Quelle impulsion de la Commission européenne pour l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale ?
En matière d’intégration, les compétences de la Commission, qui détient l’initiative législative, exécute les budgets et gère les fonds européens dédiés, sont limitées, la politique d’intégration relevant de la compétence des États membres. Depuis l’adoption en 2004 des « principes de base communs en matière de politique d’intégration des migrants dans l’UE », non contraignants, et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009[1], la Commission assure principalement un rôle de soutien, coordination et d’orientation des politiques nationales, notamment en recensant et favorisant l’échange de bonnes pratiques entre États membres et en menant des enquêtes et des études.
Le rôle de la Commission n’a cessé de se renforcer depuis 2015 avec l’augmentation du nombre de personnes obtenant une protection internationale en Europe. Face aux obstacles qu‘un nombre croissant de réfugiés rencontrent le long de leur processus d’intégration, la Commission a adopté en juin 2016 un « Plan d’action pour l’intégration des ressortissants de pays tiers », pour renforcer l’approche commune « dans les domaines d’action essentiels » de l’intégration, notamment en matière d’éducation, d’emploi et formation professionnelle, d’accès aux services de bases tels que la santé et le logement, et d’inclusion sociale.
La Commission finance également des actions et projets visant à favoriser l’intégration des réfugiés dans les États de l’Union via différents fonds. Un fonds consacré spécialement à l’intégration des ressortissants de pays non-européens, le Fonds européen d’intégration (FEI), a été créé pour la période budgétaire 2007 – 2013, remplacé entre 2014 et 2020 par le Fonds asile, migration et intégration (FAMI)[2]. Pour la période 2021 – 2027, une nouvelle proposition de fonds pour l’intégration a été dévoilée le 12 mai 2018 par la Commission de Jean-Claude Juncker mais est toujours en cours de négociation.
La refonte des fonds pour l’intégration s’inscrit en réalité dans une dynamique de réforme plus large en matière de migration. La Commission européenne compte en effet réussir à trouver un consensus entre les États européens pour réformer la politique migratoire européenne. Contrairement au mandat de la précédente Commission, qui avait dû faire face aux divisions des États membres quant à la réponse à apporter face l’augmentation des arrivées de migrants aux frontières de l’UE entre 2014 et 2016, la Commission actuelle a pris fonction dans un contexte de faible tension migratoire. Il s’agit maintenant autant de « gérer » les migrations irrégulières aux frontières que de favoriser l’intégration des centaines de milliers de personnes qui ont reçu une forme de protection dans les pays européens ces dernières années[3].
Dès sa prise de fonction, la Commission a ainsi fait de l’adoption d’un nouveau « Pacte sur la migration et l’asile », dévoilé le 23 septembre, ainsi que d’un nouveau « Plan d’action pour l’intégration et l’inclusion », présenté le 24 novembre dernier, des objectifs primordiaux. La mission a été confiée à Margarítis Schinás, commissaire européen chargé de la « promotion de notre mode de vie européen » au sein de la direction générale « migrations et affaires intérieures » de la Commission. La fiche de mission de ce portefeuille démontre que l’actuelle Commission perçoit la migration et l’intégration des ressortissants de pays tiers, y compris des réfugiés, comme des domaines transversaux, associés aux domaines de l’éducation, de la culture et de la sécurité. Margarítis Schinás est ainsi chargé de « coordonner et assurer la cohérence entre ces politiques » et « d’améliorer l’intégration des migrants et des réfugiés à la société », en se concentrant également sur la lutte contre les discriminations raciales ou de genre et sur la mise en valeur des compétences des personnes migrantes[4].
L’intégration sur le marché du travail des migrants et réfugiés, qui représente un enjeu majeur au sein de l’UE, est en effet vue comme une priorité pour l’actuelle Commission, qui a plusieurs fois souligné le « rôle-clef » joué par les migrants et réfugiés dans le fonctionnement des économies européennes[5], notamment dans le cadre de la crise sanitaire de la COVID-19. Dans la huitième section du nouveau « Pacte sur la migration et l’asile », elle regrette ainsi que « trop de migrants et de ménages issus de l’immigration soient encore confrontés à des défis en matière de chômage, de manque de possibilités d’éducation ou de formation ». Plusieurs actions ont récemment été annoncées afin de lever ces freins. Le 7 septembre 2020, la Commission s’est réunie avec de multiples acteurs publics et privés afin de renouveler le « partenariat européen pour l’intégration » lancé en 2017, qui vise à créer de nouvelles opportunités pour l’intégration des migrants et des réfugiés sur le marché du travail. Dans un communiqué commun, les participants de la réunion ont appelé à la poursuite des initiatives de coopération mises en place entre les différents acteurs dans le cadre de ce programme, afin de soutenir « l’esprit entrepreneurial » des migrants et des réfugiés tout en facilitant la reconnaissance de leurs compétences.
