indicatif, fin novembre, il a été annoncé qu’aucun enfant ne serait laissé seul et que quelque 4 000 places d’hébergement auraient été créées d’urgence, afin de garantir aux enfants un logement convenable, sûr et digne. Près de cinq mois plus tard, le nombre d’enfants non accompagnés en Grèce a dépassé les 5 000, mais seules 274 places supplémentaires ont été créées. Entre-temps, le manque constant d’alternatives signifie que plus de 300 enfants non accompagnés sont actuellement en « garde préventive », c’est-à-dire en détention, plus de 1 000 sont sans abri ou vivent dans des conditions précaires avec des adultes inconnus, et plus de 1 500 restent dans les CAI ou hotspots des îles, dont nous avons déjà suffisamment décrit les conditions.