Les bénéficiaires d’une protection internationale comme acteurs politiques de leur intégration en Europe
Équipe plaidoyer de France terre d'asileLes représentants de 25 organisations de réfugiés se sont réunis en novembre 2019 pour échanger des bonnes pratiques et consolider leur réseau, sous l’égide de la municipalité de Naples
© UNHCR/ Cristiano Minichello
Si la question de la participation des bénéficiaires d’une protection internationale (BPI) à l’élaboration des politiques publiques d’intégration est mise en avant depuis de nombreuses années par des organisations telles que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) [1], elle n’émerge que depuis récemment dans le débat public. En Europe, les BPI sont en effet souvent « invisibilisés » du fait de la barrière de la langue ou de la ségrégation spatiale qu’ils subissent, voire sont perçus comme des destinataires passifs d’aide des gouvernements ou des associations. Ils ne sont que rarement considérés comme des acteurs autonomes, disposant de compétences et d’une expertise particulières pouvant être valorisées pour favoriser leur inclusion sociale et celle de leur famille, ainsi que celle de leur diaspora dans leur pays d’accueil.
Entre 2015 et 2019, selon la base de données Eurostat, 2 210 950 demandeurs d’asile ont reçu une protection internationale dans l’UE, soit 0,5 % de la population totale de l’Union. La question de leur intégration est devenue fondamentale, et la contribution qu’ils peuvent apporter aux politiques publiques en la matière se pose désormais de manière croissante aux acteurs publics. Malgré les difficultés qu’ils rencontrent, les exilés tentent de s’organiser pour peser sur les débats et faire entendre leur voix dans les pays où ils ont trouvé refuge. Quelles formes prend cette participation et quels en sont les résultats ?
De manière générale, la participation politique des BPI en Europe est encore assez limitée. Alors que le droit de vote est considéré comme un important facteur d’intégration car il permet de participer à la vie publique du pays de résidence, il n’existe que peu de dispositions spécifiques pour les BPI dans l’UE. Seuls certains États comme le Danemark, l’Irlande, la Suède, la Finlande, le Luxembourg et les Pays-Bas autorisent le vote des ressortissants de pays tiers, sous certaines conditions, pour les élections locales. Pour autant, cela ne signifie pas que les BPI n’ont pas accès à des espaces de participation politique : dans des pays comme l’Allemagne ou la France, il n’est pas nécessaire d’avoir la nationalité pour devenir membre d’un parti politique, d’une ONG ou d’un syndicat. Toutefois, participer de manière active à ces collectifs nécessite de surmonter un certain nombre de contraintes, dont la barrière de la langue, le manque de disponibilité dû aux difficultés sociales et économiques de l’intégration, mais aussi un besoin d’adaptation, car beaucoup de BPI ne pouvaient pas exercer de tels droits dans leur pays d’origine.
Malgré tout, nombreux sont ceux qui agissent de manière proactive auprès des différents acteurs publics compétents dans l’UE pour que leurs droits soient respectés et leur intégration facilitée (meilleures conditions de vie et de travail, accélération des procédures administratives etc.). Ils s’investissent ainsi lors de mobilisations informelles, telles que des manifestations [2] ou par le biais de mouvements organisés par et pour des BPI, qui sont consultés de manière plus formelle par les différents échelons de pouvoir responsables des politiques publiques. Ces associations et réseaux, telles que « Idées et solutions des réfugiés pour l’Europe » (RISE), le Réseau pour les voix des réfugiés, Voix de migrants ou encore l’association des Volontaires syriens aux Pays-Bas, sont regroupés sous le terme anglo-saxon de « Refugees-led Organisations » (RLOs, organisations dirigées par des réfugiés). Celles-ci visent à représenter et porter la voix des BPI à tous les niveaux de décision en Europe, à influencer les politiques migratoires et l’opinion publique et à favoriser l’intégration des réfugiés dans les sociétés qui les accueillent. En un mot : à les rendre visibles dans l’espace public.
Pourtant, les RLOs ont parfois du mal à faire véritablement « jeu égal » avec les organisations locales et internationales qui sont bien mieux implantées. Elles connaissent par exemple des difficultés d’accès aux financements, notamment par manque de compétence technique pour demander des subventions ou mettre en place des collectes de fonds, ce qui limite leurs possibilités d’action et leur influence dans le processus de décision politique. De plus, beaucoup de ces organisations interviennent principalement dans la réponse aux besoins immédiats des nouveaux arrivants (nourriture, logement, conseil et orientation) et ne sont que marginalement impliquées dans la définition des politiques publiques en matière d’intégration. Actuellement, aucun État membre ne fait participer les BPI à l’élaboration ou à l’évaluation des politiques d’intégration qui leur sont pourtant dédiées à l’échelle nationale.
Pour faire face à ces défis, des ONG comme les Conseils britannique et finlandais pour les réfugiés ou encore le Comité international de secours (International Rescue Committee – ICR) ainsi que plusieurs organes de décision locaux (municipalités) et internationaux (Commission européenne et HCR en tête) ont montré, d’une part, leur intention d’intégrer en leur sein des personnes issues de l’immigration et, d’autre part, leur volonté de collaborer plus étroitement avec les RLOs. Cela leur permet de s’appuyer sur leurs expériences et leur connaissance des questions et des situations relatives aux migrations et à l’intégration [3].
