Vers l'adoption d'un Cadre européen pour la réinstallation ?
Équipe plaidoyer de France terre d'asileSi le nombre d’États ayant mis en place des programmes réguliers de réinstallation et s’étant engagés à un quota annuel a progressivement augmenté ces dernières années, l’adoption d’un cadre européen pour la réinstallation reste un enjeu de taille pour l’Union afin d’harmoniser les procédures liées à la sélection et au traitement des candidats à la réinstallation, qui diffèrent en fonction des pays.
Dès 2009, devant le faible nombre de réfugiés réinstallés au sein de l’Union européenne et le peu de programmes de réinstallation mis en œuvre par les États membres – la réinstallation reposant sur des engagements volontaires, la Commission européenne avait proposé la création d’un programme européen commun de réinstallation. Suite à l’augmentation des arrivées dès 2014, notamment de réfugiés syriens, le premier programme de réinstallation européen, portant sur la réinstallation de 22 504 personnes, a été adopté par les États membres le 20 juillet 2015. Entérinée quelques mois plus tard, le 18 mars 2016, la déclaration UE-Turquie contenait quant à elle un engagement de 54 000 places de réinstallation et prévoyait que pour tout Syrien renvoyé en Turquie au départ d’une île grecque, un autre Syrien serait réinstallé dans l’UE depuis la Turquie.
Afin de véritablement harmoniser les différents programmes, procédures et pratiques en place, la Commission européenne a proposé en juillet 2016 l’adoption d’un Cadre européen pour la réinstallation. Toujours en attente d’adoption, il s’agirait du premier cadre juridique pour la réinstallation à l’échelle européenne, même s’il ne concernerait que les États volontaires. L’objectif est de doter l’Union d’une approche collective et harmonisée sur la base d’une procédure unifiée. D’après la proposition de règlement, ce cadre européen permettrait aussi à l’Union européenne de « parler d’une seule voix dans les enceintes internationales » afin d’assurer une contribution commune dans les initiatives prises au niveau mondial en matière de réinstallation. Pour la Commission, cette proposition vise également à mettre fin aux réseaux de passeurs ainsi qu’à réduire les arrivées irrégulières et la pression migratoire subie par les pays recevant un grand nombre de personnes.
Pour ce faire, le règlement prévoit la mise en place de plans annuels de réinstallation, proposés par la Commission chaque année et adoptés par le Conseil, qui mentionneraient le nombre maximal de personnes à réinstaller ainsi que des informations sur la participation des États membres et les priorités géographiques. Pour concrétiser un tel plan, la Commission pourrait établir chaque année un ou plusieurs programmes de réinstallation ciblés comprenant diverses orientations : nombre précis de personnes à réinstaller ; indication des régions ou pays tiers à partir desquels la réinstallation aurait lieu ; informations sur le ou les groupes spécifiques de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides auxquels le programme s’appliquerait. En outre, le nouveau cadre de réinstallation mentionnerait un ensemble commun de procédures type pour la sélection et le traitement des candidats à la réinstallation ainsi que des motifs d’exclusion et des critères d’éligibilité communs afin de pouvoir prétendre à la réinstallation, tels que la vulnérabilité ou encore les liens familiaux. Enfin, la création d’un Haut-Comité pour la réinstallation servirait à assurer l’orientation politique pour la mise en œuvre du Cadre européen pour la réinstallation.
Suite à la publication de cette proposition de règlement, plusieurs organisations, dont le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), International Rescue Committee (IRC), Caritas Europe, ou la Commission internationale catholique sur les migrations (ICMC Europe) ont salué l’initiative de la Commission européenne, tout en mettant en garde contre certaines mesures. Pour les ONG, la réinstallation doit demeurer un outil de protection humanitaire et durable : le cadre proposé ne devrait donc pas fusionner ce mécanisme avec d’autres voies légales de protection – ce qui risquerait de réduire les places pour les plus vulnérables, et pourrait éloigner les États de leurs obligations en matière de réunification familiale. De plus, les ONG craignent que la réinstallation puisse être instrumentalisée pour encourager les pays à coopérer en matière de contrôle migratoire et de dissuasion des arrivées irrégulières. Cet objectif irait à l’encontre de l’essence même de la réinstallation comme outil de protection des plus vulnérables. Aussi, leurs critiques concernent notamment le fait que le cadre prévoit des critères d’éligibilité différents de ceux du HCR, remettant en cause le rôle central de ce dernier dans l’identification. En outre, selon le règlement, pourraient être exclus de la réinstallation des réfugiés ayant tenté d’entrer, ou étant entrés illégalement sur le territoire de l’Union européenne au cours des cinq dernières années ainsi que ceux s’étant déjà vu refuser la réinstallation par un État membre.
Comme les autres instruments discutés dans le cadre de la réforme du Régime d’asile européen commun (RAEC), ce texte n’a pu être adopté avant la fin de la précédente mandature du Parlement européen, faute de consensus sur l’ensemble du « paquet asile ». En amont du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2018, la Commission européenne avait invité les États membres et le Parlement européen à adopter cinq des sept propositions faisant partie de la réforme du RAEC, y compris le règlement relatif au cadre de l’Union pour la réinstallation. Cependant, cet appel est resté sans réponse. Dans le nouveau programme stratégique pour 2019-2024, publié le 20 juin 2019, les dirigeants européens donnent la priorité à la « poursuite de l’élaboration d’une politique migratoire globale pleinement opérationnelle ». Mais le futur du RAEC et de ce cadre européen de réinstallation reste incertain.