Qu'est-ce qu'une décennie de projets de migration nous a appris sur l'intégration dans les villes ?
Anthony Colclough, rédacteur et éditeur, EUROCITIESL’intégration se fait dans nos villes
C’est dans nos villes que presque tous les migrants arrivent dans l’Union européenne, et c’est aux administrations municipales que revient la mission concrète de révéler leur valeur économique et sociale. Nos villes varient en termes de taille, d’emploi, d’expérience en matière de politique d’intégration, et d’origine des personnes migrantes. Cependant, les moyens qui permettent de tirer parti des opportunités offertes par la migration, tout en en évitant les éventuels pièges, ont beaucoup en commun. Les villes membres d’EUROCITIES travaillent ensemble pour faire de la « crise migratoire » un triomphe de l’intégration.
Nous travaillons, à travers nos projets et groupes de travail, à l’échange de bonnes pratiques entre les villes, afin d’établir de meilleures politiques locales. Nous démontrons également à la Commission qu’à moins de travailler directement avec les villes et de veiller à ce que les gouvernements locaux soient conviés à la table des négociations avec les pouvoirs nationaux dans les discussions sur le financement et les politiques, les objectifs d’intégration de l’Europe ne peuvent être atteints.
Parce que les villes ont tendance à aborder la migration comme une question pratique plutôt qu’idéologique, la politique locale diffère de la politique nationale. Il s’agit de faire en sorte que la migration puisse être un processus mutuellement bénéfique pour les populations locales comme pour les nouveaux arrivants, et qu’elle soit orientée vers l’amélioration proactive du bien-être local, plutôt que d’être coincée entre des principes rhétoriques et réactionnaires.
Des « héros de valeurs »
Par exemple, avec « Voluntarios de Madrid », la Ville coordonne plus de 13 000 volontaires, dont plus de 1 000 sont des migrants, pour s’impliquer dans des causes locales. En travaillant comme volontaires, les migrants rencontrent des gens, pratiquent la langue, et ont le sentiment d’appartenir à leur nouvelle société. Ils peuvent également acquérir des compétences et de l’expérience pour s’insérer sur le marché du travail local. À Nuremberg, « Nuremberg Heroes » permet aux migrants de s’engager comme « mentors » auprès de jeunes nouveaux arrivants afin de les aider à trouver leurs marques dans leur nouvelle société. Ces jeunes deviennent ensuite souvent eux-mêmes des « mentors ».
Ce ne sont que deux des nombreuses bonnes pratiques observées dans le cadre de notre projet en cours « VALUES », qui porte sur l’intégration par le volontariat, et qui est mené par EUROCITIES avec le soutien de MigrationWork et du Centre européen du volontariat. Ce projet inclut également les villes d’Amsterdam, Bristol, Brno, Cesena, Düsseldorf, Ostende, Riga, Sheffield, Terrassa, Thessalonique, Toulouse, Turin, Oslo et Zurich, qui apportent toutes une contribution intéressante.
De meilleures affaires et de meilleures politiques
Les projets précédents peuvent nous montrer comment l’apprentissage par les pairs entre villes peut générer des résultats concrets. Dans notre projet « Cities Grow » (2017-2019), la Ville de Tampere a étudié le [programme] « Rotterdam Business Case », dont de nombreux bénéficiaires sont des migrants, et qui associe des entrepreneurs vivant sous le seuil de pauvreté à des entrepreneurs à succès désormais à la retraite et à des étudiants en école de commerce. Cette approche profite à toutes les parties prenantes du projet et stimule l’économie locale. Tampere a maintenant mis en place sa propre version du programme.
Un projet antérieur, « ImpleMentoring » (2012-2014), a conduit de nombreuses villes à adopter de nouvelles approches. Riga s’est inspirée de Dublin pour rendre l’information publique disponible dans d’autres langues, un geste facile pour faciliter l’arrivée. Elle a également ajouté un volet migration à son travail sur la cohésion sociale, en offrant un financement à des ONG sur le sujet. Milan, inspirée par Oslo, a obtenu un financement national pour travailler avec les migrants de deuxième génération.
Milan a également profité de la méthodologie d’apprentissage par les pairs du projet pour organiser son propre événement impliquant plusieurs villes sur le sujet des mineurs isolés étrangers, ce qui a renforcé la volonté politique autour de ce sujet. Oslo s’est inspirée de Manchester pour développer et distribuer un « guide sur l’égalité des services » aux employés municipaux, qu’elle transmet désormais à d’autres villes par le biais du projet VALUES.
Les pièges
Un des pièges auquel peuvent être confrontées les villes dans leurs politiques d’intégration est l’insuffisance de leur cartographie [de la problématique] et de leur analyse comparative (benchmarking). Sans connaître le nombre de migrants dans une ville, leurs origines et leurs situations, il est impossible d’évaluer l’efficacité d’une politique. Les silos sont un autre problème majeur auquel les villes sont confrontées. L’intégration nécessite des approches interdépendantes de la part des services du logement, de l’emploi, de la culture et de l’éducation, pour n’en citer que quelques-uns, ainsi qu’une coopération avec la société civile, le milieu universitaire et les autres niveaux de gouvernement. Les silos dans l’administration locale peuvent ainsi complexifier l’adaptation à ce type d’approche. À Gand, cette question est traitée par un groupe de travail sur les réfugiés qui réunit régulièrement ces acteurs afin de parvenir à une approche commune.
La conférence et la charte
Tous les enseignements tirés des projets d’intégration d’EUROCITIES sont regroupés sous la bannière des « villes intégrantes » (Integrating Cities). En son sein sont conservées les idées des activités passées et présentes, et les villes qui ne sont pas directement impliquées dans nos projets ont la possibilité d’en bénéficier. L’événement le plus important qui se déroule via ce projet est la conférence « Integrating Cities », un rassemblement biannuel de plus de 100 villes travaillant sur la migration, ainsi que d’experts sur les questions migratoires, des représentants de groupes dirigés par des personnes migrantes et de la Commission européenne. C’est une opportunité majeure pour les villes de travailler ensemble et de s’inspirer mutuellement sur les sujets migratoires à l’échelle de l’Union européenne, et de promouvoir la « Charte des villes intégrantes », signée par 39 villes à ce jour et qui constitue un engagement politique des maires à prôner la diversité de leurs populations.
La Commission prend note
La Commission a fait une déclaration encourageante lors de la dernière conférence, les Commissaires affirmant sur scène que les villes ont un rôle central à jouer dans les efforts d’intégration, que leurs contributions doivent être reconnues, et que la Commission vise à établir une relation plus structurelle avec les villes dans ce domaine. La coopération entre EUROCITIES et la Commission a donné des résultats concrets, notamment lorsque le Fonds Asile, Migration et Intégration a commencé à mentionner explicitement les villes dans ses appels à financement de projets. Il est également essentiel de réorienter l’approche de la Commission, pour transformer les politiques d’intégration « par le haut » à des politiques d’intégration « par le bas ».
La véritable intégration ne peut se faire que lorsque les populations migrantes et les populations locales se rencontrent, et c’est à l’échelle des villes que cela se produit. Mais cela ne signifie pas que les villes doivent agir seules. Se tenir au courant des bonnes pratiques et des erreurs des autres villes par le biais des réseaux de villes est essentiel pour progresser efficacement. L’UE le reconnait, les élus locaux aussi.