L'Allemagne : un modèle d'accueil à suivre ?
Par Petra Bendel, professeure à l’Université Friedrich-Alexander Erlangen-NürnbergAprès la forte immigration des années 2015-2016, les thèmes centraux concernant les domaines de l’asile, l’immigration et l’intégration se caractérisent par un durcissement de la loi sur l’asile et une accélération des expulsions, l’accentuation des préoccupations pour l’intégration des personnes « qui ont de bonnes chances de rester » et l’objectif d’embaucher du personnel qualifié (migration légale).
En Allemagne, le durcissement du droit d’asile remonte à 2015, quand le gouvernement fédéral réagissait à la forte augmentation de réfugiés des années 2015 et 2016 en affilant les lois sur l’asile. Selon le contrat de coalition du nouveau gouvernement fédéral, l’asile ne pourrait être garanti que pour ceux qui l’ont mérité tandis que les ressortissants en situation irrégulière devraient être expulsés. Il prévoit aussi l’ouverture de centres d’éloignements et l’obligation d’avoir un lieu de résidence pour bénéficier de la politique d‘intégration.
L’Allemagne fait partie de tout un groupe d‘États membres, avec la France notamment, qui d’un côté, durcissent le droit d’asile mais d’un autre côté, veulent encourager l’intégration et en cela, portent haut les couleurs de l’investissement européen dans la politique des réfugiés (comme jusqu’à présent la Suède ou l’Italie avant les dernières élections). Cependant, sur ce dernier point, ce groupe se différencie d’autres États membres, comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark et les Pays-Bas, qui veulent non seulement limiter l’accès au territoire mais aussi l’intégration et qui se détachent de leur solidarité envers l’UE . Et enfin le groupe constitué de la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie, qui, dans la mesure du possible, ne veut pas d’immigration du tout, n’applique aucune mesure d’intégration et ne fait preuve d’aucune solidarité envers les autres États membres de l’UE en matière de répartition des réfugiés.
Les raisons de ces politiques différentes, mais dans leurs tendances généralement plutôt restrictives, sont claires :
- la polarisation de l’opinion publique,
- l’orientation idéologique des gouvernements, en particulier celle du ministère de l’Intérieur,
- la participation ou non-participation de partis populistes de droite au gouvernement, ou plutôt, dans un gouvernement constitué de minorités, le fait de tolérer d’être gouverné par des partis populistes de droite,
- en référence à l’attitude vis-à-vis d’une réforme de la politique européenne des réfugiés, l’attitude de chacun des autres.
Ce n’est pas de bon augure pour la réforme du régime d’asile européen, car il est devenu très difficile de se mettre d’accord sur une réforme du système de Dublin, au vu des divergences de politiques et de l’appétit de plus en plus décroissant pour des solutions solidaires, communes.
Pour mener une politique d’asile européenne, devoir concilier les positions de l’Allemagne et de la France avec en arrière-plan cette hétérogénéité européenne est une chance, même si l’on critique nécessairement le durcissement du droit d’asile. Le gouvernement fédéral allemand a spécifié dans le contrat de coalition qu’il s’engage pour une harmonisation des procédures d’asile, une distribution homogène de nourriture et soins de santé et un hébergement des demandeurs d’asile en Europe. Le gouvernement français a affirmé la même chose dans son programme de gouvernement du 12 juillet 2017. Nous pouvons partir du principe que le thème migratoire sera un thème important de la feuille de route commune prévue pour le sommet européen de juin. Les deux États devront concourir ensemble à un système sécuritaire européen mais aussi international.
Au regard de la « loterie d’asile » perpétuelle dans la reconnaissance de ceux qui cherchent l’asile parmi les États membres de l’UE, il est nécessaire d’harmoniser les modalités de prise de décision des autorités nationales compétentes pour l’asile – c’est l’argument le plus important : garantir partout en Europe d’être juste envers les demandeurs d‘asile.
Par ailleurs, un plan de répartition qui garantirait un partage du travail juste entre les États membres pour l’accueil et l’examen de la demande d’asile constituerait un grand pas en avant. Cependant, il ne semble pas se dessiner un consensus entre les États membres sur ce point. Les élections européennes de mai 2019 et la fin des mandats de l’actuelle Commission approchant, on peut prévoir une réduction de l’aptitude à décider à Bruxelles et Strasbourg. Par conséquent, je pense qu’il est pertinent de renforcer le plus possible et au plus vite le tandem franco-allemand en définissant un plan de répartition et des modalités d’asile justes et harmonisées dans le cadre de la réforme du régime d’asile européen.
La politique d’intégration allemande est pleine de réussite, grâce à la forte volonté démontrée de tous les niveaux de décisions politiques – avant tout les communes- et au grand rôle joué par les associations d’aide sociale et les bénévoles. Somme toute, l’immigration de réfugiés est assez récente et cela pose des exigences particulièrement fortes à notre système de formation et d’apprentissage, mais aussi au marché du travail. L’expérience a montré jusqu’ici qu’une intégration la plus rapide possible est gage de réussite. Cependant, l’engagement d’héberger intentionnellement dans des installations centrales dédiées soi-disant à l’accueil, au transit et au rapatriement contrecarre sans doute cet objectif. De mon point de vue, il faut absolument garantir l’accès à des propositions d’intégration, à des conseillers, aux dispositifs d’aide ainsi qu’à la vie sociale et culturelle. Ceci est tout particulièrement valable pour l’accès à l’école.
Les barrières juridiques à l’accès au marché du travail ont été détruites pas à pas ; ainsi, l’intégration sur le marché du travail peut avoir lieu rapidement ; les systèmes de règles pour l’intégration sur le marché du travail ont été ouverts. La situation de l’économie allemande est bien sûr d’un grand secours. Les entreprises ont grand besoin de main-d’œuvre. L’exode massif a mis à jour que la construction de logements sociaux avait plusieurs années de retard. Maintenant, on investit considérablement. En 2016, on a introduit, dans le cadre de la loi sur l’intégration, l’obligation d’hébergement (ainsi qu’une allocation d’hébergement) pour ceux qui ont le statut de réfugié. Ainsi, il doit être évité entre autres que les personnes ayant le statut de réfugié se concentrent avant tout dans des grandes villes d’Allemagne de l’Ouest et dans des conurbations, ce qui pourrait mener à une ségrégation éthnique. Le dispositif légal doit donner la possibilité aux régions allemandes de mieux répartir les bénéficiaires d’une protection, ou plutôt de façon plus équitable. Depuis les événements du jour de l’an de 2015/2016, la question de l’intégration dans le système de normes et de valeurs est fortement revenue sur le devant de la scène en Allemagne. Avec la loi sur l’immigration, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2005, le « cadre minimum de dispositifs d’intégration de l’État a vu le jour » pour la première fois en Allemagne, afin d’encourager la participation sociale des immigrés. Le cours d’intégration représente le noyau dur de ces dispositifs. Le cours d’intégration comprend un cours de langue et un cours dit d’orientation et compte en tout 700 heures. Dans les cours d’orientation, 100 heures sont consacrées avant tout à la transmission de valeurs ; avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’intégration le 6 août 2016, c’était 60 heures. À cela s’ajoutent dans les autres heures de cours de langue des exemples choisis du quotidien.