Par ailleurs, dans le cadre de la divulgation du nouveau Pacte, la Commission a annoncé le renouvellement pour la période 2021 – 2027 du « Plan d’action pour l’intégration et l’inclusion ». Dévoilé le 24 novembre dernier, ce plan entend notamment s’attaquer aux défis de l’accès à l’emploi, à l’éducation, aux soins et au logement, en prévoyant d’impliquer tout particulièrement les acteurs locaux, aussi bien publics que privés. Afin de définir les priorités du Plan, la présidence allemande du Conseil de l’UE avait convoqué une réunion ministérielle informelle sur l’intégration et la cohésion sociale le 9 novembre, la première depuis dix ans[6]. Ce nouveau Plan tient notamment compte des recommandations formulées par les acteurs de la société civile ainsi que des personnes issues de l’immigration, qui ont participé à la vaste « consultation citoyenne » de la Commission sur le thème de l’intégration des migrants, ouverte entre le 22 juillet et le 21 octobre 2020. L’organisation PICUM et le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE), un réseau de plus de 100 organisations d’aide aux réfugiés en Europe dont France terre d’asile est membre, avaient par ailleurs publié une série de recommandations à l’intention des décideurs européens en vue de l’élaboration du nouveau Plan, exhortant notamment la Commission à inclure un mécanisme de suivi et d’évaluation des politiques d’intégration des États membres.
Ce nouveau Plan servira notamment de « guide » pour l’allocation des ressources qui seront accordées aux États dans le cadre du nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021 – 2027. Au sein du CFP, la Commission proposait en mai 2018, de remplacer l’actuel Fonds asile, migration et intégration (FAMI) par le Fonds asile et migration (FAM), édulcorant ainsi la composante « intégration ». La proposition visait ainsi à distinguer les mesures d’intégration de « court terme », financées par le fonds FAM, de celles sur le moyen et long termes qui dépendraient alors du Fonds social européen + (FSE+) et du Fonds européen pour le développement régional (FEDER).
Malgré une augmentation des financements alloués au FAM, portés à 10,4 milliards d’euros, contre 3,1 milliards d’euros en 2014 – 2020, la clé de répartition du fonds, avec 40 % alloués à la lutte contre l’immigration illégale contre 30 % pour la migration légale et 30 % pour l’intégration, indique que la Commission priorise la politique de lutte contre la migration irrégulière et la gestion des retours au détriment des programmes d’intégration. La proposition de la Commission avait ainsi fait l’objet de vives critiques de la part de plusieurs associations, dont France terre d’asile, qui dénonçaient en outre la séparation des financements des actions d’intégration à court terme et moyen / long termes, qui ne permet pas d’assurer un accompagnement continu des réfugiés dans l’ensemble des domaines constitutifs du parcours d’intégration.
Si le Conseil européen s’est finalement accordé sur une nouvelle version du budget européen en juillet 2020, l’enveloppe allouée au FAM/FAMI a été revue à la baisse pour atteindre 8, 7 milliards d’euros. Alors que le CFP doit encore être approuvé par le Parlement européen qui va poursuivre les négociations, il apparaît essentiel qu’il fixe des objectifs à la hauteur des besoins en matière de dépenses à allouer pour l’intégration des migrants et personnes réfugiées, sans quoi les ambitions affichées par la nouvelle Commission avec le nouveau « Plan d’action sur l’intégration et l’inclusion » risquent de se heurter à un manque de moyens. Ce nouveau Plan représente une véritable opportunité pour la nouvelle Commission de développer une politique d’intégration européenne ambitieuse, davantage harmonisée et coordonnée au sein d’une Union plus inclusive. Cette vision commune est plus que jamais nécessaire pour réduire les disparités qui demeurent entre les États membres et répondre aux défis grandissants en matière d’intégration, en particulier dans le contexte actuel de pandémie et de crise économique.
[1] Article 63 alinéa 4 du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 : « le Parlement européen et le Conseil peuvent établir des mesures pour encourager et appuyer l’action des États membres en vue de favoriser l’intégration des ressortissants de pays tiers en séjour régulier sur leur territoire, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ».
[2] Le Fonds social européen (FSE), dont l’objectif est de soutenir l’éducation, la formation professionnelle et l’emploi des citoyens les plus exposés au chômage et à l’exclusion, finance également des actions pour l’inclusion sociale des réfugiés.
[3] Entre 2015 et 2019, selon la base de données Eurostat, 2 210 950 demandeurs d’asile ont reçu une protection internationale dans l’UE, soit 0,5 % de la population totale de l’Union.
[4] Lors du discours sur l’État de l’Union prononcé le 16 septembre 2020, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen avait ainsi affirmé veiller « à ce que à ce que les personnes qui ont le droit de rester soient intégrées et se sentent les bienvenues ».
[5] Une étude publiée en juin 2020 par « l’European Union Labour Force Survey » a ainsi montré que 31 % des migrants en âge de travaillé étaient des « travailleurs clefs ». 12,5 % travaillent dans le domaine de l’aide aux soins à domicile, 20,9 % dans le domaine de la santé et de l’entretient et 11,1 % dans le domaine de l’éducation.
[6] La dernière réunion ministérielle sur l’intégration au niveau européen avait eu lieu en 2010, dans le cadre de la présidence espagnole du Conseil de l’UE.