Selon Masooma Torfa, co-fondatrice de l’association allemande Female Fellows e.V. et membre de plusieurs RLOs qui agissent dans toute l’Europe, s’appuyer sur l’expertise de terrain et sur la légitimité de ces organisations, et des réfugiés déjà présents dans un pays d’accueil, comporte plusieurs avantages pour les États membres et l’Union. Il leur est ainsi possible d’identifier de manière plus efficace et plus rapide les problèmes locaux, d’améliorer et de renforcer le dialogue entre les sociétés d’accueil et les nouveaux arrivants, tout en facilitant l’insertion, la communication et l’apprentissage de la langue et de la culture des pays d’accueil pour les personnes les plus isolées. Une étude du Conseil britannique pour les réfugiés portant notamment sur la place des RLOs dans la « stratégie d’intégration sociale » mise en œuvre par la municipalité londonienne a montré qu’en encourageant les réfugiés à s’engager pleinement dans leur communauté, les RLOs de la ville avaient joué un « rôle clé », par exemple pour l’accès à l’emploi. Se faisant, elles avaient apporté une contribution fondamentale aux objectifs politiques d’intégration des BPI.
La participation de ces derniers à la définition des politiques publiques d’intégration se retrouve donc avant tout à l’échelle locale, où se joue une grande partie de ses enjeux. On peut ici citer l’exemple de plusieurs villes qui ont développé des initiatives visant à accroitre la participation locale des BPI et ainsi contribuer à la conception des politiques d’intégration. La « Consulta delle culture » créée à Palerme a ainsi activement pris part à l’élaboration du « Modèle de Palerme », un projet qui vise à reconnaitre des droits civiques aux citoyens de la ville uniquement sur la base de la résidence, et non de la nationalité. Les actions mises en œuvre par d’autres municipalités européennes, comme Hambourg [4] ou Gdansk [5], témoignent de la même implication pour donner un rôle accru aux BPI dans ce domaine.
Cette volonté d’inclusion des BPI et la reconnaissance de leur rôle en tant qu’acteurs des politiques publiques se retrouvent jusqu’aux institutions européennes et organisations internationales. De manière croissante, les représentants de RLOs sont par exemple régulièrement invités à intervenir lors des colloques et conférences portant sur les migrations pour qu’ils soient inclus dans les discussions comme des acteurs à part entière. La Commission européenne est aussi à l’origine de plusieurs initiatives, telles que le « Conseil consultatif européen des migrants », un groupe composé de neuf personnes « issues de l’immigration », parmi lesquelles des BPI. Celles-ci sont chargées de donner un avis, néanmoins uniquement consultatif, sur les questions relatives aux politiques migratoires européennes. Plus récemment, dans le cadre de l’élaboration de son nouveau « Plan d’action sur l’intégration et l’inclusion », la Commission a lancé le 22 juillet 2020 un appel à candidatures pour la création d’un groupe d’experts qui sera, lui aussi, uniquement composé de personnes migrantes, dont des demandeurs d’asile et des BPI, et qui travaillera sur le développement et la mise en œuvre des politiques européennes migratoires, d’asile et d’intégration.
Dans un article publié en 2007, Vaughan Jones, Président de l’association Praxis qui vient en aide aux migrants et réfugiés au Royaume-Uni, remarquait que « les connaissances, les compétences et l’expérience requises pour apporter le changement sont latentes chez les personnes pour lesquelles le changement est nécessaire ». Ainsi, dans le but d’aider les demandeurs d’asile et les BPI à faire face à la crise économique et sociale liée au COVID-19 en Europe, et afin de mettre en place des politiques d’intégration qui prennent réellement en considération les problématiques et obstacles quotidiens qu’ils rencontrent pour s’intégrer, il apparaît plus que jamais urgent de donner les moyens à ces personnes de jouer un rôle dans les sociétés qui les accueillent afin qu’ils puissent devenir de véritable acteurs de changement.
[1] Le HCR soutient depuis plusieurs années le concept de « community-based approach » qui vise à placer les personnes réfugiées « au centre des décisions opérationnelles » pour en faire des « partenaires égaux » aux acteurs publics. Plus récemment, la participation des réfugiés aux politiques d’intégration a été promue par l’agence dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et migrants de 2016 ainsi que dans le Pacte mondial pour les réfugiés, adopté en 2018.
[2] Comme l’occupation, entre octobre 2012 et avril 2014, de la place Oranienplatz de Berlin par des réfugiés et des militants opposés à la politique migratoire du gouvernement allemand.
[3] En témoigne la constitution du Transatlantic Migrant Democracy Dialogue, un réseau composé de migrants et réfugiés développé par le Migration Policy Group. En 2019, ses membres ont notamment participé à la campagne « VoteEuropa » en faveur de l’attribution du droit de vote aux ressortissants de pays tiers à l’occasion des élections européennes.
[4] La Ville de Hambourg, dans le nord de l’Allemagne, a établi entre 2015 et 2019 une méthode de participation publique, en lien avec les autres résidents, pour l’attribution de logements à des réfugiés.
[5] Dans la ville de Gdansk, en Pologne, un conseil consultatif a été lancé en 2016. Actuellement composé de 14 personnes migrantes, dont plusieurs réfugiés, il tient le maire régulièrement informé des préoccupations de cette partie des administrés.