« Si les pays voyaient des avantages pour eux-mêmes en termes d’emplois, ils s'engageraient probablement dans des formes de réinstallation ou de voies complémentaires »
Martin Wagner, responsable du programme Asile pour le Centre international pour le développement des politiques en matière de migration (ICMPD)Qu’entend-on par « voies complémentaires fondées sur les compétences » pour les réfugiés et quelles sont celles qui permettent aujourd’hui de rejoindre un État membre de l’UE ?
Les « voies complémentaires fondées sur les compétences » fait partie de l’approche développée par le Cedefop, le centre européen de référence pour l’enseignement et la formation professionnelle (EFP), dans le cadre de son travail sur les « voies complémentaires pour les réfugiés : le rôle des EFP, des compétences et des qualifications ». Quand les gens souhaitent se déplacer pour travailler, ils passent la plupart du temps par des voies légales qui permettent d’obtenir un permis de séjour à des fins professionnelles. Par exemple les Syriens qui ont un bon niveau d’éducation et de solides réseaux sont ceux qui ne se retrouveront probablement jamais dans les systèmes d’asile des pays européens parce qu’ils utilisent d’autres voies. Cela exige par contre beaucoup de documents et un emploi dans le pays de destination, alors que les réfugiés ne disposent généralement pas de tout cela.
Les réfugiés ne peuvent généralement pas se déplacer librement, et les voies légales d’admission basées sur les compétences devraient donc, théoriquement, être un moyen pour eux de se déplacer pour travailler. En réalité, les possibilités qu’ils ont d’être accueillis dans un État membre de l’UE en utilisant leurs compétences et qualifications sont aujourd’hui plutôt limitées aux personnes hautement qualifiées.
Quels sont les premiers résultats de votre étude sur ce type de voie complémentaire ?
Le point de départ de l’étude du Cedefop a principalement été le programme de relocalisation qui a été lancé en Europe après 2015. L’idée initiale était de relocaliser les personnes et, pour que ce soit fait d’une manière plus ciblée, d’utiliser leurs compétences pour répondre aux demandes du marché du travail des pays de l’UE.
Mais le programme de relocalisation a pris fin entre temps, ce qui explique que nous regardions désormais dans deux directions différentes. Puisque le droit communautaire autorise toujours la relocalisation au sein de l’Union européenne, nous cherchons des possibilités, par exemple, pour relocaliser des personnes qui sont en Grèce ou en Italie vers d’autres pays qui sont moins touchés par l’immigration mais qui ont certaines demandes en termes de compétences. D’un autre côté, bien sûr, nous regardons vers les pays d’accueil hors de l’UE pour voir comment ce mécanisme pourrait être facilité.
Nous avons commencé par examiner les possibilités du point de vue de la migration et comment le marché du travail pourrait en faire partie, c’est-à-dire qui seraient les partenaires logiques d’un tel programme et comment ils pourraient être intégrés dans les systèmes nationaux. Nous arrivons maintenant à l’étape de négociation au niveau national, pour voir avec qui il serait possible de travailler.
Quels obstacles avez-vous identifié dans l’utilisation des qualifications et compétences pour faciliter l’accès au territoire européen ?
Il y a probablement deux sujets d’intérêt, le premier étant le mécanisme de réinstallation. Il n’y a pas si longtemps, dans le contexte de l’après-guerre, l’Organisation internationale pour les réfugiés a réinstallé un bon nombre d’européens dans d’autres pays, en se basant principalement sur leurs compétences. Avant l’élaboration de la Convention [de Genève] sur les réfugiés, il était très clair que ces derniers avaient des compétences et qu’il y avait aussi des demandes en termes de qualification émanant de certains pays.
La deuxième chose qu’il faut mentionner est l’initiative lancée par l’ONG “Talent Beyond Boundaries“, avec le Canada et l’Australie. Un employeur qui recherche de la main d’œuvre peut demander à utiliser la base de données de l’ONG qui recense les compétences de différents réfugiés pour consulter leurs CV et voir si un profil peut répondre à ses besoins. S’il trouve un profil intéressant, la personne pourra venir au Canada avec un permis de séjour. Cela fonctionne bien parce que le permis de séjour octroyé par le Canada peut être de nature permanente. Mais dans le contexte européen, les titres de séjour ont une durée limitée, et plusieurs questions se poseraient : “que se passe-t-il avec le réfugié lorsque l’emploi prend fin ? » ou « que se passe-t-il si le réfugié change de statut juridique, en passant à un statut de travailleur immigré ? ». Il est clair qu’il y a un certain nombre de limites.
Lorsqu’une personne va être réinstallée, en raison de ses vulnérabilités ou dans le cadre d’un programme humanitaire par exemple, ses compétences peuvent être utilisées pour déterminer dans quel pays elle devrait l’être. L’autre chose sur laquelle nous nous sommes aussi beaucoup penchés est l’identification des besoins futurs sur le marché du travail, et de les faire comprendre aux personnes qui arrivent, afin que ces dernières soient davantage tournées vers l’avenir. Il existe un certain nombre d’initiatives nationales dans ce cadre, par exemple en Allemagne : les personnes qui y sont déjà réfugiées sont orientées vers le domaine des soins infirmiers car on sait qu’il y aura une demande particulière dans ce secteur sur le marché du travail dans le futur.
Existe-t-il des programmes similaires hors d’Europe qui pourraient servir de modèle ?
Le système mis en place par “Talent Beyond Boundaries” pourrait également fonctionner en Europe. Si les grandes entreprises souhaitaient embaucher une personne en particulier – réfugiée ou non, alors les limitations en termes d’immigration pourraient certainement être surmontées d’une manière ou d’une autre.
Quelles garanties sont nécessaires pour assurer le succès de ce type de programme ?
De manière générale, il doit être clair que la personne est réfugiée et qu’elle ne peut pas retourner dans son pays : il doit s’agir d’une perspective de long séjour. De plus, une offre d’emploi concrète n’est pas nécessaire. Les voies complémentaires basées sur les compétences peuvent être un élément supplémentaire pour un mécanisme de réinstallation ou des mouvements de réfugiés plus ciblés d’un pays à l’autre. De plus, l’opposition qui existe entre la protection et la mobilité de la main-d’œuvre n’est plus très contemporaine parce qu’il n’y a jamais que la dimension de la protection qui entre en compte. Les gens veulent aussi, et ont besoin, de voir comment ils peuvent développer leur vie future, par exemple en prenant en considération leurs besoins économiques. Les réfugiés ne viennent généralement pas seulement pour recevoir une protection, et c’est un aspect qui est un peu négligé.
Pourquoi pensez-vous que les voies complémentaires liées à la formation professionnelle, aux compétences et qualifications peuvent constituer à la fois une option sûre et durable pour les réfugiés et une chance pour les pays d’accueil ?
Il y a beaucoup de possibilités liées à ce type de voies complémentaires. Seul un petit nombre de pays est engagé dans la réinstallation, et c’est une problématique politique pour beaucoup d’autres. Mais si les pays voyaient aussi des avantages pour eux-mêmes en termes d’emploi, ils s’engageraient probablement dans des formes de réinstallation ou de voies complémentaires.