L’adoption du Pacte sur la migration et l’asile encore loin d’être assurée
Équipe plaidoyer de France terre d'asileSource : © audiovisual service European Commission
L’accord donné le 20 avril dernier par les eurodéputés pour avancer sur les négociations de certains textes s’inscrit dans un cycle de plus de sept ans de discussions pour réformer la politique d’asile et d’immigration européenne, marquées par de multiples blocages. L’adoption des textes législatifs se confronte à la fois aux divergences entre États membres mais également à la nécessité de trouver un compromis avec le Parlement européen, co-législateur en matière d’asile.
En 2015 et 2016, l’inadaptabilité du règlement Dublin III de 2013 conjuguée à une forte hausse des arrivées a provoqué une crise de l’accueil dans l’Union européenne (UE), en particulier dans les Etats en « première ligne » : les « hotspots » sont devenus la norme en Italie et en Grèce tandis que l’incendie du camp de Mória, sur l’île de Lesbos, en Grèce, demeure dans tous les esprits. En réaction à ces événements, la Commission européenne a présenté, en 2016, une réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) en proposant une refonte du règlement Dublin III ainsi que la création d’un Cadre commun de réinstallation à l’échelle de l’Union européenne. Ces deux propositions faisaient partie d’un « Paquet asile » qui prévoyait également la transformation des directives « procédure » et « qualification » en règlements, un renforcement du règlement Eurodac et la transformation du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) en véritable agence de l’Union européenne pour l’asile.
Le nombre inédit d’arrivées sur les côtes grecques et italiennes a permis le déploiement d’un système de relocalisation obligatoire entre 2015 et 2017 qui prévoyait le transfert de 160 000 personnes des pays de première arrivée vers d’autres États de l’UE. Tandis qu’à peine 90 000 personnes ont bénéficié de ce mécanisme, cette tentative de relocalisation et plus généralement les discussions autour d’une nécessaire solidarité à mettre en œuvre par le biais du règlement Dublin IV cristallisent les tensions entre les États membres, dont une partie refuse catégoriquement d’accueillir. L’insistance du Conseil européen d’adopter les textes selon une « logique de paquet », c’est-à-dire en demandant un consensus sur l’ensemble des textes, ont fait échouer cette tentative de réforme.
L’élaboration d’une nouvelle réforme du RAEC
Le changement de mandature du Parlement et de la Commission européenne en 2019 ont contraint cette dernière à présenter une nouvelle série de textes le 23 septembre 2020 en vue de réformer le RAEC, sous le nom de « Pacte sur la migration et l’asile » constitué de neuf instruments législatifs et non-législatifs.
En matière d’asile, il est composé de cinq propositions législatives, dont certaines qui avaient échoué en 2016. A la différence des textes existants, toutes ces propositions prennent la forme de règlements, donc de textes d’application directe dans chaque État, sans avoir besoin d’être transposé en droit national. Le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration (RAMM), créé pour remplacer le règlement Dublin III, introduit, non plus un mécanisme de solidarité obligatoire mais « flexible » entre les États, selon les différents types de situations migratoires rencontrées. La proposition de règlement visant à établir un « filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures de l’UE » est, quant à elle, une nouveauté. Un règlement visant à instituer une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union (APR), est également proposé pour abroger la directive de 2013. Une refonte du règlement « Eurodac » est aussi présentée afin de renforcer la base de données biométriques en assurant un suivi des demandeurs d’asile, en plus du suivi des demandes. Enfin, un règlement visant à faire face aux « situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile » est ajouté. Le Pacte comprend en outre trois recommandations (sur la gestion de crise, les voies légales d’accès à une protection, et la coopération des Etats membres en ce qui concerne les opérations effectuées par des bateaux en matière de recherche et de sauvetage) et une orientation sur la mise en œuvre des règles de l’Union européenne relatives à la définition et à la prévention de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers. En outre, le Pacte reprend cinq propositions du « Paquet » de 2016 sans y apporter de modifications importantes : un règlement visant à remplacer la directive « qualification », une proposition de refonte de la directive « accueil » de 2013, un règlement établissant un cadre de l’Union pour la réinstallation, une proposition de refonte de la directive « Retour » de 2008 et un règlement créant une l’Agence de l’Union européenne pour l’asile. De septembre 2020 à mi 2022, les co-législateurs ne sont parvenus à aucune avancée majeure sur les textes outre l’adoption, en décembre 2021, du règlement relatif à l’Agence pour l’asile.
Un nouvel élan sous la présidence française ?
Au 1er janvier 2022, la France s’était fixée pour objectif de faire avancer les négociations du Pacte sur la migration et l’asile selon une approche « graduelle », visant à négocier en priorité certains volets clés du Pacte, et en excluant une adoption des textes dans leur globalité comme c’était le cas en 2016 avec le « Paquet asile ». Dans cette perspective, les États membres de l’UE ont conclu à l’issue du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 10 juin 2022 un accord politique sur les deux règlements mis en avant par la France et visant à renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union : les règlements « filtrage » et « Eurodac ». Pour encourager les pays de première entrée à donner leur accord, la présidence française a porté la proposition de mise en place d’un mécanisme de relocalisation volontaire de 8 000 à 9 000 demandeurs d’asile à partir de l’Italie, de l’Espagne, de la Grèce, de Malte et de Chypre. Presque un an après son lancement, moins de 1 000 personnes ont cependant pu bénéficier de ce mécanisme, posant la question d’une éventuelle prolongation au vu du manque de résultats. S’ajoutent à ce faible chiffre l’opacité de ce mécanisme ad hoc ainsi que son instrumentalisation à des fins de chantage politique au mois de novembre 2022 par le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin et la Première ministre Giorgia Meloni.
Des progressions depuis septembre 2022
En décembre 2022, sous la présidence tchèque du Conseil de l’UE, le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à des accords préalables permettant de débloquer une nouvelle phase de négociations sur certains textes : les « trilogues », des réunions interinstitutionnelles informelles entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne qui visent à adopter des textes de compromis. Les trilogues ont démarré sur le règlement Eurodac, mais aussi sur la refonte de la directive sur les conditions d’accueil, le règlement « qualification » et le règlement cadre sur la réinstallation. La présidence tchèque a, de son côté, tenté de mettre en avant une proposition de règlement sur l’instrumentalisation, qui ne faisait pas initialement partie du Pacte. Présentée à la suite de l’arrivée de quelques milliers de demandeurs d’asile en décembre 2021 dans l’UE après l’ouverture de ses frontières par la Biélorussie, le texte n’a à ce jour pas réussi à recueillir suffisamment de voix pour être négocié en trilogue. Pour certains États membres, l’objectif serait plutôt d’inclure le concept « d’instrumentalisation » dans d’autres textes du Pacte, notamment dans la proposition règlement crise et force majeure.
Le 29 mars 2023, la commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement européen a approuvé la proposition de règlement « gestion en matière de migration et d’asile » (RAMM) ainsi que la proposition de règlement permettant l’instauration de règles spécifiques pour faire face aux crises. La commission LIBE a également adopté sa position sur la proposition de règlement établissant un mécanisme de « filtrage » aux frontières de l’Union européenne (UE), et sur le règlement sur les procédures d’asile. Le 20 avril 2023, les eurodéputés ont formellement approuvé en session plénière l’ouverture de négociations interinstitutionnelles sur ces propositions.
Par la signature d’une feuille de route conjointe le 7 septembre 2022, les co-législateurs se sont engagés à adopter les propositions du Pacte avant la fin de la législature et les nouvelles élections européennes de mai 2024. Néanmoins, le chemin est encore long : malgré les impulsions pouvant être données par les présidences espagnole et belge, les négociations risquent d’être très complexes entre les États membres au Conseil de l’Union européenne, en particulier dans une temporalité aussi réduite. L’aboutissement des négociations dépend essentiellement de la question de la solidarité qui continue à diviser les États membres.
Article publié le 15/05/2023.